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Rugby

XV de France : «Les tournées de juin sont devenues un calvaire»

Alors que les Bleus doivent disputer samedi le premier de trois tests-matchs contre les All Blacks, Marc Lièvremont, son ancien entraîneur, pointe les contradictions du traditionnel voyage aux antipodes en juin.
La dernière victoire du XV de France en Nouvelle-Zélande remonte au 13 juin 2009. Les Bleus entraînés par Lièvremont s'étaient imposés 27-22. (Photo Franck Fife. AFP)
par Denis SOULA
publié le 8 juin 2018 à 15h42

Les 9, 16 et 23 juin, le XV de France joue trois matches en Nouvelle-Zélande à Auckland, Wellington et Dunedin. L'annonce de ces affiches suffit d'ordinaire à faire saliver n'importe quel amateur de rugby, mais cette fois la perspective d'affronter les All Blacks ne semble guère soulever l'enthousiasme. La faute à la Coupe du monde de football qui s'apprête à saturer le paysage? La faute à une saison interminable de Top 14 heureusement conclue avec une finale émouvante, qui brilla plus – c'est déjà ça – par les belles ressources humaines du champion Castres que par le contenu du match lui-même. Car le rendez-vous suprême d'un championnat national culminant à pile trente minutes de temps de jeu effectif ne doit pas hanter les nuits des préparateurs physiques des Blacks à l'heure d'affronter des Bleus en plein questionnement.

Même le retour de Mathieu Bastareaud sur la scène de l'exotique noctambulisme de sa jeunesse neuf ans après les faits est anecdotique. En Nouvelle-Zélande, les journaux font table rase de l'évènement, préférant se souvenir de la série historique de 1968, où Spanghero, Dauga, Cester, Salut, Bérot, Maso, Trillo, Villepreux et leurs camarades de lutte avaient gagné cœur et respect à défaut de tests qui auraient sans doute dû leur revenir. Des derniers explorateurs français victorieux (27-22) dans les mers du Sud en 2009, ne subsistent que Bastareaud et Médard, alors menés par Marc Lièvremont : «Nous avions eu la chance de ne pas avoir trop de joueurs en finale du Top 14. Ils adhéraient à notre discours. On faisait du sport ensemble, on était allés pêcher en mer, on avait organisé deux ou trois repas sympas. Il y avait une vraie fraîcheur, physique et psychologique dans un groupe qui était jeune et avait les crocs. En face, ni Dan Carter ni Richie McCaw, les régulateurs de l'équipe de Graham Henry, ne jouaient. Notre troisième ligne, Ouedraogo, Picamoles, Dusautoir, avait gratté beaucoup de ballons dans les regroupements. On marque trois essais, on est en tête tout le temps. Au fond, ce n'était presque pas un exploit !»

«Il faut oser»

Marc Lièvremont était le coach d'une troupe alors heureuse de se frotter aux meilleurs. Son équipe avait des résultats en dents de scie mais elle était dans la course. L'automne suivant, elle bat les Springboks champions du monde lors d'un match dantesque à Toulouse et en 2010, elle réalise le Grand Chelem. Depuis, la France s'efface inexorablement. Quel jeu ? Quelles structures ? Quel cap ? C'est la déliquescence. La pente est dure et les All Blacks n'ont cessé de progresser depuis la défaite (8-7) des joueurs de Lièvremont en finale de la Coupe du monde 2011 : «Steve Hansen les a rendus plus mobiles, plus rapides, plus offensifs. Ils ont Beauden Barrett à l'ouverture, un chef d'orchestre à la fois nonchalant, décontracté et fou. Il génère une frénésie créatrice qui entraîne le jeu des Blacks vers plus de variété et de relance. Parfois, on le retrouve inexplicablement dans un ruck et c'est Brodie Retallick, un deuxième ligne, qui joue demi d'ouverture et oriente le jeu vers l'attaque. C'est formidable !»

Côté français, ce n'est pas la fête du trip. Jacques Brunel, le sélectionneur, est un homme dans l'embarras. La liste des excusés est longue et triste, elle met en lumière les contradictions d'un rugby hexagonal tiraillé entre des clubs riches (sauf en temps de jeu effectif, essence de la performance du rugby moderne) et des Bleus pauvres en termes d'ambition sportive. «Les tournées de juin sont devenues un calvaire, déplore Lièvremont. En novembre [quand les équipes de l'hémisphère Sud viennent en tournée en Europe], les joueurs sont en forme, exposés médiatiquement, ça roule. En juin, leur fatigue est réelle, le je-m'en-foutisme de quelques-uns aussi. C'est tellement difficile de croire qu'on peut battre les Blacks… Le défi de Jacques Brunel, c'est d'infuser l'idée que pour rivaliser, on ne doit pas se recroqueviller. Il faut être agressif, aller les chercher, les défier dans les fondamentaux du combat, les faire déjouer, puis jouer. Jouer les coups à fond. Il faut oser. Oser jouer.»