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Sociofoot

Le cas Jimmy Durmaz, illustration du changement de la société suédoise

En fin de thèse à l’université Paris-Descartes, où il travaille sur le thème de la vulnérabilité sociale des athlètes, Seghir Lazri passe quelques clichés du foot au crible des sciences sociales. Aujourd'hui, le racisme en Suède.
Les Suédois Jimmy Durmaz et Sebastian Larsson, à la fin du match contre l'Allemagne, le 23 juin à Sotchi. (Photo Odd Andersen. AFP)
publié le 3 juillet 2018 à 10h39

L'équipe suédoise, après un brillant parcours, se retrouve en huitième face à la Suisse, un adversaire à sa portée. Mais s'il y a bien un fait marquant concernant cette équipe lors de ce Mondial, ce sont les insultes racistes et les menaces dont a fait l'objet Jimmy Durmaz. Après la faute commise lors du match contre l'Allemagne (qui avait déclenché le coup franc victorieux de Toni Kroos), le joueur d'origine araméenne avait essuyé sur la Toile des injures xénophobes assez virulentes, émanant de son propre public. Soutenu par toute la sélection ainsi que les autorités politiques suédoises, Jimmy Durmaz a dénoncé dans un communiqué les méfaits du racisme dans le monde du football. D'où cette question : pourquoi le racisme s'est-il immiscé dans le monde du football suédois ?

Le football comme miroir de la société…

Bien que le monde du sport, et plus particulièrement du football, se présente comme un univers de tolérance, de respect et de dépassement de soi, il est parfois le lieu de violence, de haine de l’autre et d’excès en tous genres. L’ensemble de ces phénomènes apparaissent car le sport et son spectacle contiennent une dimension cathartique, c’est-à-dire qu’ils permettent de purger des émotions. Or comme le souligne le sociologue Christian Bromberger, c’est à travers le show sportif et particulièrement les matchs de football que se rejouent symboliquement toutes les scènes de la vie sociale : affrontement, incertitude, injustice, etc. En d’autres termes, l’espace d’un moment et sur un lieu donné, le match de football théâtralise notre existence et cristallise toutes les pulsions de ceux qui y adhèrent, aussi bien bonnes que néfastes. Dès lors, le monde du sport peut être aussi bien un lieu de convivialité entre les populations qu’un endroit conflictuel. Par ailleurs, ce processus cathartique que permet la théâtralisation sportive démontre que le sport ne semble pas être porteur de valeurs spécifiques à proprement parler, mais au contraire traversé par les agitations et les valeurs d’une nation. Il est en quelque sorte un miroir social, véhiculant des émotions et des idées d’une société bien définie.

…de la société suédoise

Si le football est un miroir de la société, on y retrouve donc le résultat de toutes les mutations politiques et sociales. Pour le cas de l’équipe de Suède, si l’on se penche sur les bouleversements sociétaux de ces dernières années, on constate une résurgence politique des idéologies xénophobes et discriminatoires. En effet, depuis 2014, le parti des Démocrates de Suède, ouvertement nationaliste et anti-immigration s’est pleinement installé dans le paysage politique, en devenant la troisième force du pays. Ainsi, les joueurs sélectionnés issus de l’immigration vont pâtir de cette situation en devenant l’objet de nombreuses critiques, mais aussi d’une dépréciation sociale de la part d’une portion de la population. Autrement dit, ils vont être jugés négativement et stigmatisés par une fraction de l’opinion. La considération sociale envers ces joueurs devenant alors le reflet d’une certaine considération sociale envers les populations d’origine étrangère du pays. Et dans ce cas de figure, le statut d’athlète de Jimmy Durmaz ne lui offre aucune protection, au contraire même, il se retrouve assigné à son origine et ses erreurs sportives sont interprétées par certaines mouvances idéologiques, comme des atteintes à la réussite du pays.

Fachosphère

Aussi, si le football devient le lieu où se confrontent des groupes politiques, il est aussi le reflet de leur mode action. En effet, c'est à travers les réseaux sociaux que Jimmy Durmaz se voit décrié et insulté, soulignant le fait qu'Internet est devenu le meilleur moyen pour les mouvances d'extrême droite de propager leurs idées et d'interagir sur le monde social (comme l'ont mis en lumière les journalistes David Doucet et Dominique Albertini, en décryptant la «fachosphère»).

En définitive, c’est parce que la société suédoise fait preuve d’une certaine xénophobie et d’un racisme que son univers footballistique se retrouve à traduire ces types aspirations politiques.

La littérature sociologique concernant le racisme dans le sport et dans le football précisément est assez riche et dense, elle nécessiterait de s’y attarder plus longuement. Néanmoins, le cas du joueur suédois nous permet de mieux comprendre ce qui se joue dans la performance sportive, et de relativiser sur le rôle du sport comme moteur de cohésion sociale. Il ne faut pas oublier qu’en France, la victoire de 1998 n’avait pas empêché l’arrivée au deuxième tour de la présidentielle du Front national quatre ans plus tard.