Son entrée à la mi-temps du match de préparation Mexique-Écosse, le 2 juin, a fait se dresser comme un seul homme le monumental Estadio Azteca à Mexico et ses 87 000 spectateurs. Ce soir-là, Rafael Márquez, 39 ans dont 20 en équipe nationale faisait en même temps son grand retour en sélection et ses adieux au public mexicain. D'où la standing-ovation du colosse de Santa Ursula, surnom du mythique Azteca, première enceinte à avoir accueilli deux finales de Coupe du monde (en 1970 et 1986). «En s'imposant dans des grands clubs à l'étranger, et surtout à Barcelone, Rafa a porté très haut les couleurs mexicaines. Il nous a rendus fiers, c'était la moindre des choses de lui dire au revoir dignement», dit à Libération Ricardo, 43 ans, venu assister avec son fils au duel contre l'Ecosse, dernier match à domicile du Tri avant le Mondial en Russie.
«El Patrón»
Ce dimanche, à 17h (heure française), le Mexique fait son entrée dans la compétition face à l'Allemagne, championne en titre et ogre du groupe F, relevé, où figurent également la Suède et la Corée du Sud. Sauf surprise, Rafael Márquez, 143 sélections, ne devrait pas figurer dans le onze titulaire. Mais son statut de remplaçant suffira à faire de lui le quatrième joueur de l'histoire à participer à cinq Coupes du monde. Un record détenu jusqu'à présent par son compatriote Antonio Carbajal, l'Allemand Lothar Matthäus et l'Italien Gianluigi Buffon.
Depuis 2014, Márquez détient déjà, en solitaire cette fois, un autre record : unique joueur de l'histoire à avoir été capitaine dans quatre Coupes du monde. Une performance qu'il pourrait améliorer s'il entre en jeu sur le gazon russe et porte le brassard, désormais confié au milieu Andrés Guardado, lequel confiait-il y a quelques jours être encore «intimidé» par Márquez. Ses coéquipiers, dans un mélange de respect et de crainte, l'appellent d'ailleurs «El Patrón».
Retraité en club depuis fin avril, après avoir bouclé la boucle à l’Atlas Guadalajara, l’équipe mexicaine de ses débuts, le «Patron» a pourtant bien failli manquer la Russie. Non pas en raison de son âge, même si à près de 40 ans le «Kaiser du Michoacan», autre surnom lié à son État d’origine, n’a plus ses jambes d’antan. Mais à cause des autorités américaines, qui l’accusent d’être impliqué dans un vaste réseau de trafic de drogue.
Prête-nom
Le 9 août 2017, le département américain du Trésor annonce ainsi des sanctions contre 21 personnes, dont Márquez, accusées de liens financiers avec Raúl Flores Hernández, baron de la drogue réputé proche du puissant cartel de Sinaloa. Selon Washington, le célèbre joueur aurait servi de prête-nom pour dissimuler et blanchir des revenus tirés de la drogue.
Esta es la red del narcotraficante Raúl Flores Hernández a la que estarían ligados Rafa Márquez y Julión Álvarez https://t.co/dPly2DOrDT pic.twitter.com/dT7dSI2yxm
— Noticieros Televisa (@NTelevisa_com) August 9, 2017
Habitué aux albums Panini, le visage de l'icône Márquez figure cette fois sur une liste noire américaine. Un cataclysme au Mexique. Le joueur, qui nie catégoriquement les faits, ne fait pas l'objet d'un mandat d'arrêt. Mais il est désormais interdit de séjour aux Etats-Unis, privé de ses avoirs financiers et lâché par ses sponsors, Nike en tête. Sa carrière semble compromise. «Ceci est le match le plus difficile de ma vie», déclare l'intéressé, qui se consacre pendant près de trois mois à sa défense légale.
A l'automne, il obtient le dégel de certains avoirs. Et retrouve les terrains avec l'Atlas, pour une saison sans grand relief. Mais en avril, le capitaine historique du Tri, privé de sélection depuis dix mois, confie son «rêve de prendre sa retraite en jouant la Coupe du monde».
Maillot sans sponsors
Pour remporter cette ultime bataille, il a pu compter sur un soutien de poids : le sélectionneur du Mexique, le Colombien Juan Carlos Osorio. «Márquez et Osorio s'entendent très bien, explique à Libération le journaliste Tom Marshall, qui suit la sélection mexicaine pour la chaîne américaine ESPN. Après la défaite 7 à 0 face au Chili lors de la Copa America en 2016, qui avait été un traumatisme national, Márquez avait été le premier à prendre la parole dans le vestiaire. Il avait apporté son soutien à Osorio et dit que les joueurs étaient responsables de ce fiasco. Grâce à son expérience, il est le lien parfait entre l'entraîneur et les joueurs.»
En dépit des accusations américaines et des doutes sur sa condition physique, Rafael Márquez, connu en particulier pour son sens du placement et sa qualité de relance, et capable de jouer défenseur central ou milieu défensif, a donc été retenu par Osorio dans la liste finale des 23. Pour autant, le joueur mexicain au palmarès le plus fourni (champion de France avec l’AS Monaco, et surtout quadruple champion d’Espagne et double vainqueur de la Ligue des Champions avec le Barça) ne vivra pas ce Mondial 2018 de la même façon que ses partenaires.
Conséquence des sanctions américaines, qui lui interdisent d’être associé à toute entreprise ou citoyen des Etats-Unis, Márquez s’entraîne avec un maillot neutre, sans sponsors. Pas question non plus de donner des interviews en zone mixte ou en conférence de presse, pour ne pas risquer d’être filmé là où apparaissent les logos des sponsors de la FIFA. Pour s’exprimer, il ne lui reste donc plus que le terrain. Et on imagine qu’il s’en contentera.