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Libération
Récit

Rafael Nadal, la chanson de Roland

La victoire (6-4, 6-3, 6-2) dimanche contre Dominic Thiem permet à l’Espagnol de glaner un onzième trophée dans le Gran Chelem français. Une régularité qui impressionne.
Rafael Nadal, dimanche à Paris. (Photo Olivier Morin. AFP)
publié le 10 juin 2018 à 20h46

Il était arrivé avec le trophée, il repartira avec. Comme à chaque fois ou presque depuis le premier Roland-Garros de Rafael Nadal en 2005, la question n’était pas de savoir s’il allait pouvoir s’emparer à nouveau de la coupe, mais de savoir si quelqu’un allait bien pouvoir lui enlever des mains. Ça n’a pas été Dominic Thiem, qui s’est cassé les dents sur le boss final du court central, comme Puerta, comme Federer, comme Söderling, comme Djokovic, comme Ferrer et comme Wawrinka avant lui : l’Autrichien a été défait en trois sets (6-4, 6-3, 6-2) dimanche.

A 24 ans, Thiem est seulement le deuxième joueur du circuit âgé de moins de 28 ans à avoir déjà atteint une finale de Grand Chelem (l’autre étant Milos Raonic, finaliste à Wimbledon en 2016). Signe de la domination sans partage des trentenaires Nadal, Federer ou Djokovic jusque-là. On s’attendait alors à voir un choc des générations, voire, pourquoi pas, un passage de relais. On a eu droit à un impitoyable statu quo.

Limites. Il faut dire que Nadal a sorti immédiatement le grand jeu, histoire de montrer qui jouait à domicile. Les premiers échanges ont été des agressions de l'Espagnol, s'encourageant par des grognements sonores auxquels il nous a peu habitués si tôt dans la partie. En face, Thiem a dû constamment s'arracher pour gagner ses jeux de service. Tout s'est joué à 5-4, service Thiem. L'Autrichien, visiblement déjà épuisé par la bataille que lui avait réservée Nadal, s'est effondré, enchaînant volées manquées et coups droits trop longs. Break blanc pour l'Espagnol, qui n'en demandait pas tant.

Quand le numéro 1 mondial a un set en poche, sur son court favori, difficile de revenir dans le jeu. Les deux sets suivants furent des master class pour l’Autrichien, rapidement frustré par la défense infaillible de Nadal. Seule péripétie dans la litanie de coups gagnants : une main gauche défaillante en plein milieu du troisième set. Entre deux services, l’Espagnol s’est dirigé vers sa chaise, se plaignant de ne plus pouvoir bouger son majeur. L’histoire aurait été presque trop facile à écrire : le champion vieillissant seulement vaincu par ses limites physiques. Il n’en fut rien, troisième set remporté 6-2.

Après la rencontre, Nadal a estimé avoir «joué son meilleur match du tournoi» : on ne lui donne pas tort, tant il est apparu transcendé par l'enjeu dès le début de l'affrontement. Il est tout de même resté au-dessus des débats durant tout ce Roland-Garros. Rarement inquiété, on retiendra ce quart de finale périlleux face à Diego Schwartzman, l'Argentin venu lui piquer son premier set depuis 2015. C'était un mercredi orageux, de ceux que déteste Nadal, plutôt habitué au soleil de plomb de Manacor. L'agressivité du douzième joueur mondial l'avait surpris : il dira après la rencontre être arrivé «stressé» sur le court. La révélation avait déconcerté la salle de presse : stressé, Nadal ? «Je suis un être humain», avait répondu l'Espagnol avec son regard frondeur et impénétrable, celui qu'il affiche constamment face aux journalistes (sa défense de fond de court face aux questions qui pourraient venir dérégler sa confiance en lui).

Tout sauf humain. Le secret de sa régularité est presque insoluble. Jeudi matin, on a vu le géant suédois Robin Söderling se pointer pour une conférence de presse surprise. Retraité depuis 2015, le Scandinave de 33 ans revenait à Roland-Garros pour répondre à toutes les sollicitations médiatiques dont il fait l'objet à chaque fois aux abords du tournoi : Söderling est responsable de l'une des deux seules défaites de Nadal à Paris, c'était en 2009. Près de dix ans plus tard, l'un a raccroché les raquettes après des pépins physiques, l'autre est encore sur le court à ramasser les trophées. Söderling était lui aussi sans réponse sur la longévité de son adversaire d'autrefois : «Ce qui me surprend toujours, c'est qu'il ait encore aussi faim de victoire.»

Poing. C'est en même temps la seule ambition du Majorquin : tout tend vers cet objectif. Même les pauses entre ses services : ces petits moments ritualisés à l'extrême, remettage de short, effaçage de ligne, replacement de cheveux. Tout pour ne pas sortir de la rencontre. Dimanche, c'est peut-être là qu'a failli Dominic Thiem, exprimant son mécontentement après chaque faute directe, frustré. Nadal, de son côté, serre encore le poing après un coup gagnant, crie «vamos !» pleure encore après sa onzième Coupe des Mousquetaires. Comme si c'était la première.