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Libération

Un match, une affaire de dénouements et de diplomatie

par Bertrand Bonello
publié le 6 juillet 2018 à 19h56

Chaque jour une personnalité de la culture ou du sport commente le Mondial. Aujourd’hui le cinéaste Bertrand Bonello.

Un match de football doit avoir un dénouement. Un dénouement, c’est souvent cruel. C’est souvent injuste. Ça donne souvent envie de pleurer.

Quand il n’y en a pas après quatre-vingt-dix minutes, on prolonge. Quand il n’y en a pas au bout de la prolongation, on tire au but.

Sur les huit huitièmes de finale, il y a eu trois prolongations. Toutes se sont finies aux tirs au but. Lors du dernier Euro, la plupart des prolongations sont aussi restées sans dénouement. Les joueurs sont fatigués et de fait, la défense est souvent privilégiée par rapport à l’attaque. On attend le réel dénouement avec un certain ennui.

On peut se reposer la question de la pertinence du but en or. Ou réfléchir à d’autres solutions. Des solutions simples, comme autoriser encore plus de remplaçants pour redonner de la fraîcheur. Ou des solutions diaboliques, comme ce qu’avait proposé Sir Alex Ferguson. Son idée ? Mettre les tirs au but avant les prolongations. Cinq. Admettons que le match entre la France et l’Uruguay se soit terminé par 1-1. A l’issue des tirs au but, l’Uruguay mène 5-4. La France attaque les prolongations avec une obligation de marquer. Donc d’attaquer. Un réel enjeu réapparaît. Et donc du jeu. Si à la fin de cette prolongation post-tirs au but, la France égalise et revient à 5-5, on refait une séance de tirs au but, jusqu’à l’élimination de l’une des deux équipes. Diabolique, en effet, l’idée de l’ancien entraîneur des Red Devils.

En parlant de dénouement, à l’heure où j’écris ces lignes, je ne connais pas le résultat du quart de finale entre la France et l’Uruguay. Mais si la France est qualifiée, le président de la République se déplacera mardi en Russie pour assister aux demi-finales au moment où, dans ce même pays, Oleg Sentsov sera peut-être en train de vivre ses derniers jours.

Oleg Sentsov est un cinéaste ukrainien, marié, père de deux enfants, pro-européen convaincu, et farouchement opposé à l’annexion de l’Ukraine par Vladimir Poutine. Alors qu’il voulait témoigner avec, pour seules armes, ses convictions et sa caméra, il a été enlevé chez lui, en Crimée, par les services secrets, puis torturé, et finalement condamné à vingt ans de prison pour «terrorisme» à l’issue d’un procès qu’Amnesty International a qualifié de stalinien.

Un mois avant le début de la compétition, Oleg a entamé une grève de la faim pour exiger la libération de tous les prisonniers politiques ukrainiens détenus injustement par le régime russe. Il en sera mardi à son 61e jour.

Imaginons une finale France-Russie, le 15 juillet. Monsieur le président de la République, vous serez aux côtés de Vladimir Poutine. C’est aussi une affaire de diplomatie. En parlant de dénouement, quel sera celui d’Oleg Sentsov ? Un dénouement, c’est souvent cruel. C’est souvent injuste. Ça donne souvent envie de pleurer.