Vingt ans après, le spectre de l'affaire Festina plane sur le Tour de France. Réveillé à chaque nouveau cas de dopage, suspect ou avéré, dont Chris Froome n'est que le dernier en date. Comme le souvenir vigilant d'un traumatisme après lequel on s'était juré : «Plus jamais ça.» Pour que l'histoire ne bégaie pas. Il en fut de l'affaire Festina comme plus récemment de l'affaire Weinstein : la révélation au grand jour d'une pratique honteuse que le milieu gardait dans un secret accessible aux seuls initiés. Ascenseur émotionnel et sportif, le scandale éclata dans une France tout à son euphorie black-blanc-beur. Année de la victoire des Bleus face au Brésil en finale de la Coupe du monde, 1998 fut aussi celle où le Tour a failli manger la luzerne. Les semaines qui suivirent la découverte des fioles d'EPO dans le coffre du soigneur belge n'ont pas déçu : gyrophares et sirènes, exclusion de l'équipe, dénégations farouches puis aveux contrits, fontaines lacrymales et détresses sincères alimentèrent la chronique et le déchaînement médiatique. Libération fit à l'époque partie de ceux qui, parmi les croisés de l'antidopage, allèrent jusqu'à demander l'arrêt de la compétition, à quelques jours de l'arrivée sur les Champs-Elysées. C'est un trésor national que l'on salissait, un hymne à la douce France que le dopage faisait soudain chanter faux. Et qu'il fallait sauver, fut-ce au prix d'une violente catharsis. Au fil des ans, le temps et la justice passant, le cyclisme professionnel s'est reconstruit. Plus conscient forcément, et avec des garde-fous utiles : contrôles systématiques, passeport biologique personnel, une agence mondiale de l'antidopage et des sanctions… Il faudrait être malhonnête pour ne pas reconnaître que le nombre de cas reconnus de dopage a baissé. Mais naïf pour feindre d'ignorer que les tricheurs, qui boostent corps et machines à renfort de science et de pharmacopée, ont toujours une longueur d'avance.
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