Chaque jour, une personnalité du sport ou de la culture commente le Mondial. Aujourd’hui, le réalisateur Bertrand Bonello.
Il y a maintenant un nouveau geste chez les arbitres. Les indexes de chaque main dessinent un écran rectangulaire dans le vide, ce qui veut dire globalement : «Je vais aller regarder la télé et je reviens.»
On l'a beaucoup vu ce soir du 25 juin à Saransk lors du match entre l'Iran et le Portugal. Passons directement à la 89e minute. Les Portugais mènent et sont qualifiés. Action iranienne dans la surface, dégagée en touche. Une dizaine de secondes plus tard, un joueur iranien vient mollement devant l'arbitre réclamer une main en se tapant le bras. Même lui n'y croit pas, mais avec deux buts de retard à la 89e, autant tout tenter.
Le match est arrêté. Les commentateurs parlent d’autre chose. Au bout d’une minute, ils se rendent compte que l’arbitre est légèrement tendu.
Que se passe-t-il hors du terrain ? Que dit le «bureau des arbitres» dans l’oreillette d’Enrique Cáceres en regardant en boucle le replay ? Encore une minute de temps suspendu. Une éternité. Puis Cáceres quitte le stade en trottinant et rejoint la petite cage en verre qui protège l’écran sur pied.
L'image est forte : un homme seul devant son écran. De loin, on pourrait croire qu'il joue à un jeu vidéo. Il regarde la séquence plusieurs fois. Sans bouger. Impossible de savoir ce qu'il pense. Jusqu'à quel point le sait-il lui-même, par ailleurs ? Puis il s'accroche à l'écran des deux mains et regarde à nouveau. Il parle. Ecoute. Puis retourne sur le terrain en dessinant avec les index un écran rectangulaire dans le vide, ce qui veut dire globalement : «J'ai regardé la télévision. Il y a penalty.» Le penalty est plus que discutable.
Paradoxe magnifique. On introduit la VAR pour diminuer le facteur humain d’erreur puisque l’erreur est humaine, pour soulager l’arbitre de certaines décisions difficiles et décisives. Mais loin d’être soulagé, l’arbitre a un poids de plus.
Parce qu’avec le replay, il n’a plus le droit de se tromper. Pourtant, là, il se peut qu’il se trompe. Parce que nous ne sommes pas au tennis mais au football, et qu’il y a un facteur d’interprétation. L’interprétation sans écran est acceptable. Avec écran, c’est plus compliqué.
Contrairement à Ronaldo qui rate son penalty, Ansarifard réussit le sien, relançant le match pour quelques minutes. La VAR n’est peut-être pas infaillible mais elle aura permis de relancer le suspense. La VAR comme scénariste plus que comme réalisateur, finalement…
En parlant de réalisateur, dans le même pays, l'activiste Oleg Sentsov, toujours en prison, entame ce jour son 46e jour de grève de la faim.