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Coupe du Monde

L’Angleterre se paie la Colombie et ses vieux démons

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Enfin sortis vainqueurs d’une séance de tirs au but, pour la première fois depuis 22 ans, les Britanniques affronteront la Suède samedi en quarts de finale. La Colombie est éliminée.
Les Anglais célèbrent leur qualification pour les quarts de finale. (Photo Juan Mabromata. AFP)
par Julien Gester, Envoyé spécial à Moscou
publié le 3 juillet 2018 à 23h46

Nul qui prétend aimer un peu le football ne peut décemment goûter l’exercice des tirs au but. Et non seulement les Anglais aiment beaucoup le football, mais ils entretiennent dans cette discipline un historique exécrable. En sept matchs de phases finales de grands tournois réglés sur ce mode cruel, les Trois Lions n’étaient sortis vainqueurs qu’une fois, contre l’Espagne à l’Euro 1996, pour six échecs difficiles à avaler. Si bien que la chose a pu virer à l’obsession, et l’on sait que la sélection britannique a convié tous les experts et marabouts possibles au chevet de cet étrange mal insulaire, d’où ont découlé des mois de savante préparation. Cela en valait la peine : l’Angleterre a éliminé mardi soir la Colombie au terme d’une séance où seul Henderson a vu son tir arrêté par David Ospina, tandis que deux des Cafeteros (les malheureux Uribe et Bacca) échouaient face à Pickford, auteur d’une parade splendide qui ouvrit aux siens la voie d’un quart de finale samedi, à Samara, contre les Suédois (score final 1-1 après prolongation, puis 4-3)

Ainsi l’objectif fixé est-il rempli pour la verte Angleterre de Gareth Southgate, certes au prix d’une bouffée d’angoisse qui avait donc le visage d’une vieille hantise. Le sélectionneur britannique avait affirmé avant le Mondial être là en rodage, avec une jeune génération de joueurs venus prendre leurs marques et quelques photos du très haut niveau international, histoire de se faire des souvenirs afin de viser grand pour la Coupe du monde 2022. Mais on ne voit pas pourquoi son équipe s’interdirait de regarder un peu plus haut que l’objectif annoncé, après avoir démontré solidité et caractère, encaissant bien et répondant sans trop vaciller aux griffures d’une Colombie qui l’a entraînée en prolongation, grâce à un but de Yerry Mina lors de l’ultime minute du temps additionnel - les Anglais avaient alors baissé de pied et menaient 1-0 depuis plus d’une demi-heure et un penalty converti par Harry Kane, encore hyperactif lundi soir, et plus que jamais meilleur buteur du Mondial. La prolongation s’avérant inefficace à départager les deux équipes, qui se seront longuement neutralisées et empoignées avec la même impuissance à concréviser leurs intentions joueuses, il aura fallu en venir à ce mode de duel lapidaire duquel l’Angleterre désespérait de ressortir vainqueur un jour.

Dans un climat brûlant de stade latino-américain reconstitué sous cloche moscovite - le Spartak Stadium étant essentiellement repeint aux couleurs colombiennes et nappé de sifflets à chaque passe anglaise -, les hommes de Southgate attaquèrent certes les premières minutes avec des manières timorées, mais c'est bien eux qui s'offrirent les premières occasions avant d'imposer leur rythme au match. Dès la 5e minute, Ashley Young tire directement un coup franc proche de la ligne du but d'Ospina, qui repousse des poings. Puis, peu après un tir contré de Sterling à la suite d'un mauvais renvoi, Harry Kane envoie une tête un rien ambitieuse au-dessus, à la réception d'un superbe centre de Kieran Trippier (16e). La maîtrise est anglaise et les Cafeteros s'accommodent de jouer la contre-attaque, à leur explosive façon habituelle. Mais des approximations techniques qui ne leur ressemblent pas les empêchent de faire trembler l'équipe en face, et l'absence de leur maître à jouer blessé, James Rodriguez, n'aide pas. Les coups de pied arrêtés au bénéfice des Anglais s'enchaînent, et les Colombiens, vigilants, se défendent férocement, avec une application qui paraît alors les inhiber. Il faut attendre la 32e minute pour les voir tenter une première frappe, par Quintero - à côté.

Pénétrées par l'anxiété de mal faire, les deux équipes peinent à jouer bien, et cette tension affleure jusque dans les contacts. Il faut ainsi par exemple deux bonnes minutes pour que Trippier puisse tirer un coup-franc bien placé tant ça se chamaille aux abords du mur jaune - le récupérateur Wilmar Barrios récolte au passage un carton de la même couleur (39e). De part et d'autre, les sentinelles (Barrios et Henderson) accomplissent un job remarquable dès lors qu'il s'agit de faire le ménage et d'empêcher les artistes d'accélérer. Dans le temps additionnel, chacune des formations aura encore une occasion, par Quintero et Henderson, de décanter cette affaire électrique mais par trop continente, et les deux équipes emportent leurs frustrations et un 0-0 au vestiaire.

En seconde période, l'équipe de José Pékerman, qui a légèrement revu son plan offensif, manifeste des intentions plus marquées. A la 52e, c'est le drame : Carlos Sanchez, déjà responsable d'un penalty, expulsé lors de la défaite contre le Japon et depuis ciblé par des menaces de mort au pays (que l'histoire du foot national invite hélas à prendre au sérieux), tombe dans le piège d'une provocation de Harry Kane sur un corner, le plaque au sol malgré une flagrante différence de gabarit, obligeant l'arbitre à le sanctionner. Kane transforme lui-même d'un missile plein centre - déjà son sixième but et son troisième penalty transformé en Russie. 1-0. La partie peut enfin lâcher les chiens.

Les cartons s'amoncellent, du côté de Colombiens dont la hargne peine à s'exprimer par des voies susceptibles de les mener au but, et c'est l'Angleterre qui passe à un cheveu de doubler son avantage, sur une tête de Delle Alli, légèrement au dessus (62e). Le jeu se fait toujours plus haché à force de fautes, simulations plus ou moins subtiles et autres contestations à la pelle, ce qui profite évidemment à l'équipe en tête, laquelle pourtant perd lentement pied. Un parfum d'empoignades de bas de tableau en championnat anglais s'impose sûrement et durement.

Pour la grâce on repassera, les trophées du fair-play n’en parlons pas. Et l’arbitre lui-même paraît friser la surchauffe, quand il sanctionne d’un avertissement la contestation d’un Falcao hors de lui, mais à côté de son match, plutôt que la comédie grossière de Harry Maguire. Sur un de ces contres canon où la Colombie excelle et dont elle était sevrée, faute de parvenir à accélérer avec le ballon, Cuadrado, manque la lucarne (82e). La fin approche, on entend presque les dents, les nerfs et les pneus crisser côté anglais. Un missile d’Uribe alors que le chronomètre rendait l’âme, sorti de sa lucarne par Pickford, arrache un corner. Le but eut été magnifique, la suite sera mieux. Car c’est sur le corner en question que le jeune défenseur Yerry Mina saute assez haut pour inscrire son troisième but du Mondial, et offrir à son équipe quelque trente minutes de jeu et d’air russe supplémentaires. Hélas, trente minutes et cinq tirs seulement.