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Coupe du Monde

Le Mexique face à sa «maldición»

Cela fait vingt-quatre ans qu’«El Tri» s’écrase systématiquement lors des huitièmes de finale. Nouvelle tentative ce lundi, face au Brésil.
Hirving Lozano passant le défenseur Joshua Kimmich lors du match Allemagne-Mexique, le 17 juin. La sélection mexicaine l’avait emporté 1-0. (Photo Eduardo Verdugo. AP)
par Julien Gester, Envoyé spécial en Russie
publié le 1er juillet 2018 à 20h46

S’il n’y avait qu’un geste à retenir du tonitruant début de Mondial de la sélection mexicaine, ce serait celui-là. Non pas les déboulés de lapin Duracell de son cador offensif Chicharito Hernandez dans le dos des défenses, pas plus que les crises de cabriole du bondissant gardien Guillermo Ochoa, mais le panache et le culot inouïs étalés par la dernière touche de balle d’Hirving Lozano, 22 ans, avant d’inscrire son but victorieux contre l’Allemagne. L’attaquant prodige du PSV Eindhoven (Pays-Bas) figurait certes au programme officiel des révélations de cette Coupe du monde russe, mais quiconque a déjà voté sait quel fleuve de désillusions coule entre un programme et sa réalisation.

En ouverture de son tournoi, le Mexique se mesurait donc aux terreurs germaniques. Et pourtant, «El Tri» joua crânement tout l’inverse d’un match de victime résignée, ce dont Lozano fut le meilleur emblème : recevant la balle à onze mètres des cages occupées par un portier allemand communément considéré comme le meilleur au monde, au terme d’une de ces contre-attaques électriques qui vous laisse le feu aux jambes, et voyant un adversaire revenir sur lui à toute vapeur, le jeune ailier mexicain eut alors l’inspiration impensable de prendre son temps. Plutôt que de céder à la tentation de se débarrasser d’un si brûlant ballon en tirant aussi sec, d’un crochet suintant une assurance insensée, il éliminait l’Allemand à ses basques pour mieux fusiller enfin le gardien. Mexique 1, Allemagne 0. Le reste appartient à l’histoire de la déconfiture des champions du monde en titre.

Mur

Une histoire qui tourne à la malédiction, et les Mexicains, qui y ont pris part, s'y connaissent un peu, eux qui jouent pour déjouer la leur propre, devenue à la fois mauvaise blague et ritournelle de commentateurs : «la maldición del quinto partido», la «malédiction du cinquième match», soit ce quart de finale qui se refuse à leur ouvrir les bras, et qu'ils tenteront une nouvelle fois de conquérir ce lundi à Samara, contre le Brésil. Depuis 1994, El Tri a franchi six fois d'affilée la phase de groupes pour se prendre un mur lors de huitièmes où il «joue comme jamais mais perd comme toujours», selon le dicton local.

Le Mexique dispose pourtant d’à peu près tout ce qu’il faut pour crever ce plafond de verre et s’inviter de temps à autre à la table des grandes nations de football : la culture d’un jeu flambard, un peuple fou de football, un championnat national parmi les plus relevés hors Europe, où ses talents peuvent faire leurs armes avant de partir garnir les écuries espagnoles, allemandes ou portugaises. Seules lui manquent l’accoutumance aux matchs couperets et une adversité sérieuse dans sa zone d’éliminatoires où il est rarement à la peine, faute de se frotter régulièrement à des rivaux qui ne soient composés de fiscalistes bancaires, de surfeurs, de bûcherons ou de l’ensemble de la population d’un confetti caribéen.

«Orgie»

L'écueil serait surtout mental, suggèrent nombre d'acteurs du football national dans une enquête fouillée consacrée par So Foot au mal mexicain. C'est pourquoi l'actuel sélectionneur, le Colombien Juan Carlos Osorio - par ailleurs tacticien brillant qui a préparé le match contre l'Allemagne comme une thèse de troisième cycle -, a fait appel depuis deux ans à un préparateur spécifique, l'ancien joueur basque Imanol Ibarrondo devenu gourou du psychisme sportif (Libération de samedi), auquel les médias nord-américains se sont empressés d'attribuer les lauriers du succès allemand.

La sélection mexicaine était en effet arrivée en Russie entourée de rumeurs mauvaises, qui promettaient de lui polluer la tête et ne lui laissaient, disait-on, guère d'espoir de bien figurer. Son talisman et mentor, le défenseur de légende Rafael Márquez (ancien de Barcelone et Monaco), 39 ans, n'a pu l'accompagner dans son stage de préparation aux Etats-Unis, figurant sur une liste noire américaine pour être suspecté de tremper dans une histoire de blanchiment de narcodollars. Et lorsqu'on a vu l'équipe au travail vendredi, dans le fort retranché qui lui tient lieu de camp de base dans la banlieue moscovite, «El Káiser» était là, mais portait une tenue différenciée de ses coéquipiers, pour ne pas froisser les sponsors dont la griffe habille le maillot d'entraînement.

Que neuf piliers de la sélection se soient fait pincer à «une orgie de vingt-quatre heures» en compagnie d'une trentaine de prostituées à une semaine de la compétition n'a pas exactement contribué à la sérénité du moment. Le patron de la fédé avait alors dû répondre à la polémique par une absence de sanction - il aurait suspendu les neuf incriminés qu'El Tri aurait tout aussi bien pu rester à la maison -, arguant qu'«un jour de congé est un jour de congé, ce sont là les risques que l'on prend avec la liberté». Sans faire taire pour autant les déferlements d'accusations d'outrage au drapeau et de blagues douteuses. Puisque la morale de l'histoire n'est pas ici notre affaire et l'humour pas notre fort, on s'était borné à retenir de l'incident qu'il témoigne d'une certaine cohésion du groupe jusqu'en dehors des horaires de bureau. Depuis, l'équipe en a fait état sur le terrain, développant lors de ses deux premiers matchs un football radieux, tonique, précis, avant de perdre ses moyens contre la Suède.

«On s'est quand même qualifiés dans le groupe le plus difficile du Mondial. On a réussi le premier objectif, jugeait devant la presse vendredi le pilier Andrés Guardado, 31 ans et 151 sélections. On est à un match d'enfin jouer un "quinto partido". L'atteindre, ce serait enfin échapper à tout ce que l'on dit de nous, qui n'est pas l'image qu'on veut laisser. Pour y arriver, je crois qu'on a plus de talent, plus de force mentale qu'auparavant.» Et pour s'en convaincre, il suffit de revoir le but de Lozano. Ce geste qui crie très calmement : «Je suis tout sauf un petit joueur jouant pour un petit pays».