72e minute de jeu à l'Ekaterinbourg Arena, dimanche dernier. Les Samouraïs Bleus viennent d'encaisser un second but face au Sénégal. Le moment choisi par Akira Nishino pour faire rentrer Keisuke Honda. Six minutes plus tard, une sortie ratée de N'Diaye profite à Inui. Le milieu remet dans l'axe pour Honda qui égalise dans le but désert. En plus de sortir sa sélection d'une impasse, le blond peroxydé de Pachuca au Mexique devient par la même occasion le premier Japonais à marquer dans trois éditions de Coupe du monde (2 buts en 2010, un autre en 2014), à 32 ans.
Honda plus que Vahid
Ce scénario aurait pu ne jamais avoir lieu. Trois mois avant le début de la compétition, le Japon du foot affiche une mine inquiète. La cause ? Sa star manque à l’appel sur le terrain. Et ce depuis belle lurette. Septembre exactement. Mis au ban, même pas sur le banc par le sélectionneur Vahid Halilhodžić qui préfère tester la nouvelle génération. L’absence du meilleur buteur des qualifications (7 buts) commence à susciter effroi et incompréhension chez les fans nippons. Chez les sponsors et la Fédération japonaise de football (JFA), aussi.
Avec des audiences du football en chute à la télévision, l'instance nationale se voit contrainte de trancher : garder l'ex-entraîneur du PSG ou rameuter son historique milieu offensif. En voyant Honda rentrer et délivrer une offrande sur corner contre la Colombie (victoire 2-1) trois minutes plus tard lors du match d'ouverture en Russie, on comprend que c'est finalement l'éviction de «coach Vahid» qui a été privilégiée. «Je n'ai aucun regret sur ce changement de coach, évacuait Honda à la télévision japonaise en mai dernier. M'adapter au style de jeu d'Halilhodžić pour être sélectionné aurait été une véritable honte pour moi.»
Vu d’Europe, on pourrait croire que la hype au Japon est plutôt du côté de Shinji Kagawa, qui a explosé à Dortmund il y a quelques années. Ce serait oublier à quel point Keisuke Honda y est une icône. Et comme toute icône qui se respecte, le parcours du numéro 4 a commencé par un échec. Dans la section junior du centre de formation du Gamba Osaka, il n’est pas retenu pour jouer avec les catégories supérieures. Qu’importe, l’effronté se débrouille pour gravir les échelons via son club de l’école supérieure de Seiryo avec lequel il atteint les demi-finales du championnat national.
Ses performances lui valent d'intégrer l'effectif du Nagoya Grampus Eight, un club de la J-League, soit l'équivalent de la Ligue 1 japonaise. Trois saisons, 105 matchs, 13 buts, et une belle passerelle pour jouer en Europe. A 22 ans, il se terre au VVV Venlo, 2e division néerlandaise, en attendant mieux. Le CSKA Moscou par exemple. Premier Japonais à jouer dans le championnat russe, son passage dans la capitale pourrait se résumer en une action : un coup franc surpuissant de près de 30 mètres qui permet au club moscovite d'atteindre pour la première fois de son histoire les quarts de finale de la Ligue des champions en 2010.
Couteau suisse japonais
Si Honda réussit partout où il passe, il le doit avant tout à une polyvalence rare. Capable de jouer milieu relayeur, milieu offensif, ailier gauche, voire en soutien du numéro 9, le Nippon au jeu couteau suisse est une aubaine pour ses entraîneurs, qui peuvent l'utiliser où bon leur semble. A Moscou, Honda s'est progressivement retrouvé juste devant la défense, laissant le rôle de meneur de jeu à la jeune pépite d'alors Alan Dzagoev. Un credo semble pourtant illustrer son véritable rôle : «le joueur le plus détesté de la défense adverse, voilà ce que je veux être», assure-t-il alors à l'aube du Mondial 2010. Que les principaux intéressés en témoignent, ses 54 buts avec Venlo et le CSKA n'ont donné que peu de sourires et de répit aux lignes arrières.
Seule son expérience au Milan AC (2014-2017) s'est soldée par un échec. En manque de confiance, Honda n'a pas réussi à s'imposer au sein de l'effectif Rossonneri, malgré de bonnes prestations lors de la saison 2014-2015. De moins en moins intégré dans les plans de jeu du club milanais il n'hésite pas à se relancer dans le championnat mexicain il y a un an. Aujourd'hui, le voilà redevenu indéboulonnable en sélection après avoir rayonné durant la Coupe du monde 2010 (trois trophées de joueur du match en quatre rencontres disputées). «Honda est indispensable. Depuis qu'il est parti au Mexique, il a grandi sur le plan émotionnel et technique. J'ai confiance en lui», assure Akira Nishino qui en a fait son super sub (remplaçant décisif) de luxe depuis qu'il figure à nouveau dans le groupe nippon.
[#CM2018] Keisuke Honda est impliqué sur 7 des 9 derniers buts du Japon en Coupe du Monde 🏆(2010, 2014, 2018) :
— Footballogue⭐️⭐️ (@Footballogue) June 24, 2018
⚽ 4 buts
🎯 3 passes décisives
🔥🔥 pic.twitter.com/REWPBlDw66
Un changement de statut qui convient très bien au joueur aux 97 sélections et 37 buts en sélection. Dans une interview accordée au Players Tribune, Honda confiait avoir eu trois objectifs enfant : «Jouer à San Siro avec le Milan, aider ma famille et gagner la Coupe du Monde avec le Japon.» Jusqu'à présent, le Japonais en a accompli deux. En Russie, il s'agit très certainement de sa dernière chance pour réaliser le troisième.