Il y a les matchs et puis ce qu’il y a autour. Après chaque rencontre de la Coupe du monde, le chaînes du PAF se disputent l’audience de l’amateur de foot pas encore rassasié en proposant des magazines de talk-show, avec analyses, debriefs, débats – le même genre d’émission photocopiée à l’infini sur la politique toute l’année, mais cette fois centrée sur le foot. Il y en a pour tous les goûts, mais la plus regardée c’est bien sûr celle de TF1, parce que c’est TF1 et aussi parce que c’est là que les matchs gratuits sont diffusés et qu’il est toujours plus facile de garder une audience qui a la flemme de changer de chaîne que de la conquérir (pour la même raison).
Aux manettes de ce programme, le présentateur vedette de Koh-Lanta, Denis Brogniart. Ici, ni rouges, ni jaunes, ni totem d'immunité, mais les mêmes intonations de voix qui font qu'on s'attend à tout moment le voir éteindre un flambeau en disant «Youri, vous quittez l'aventure». Youri, c'est Djorkaeff : l'inévitable label France 98. Et la figure de proue d'un étonnant casting, car Djorkaeff n'est ni le plus bavard ni le plus intéressant des 22 champions du monde. A ses côtés, deux autres «footeux» : Pascal Dupraz, la caution coach (il a entraîné Evian et Toulouse), surtout connu pour ses bons mots et ses coups de gueule ; et Ludovic Giuly, international des années creuses des Bleus (de 2000 – sans l'Euro – à 2005) et boute-en-train. D'ailleurs Brogniart le présente plus souvent comme le «trublion» de l'émission que comme un ex-pro comptant 17 sélections en équipe de France. De l'autre côté de la table, deux femmes, plutôt sous-utilisées malgré leur pedigree : Nathalie Iannetta, qui a officié pendant des années à Canal + et Charlotte Namura, journaliste de Téléfoot depuis 2015.
Avec eux, les meilleurs jours, un invité, pas vraiment là pour relever le niveau. Après François Hollande en duplex le jour du match d'ouverture, on a eu le droit à Roselyne Bachelot puis à l'imitateur Marc-Antoine Le Bret, qui s'est d'ailleurs fendu d'un petit sketch plutôt gênant. Et ensuite à Philippe Bas, acteur maison de la série Profilage, qui est arrivé en avouant grosso modo qu'il n'y connaît pas grand-chose en foot («j'aime bien Arsenal, enfin un peu moins avec le départ d'Arsène Wenger»). Bref, du TF1 recyclé sur TF1 pour les besoins de l'autopromo, à un gros lapsus de Denis Brogniart près : «Philippe Bas, on vous retrouve dans la série Engrenages… euh pardon Profilage». Les aléas du direct, comme on dit.
Réalité virtuelle et «Petit journal» dix ans après
Bref, l'émission s'appelle le Mag de la Coupe du monde mais ce nom a tout d'un joli camouflage car on n'est pas vraiment là pour parler football, en tout cas pas le tirer vers le haut. Les rares infos égrenées au fil des 50 minutes d'émission sont répétées en boucle, et grosso modo, l'on parle surtout de l'équipe de France, même quand on n'a pas grand-chose à en dire. «Alors on n'a pas d'info sur la composition de l'équipe de France, mais je vous présente ce onze, voilà à quoi cela pourrait ressembler, c'est notre proposition», deux jours avant France-Danemark. Puis, à l'avant-veille de France-Argentine : Alors on n'a pas d'info sur la composition de l'équipe de France», à nouveau, et deux minutes plus tard, «alors Youri, qu'est-ce que vous pensez de cette compo ?» Qu'on ne connaît pas, donc.
On tire plus vers le divertissement, l'émission «feel good» sur le Mondial où on ricane beaucoup, façon «les Enfants de la télé» revisités par le ballon rond, que sur l'émission de débat technico-tactique pour passionnés. On a aussi la curieuse impression que TF1 a découvert le Petit journal, mais dix ans après, avec deux séquences d'images lol et disséquées façon Yann Barthès – l'une des deux s'appelle d'ailleurs «Transpi», une chronique habituelle de l'émission Quotidien dudit Barthès sur TMC, qui appartient au groupe TF1, il n'y a pas de hasard.
Mais le must, c'est quand l'on rentre «dans l'intimité des Bleus». Brosse à reluire de l'équipe de France, l'émission atteint son sommet lorsque Denis Brogniart nous emmène tour à tour dans le bus des Bleus ou dans la salle de restaurant de leur camp de base d'Istra, à grand renfort de réalité virtuelle. Il se sert son petit-déjeuner au buffet, nous explique que «le jeu à la mode, c'est le huit américain» et qu'untel s'assoit à côté d'untel, c'est capital n'est-ce pas – les Bleus pour les nuls. Et quand vient le jour de la salle de massage, au placard la réalité virtuelle : place à une vraie table de massage et à Ludovic Giuly qui se prête au jeu, jean retroussé («d'habitude on met un short !»), dans les mains du kiné Denis Brogniart, qui n'en perd pas son ton professoral pour autant. Le tout pour une séquence empreinte d'une grande gêne, dont les deux protagonistes semblent d'ailleurs avoir conscience. On n'arrive pas à savoir si ça nous rassure ou pas.