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Libération
Chronique «Prolongations»

La danse des buteurs, à chacun son jeu de jambes

Coupe du monde 2018dossier
publié le 19 juin 2018 à 20h26
(mis à jour le 19 juin 2018 à 20h26)

Chaque jour, une personnalité du monde culturel ou sportif commente le Mondial. Aujourd’hui, Joy Sorman, écrivain.

Si le foot est un ensemble de gestes et de techniques produits sur un terrain de 105 mètres par 68, on ne saurait réduire ces figures au seul jeu de ballon. Sur la pelouse il se passe mille autres choses, toutes ces choses qui font un match, contribuent à sa dramaturgie, à sa beauté, et au premier rang desquelles je place la célébration du but, cette chorégraphie qui accompagne, souligne, rehausse l'exploit du buteur. Ces dernières années, la gestuelle glorieuse d'après-but s'est diversifiée, perfectionnée, réinventée, s'inspirant du rap, de la danse, des jeux vidéo, relevant aussi d'esthétiques et de sémantiques propres aux joueurs - footballeurs autant que danseurs, techniquement impeccables dans les deux rôles (Ronaldo, Griezmann, Pogba entre autres). Une nouvelle génération qui emprunte autant au haka tribal des All Blacks qu'au clip Hotline Bling du rappeur Drake ; une gestuelle contemporaine qui contribue grandement à la fête, reproduite dans les cours de récré et joyeusement commentée aux comptoirs d'après-match. Il en va ainsi du dab de Pogba ou de la danse folklorique de Griezmann inspirée du jeu vidéo Fortnite - une main sur le bas-ventre, l'autre en L sur le front, et les jambes qui se balancent comme au fest-noz ; autant de ballets qui ringardisent les traditionnels cris de roi de la jungle, poings levés, doigt vers le ciel et autres glissades sur les genoux.

Si cette Coupe du monde est l’occasion de faire un point esthético-technique sur la danse du buteur, on constatera que plus l’équipe est modeste, donc peu regardée, et la nation de faible culture footballistique, plus la pantomime de la victoire se révèle bêtement classique : ça court, crie, saute, bombe le torse et se frappe la poitrine tel le gorille, ça se jette sur la pelouse en écartant les bras. On l’a vu avec les buteurs russes contre l’Arabie Saoudite (Gazinski), les Uruguayens contre l’Egypte (Giménez), les Danois contre les Péruviens (Poulsen). A contrario, un fastueux Portugal-Espagne est l’occasion pour Ronaldo d’exprimer sa joie et sa fierté de manière plus singulière. Le prince de la pose, auteur des trois buts portugais, nous a cette fois gratifiés d’une moue énigmatique, bouche en avant assortie d’un frottage de menton insolent et de quelques barattages de la main.

Quant à Griezmann, resté bien sobre contre l’Australie - sans doute en raison des conditions peu spectaculaires de sa frappe (penalty accordé par arbitrage vidéo), on attend de retrouver ses subtils déhanchés face au Pérou.