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Prolongations

Sélection de Brésiliens ou sélection brésilienne ?

par Felipe Saad, défenseur brésilien du FC Lorient
publié le 20 juin 2018 à 20h16

Chaque jour, une personnalité du monde de la culture ou du sport commente la Coupe du monde. Aujourd’hui, Felipe Saad, défenseur brésilien du FC Lorient.

La Roja espagnole. La Celeste uruguayenne. Die Mannschaft en Allemagne. Les Bleus. Autour d'une couleur ou de la notion d'équipe, ceux qui représentent leur cher pays en Russie ont un nom rassembleur pour les désigner. Pour mon pays, on parle de la Seleção. A Seleção Brasileira. Sélectionner : séparer, trier. Eux et nous. Voilà malheureusement l'impression que j'ai du micro-zeitgeist que constitue cette Coupe du monde au Brésil. On parle ici d'une sélection de Brésiliens, et non plus de la sélection brésilienne. Subtile. Il y a quatre ans, dans ce même espace de libération de parole, j'avais essayé de saisir toute la complexité d'accueillir le plus grand événement de la planète : l'entrée fracassante de la Fédération internationale dans notre pays pour construire avec l'argent public des éléphants blancs ces stades qui ne servent désormais plus à grand-chose contrastait avec l'éveil de la conscience populaire. Qui s'est traduit par de nombreuses manifestations. La parole était libérée.

La pression sportive était énorme, l'utilisation qu'en ont fait les politiques maximale, l'intérêt économique douteux, mais c'est socialement que la Coupe du monde 2014 a joué le rôle le plus important, intensifiant les échanges d'idées dans toutes les sphères de la communauté. Récemment, en revenant à São Paulo pour les vacances, je cherchais ces drapeaux aux fenêtres, ces parallélépipèdes en vert et jaune. J'ai trouvé une grève nationale des routiers, les stations d'essence vidées et une situation proche du chaos pendant une semaine. Cleiton, chauffeur de taxi : «Je préfère regarder les matchs des quartiers, dans la banlieue, que ceux de la Seleção. Là-bas, au moins, ils jouent par amour.» Un grand magasin vend des figurines miniatures de footballeurs à moitié prix. Petit détail : parmi eux figurent Oscar et Bernard, héros déchus de 2014, qui ne sont plus dans la liste du sélectionneur actuel, Tite, depuis des années.

Même la Globo, chaîne de télévision et éternelle formatrice d’opinion de ces 200 millions d’âmes, n’a pas réussi à imposer sa chanson fétiche, comme tous les quatre ans.

Du coup, on cherche des raisons. Dans l'émission Cartão Verde («le carton vert»), les champions du monde Rivelino (1970) et Paulo Sérgio (1994) parlent du calendrier, des championnats et de la 2e division, qui ne s'arrête pas pendant le Mondial. Douze heures avant l'ouverture de la Coupe du monde, Palmeiras et Flamengo jouaient le dernier match de la première division avant la trêve. Invraisemblable.