Les Bleus affrontent ce mardi soir (20 heures sur TF1) la sélection belge avec une finale mondiale à la clé et la rencontre est placée sous le signe récurrent - vu du train bleu - du multiculturalisme et de l'effacement des frontières. Dit plus simplement : c'est du foot. L'attaquant français Olivier Giroud : «On en a parlé avec Hugo [Lloris] : c'est un match particulier pour nous, avec un petit accent anglais. Neuf des onze titulaires belges évoluent en Premier League [le championnat anglais, ndlr], tout comme moi [à Chelsea], N'Golo [Kanté, Chelsea aussi], Hugo [Tottenham] et Paul [Pogba, Manchester United]. C'est une sorte de derby.» Invité à comparer ses coéquipiers belges en club, Thibaut Courtois et Eden Hazard, avec Lloris et Kylian Mbappé, Giroud (31 ans) a fait dégringoler les jugements de Salomon et on s'est pris à rêver d'un football sans interférence extérieure, strictement égal à ce que les joueurs veulent bien en faire. «Eden et Kylian sont deux génies. Après, ils ne sont pas au même stade de développement de leur carrière [Hazard a 27 ans, Mbappé 19] et ce ne sont pas les mêmes joueurs non plus. Kylian est un diamant brut, un attaquant de percussion et de vitesse plus fort [que Hazard] quand il n'a pas le ballon. Eden, lui, est impressionnant dans sa conduite de balle. Il aime bien combiner avec les autres joueurs : Kylian a moins besoin de m'utiliser. Je ne suis pas de la même génération que lui : je ne suis pas du genre à jouer à Fifa ou à Foot Manager [des jeux vidéo] mais ça va, il est à l'écoute.»
Part de pizza
Disons plutôt qu'on voudrait qu'il le soit. Et Hazard ? «Un bon mec. On rigole beaucoup. Pour moi, il est presque français.» Hazard a été formé à Lille, conduisant le club nordiste jusqu'au titre de champion de France en 2011. Un jour, le natif de La Louvière (en Wallonie, dans la province francophone de Hainaut) est venu s'entraîner en lunettes noires. Un soir d'août 2011, on avait eu besoin de revoir après-coup sur Internet une sucrerie technique du joueur sur la pelouse du stade Michel-d'Ornano à Caen : impossible de savoir à vitesse réelle si Hazard avait dribblé avec le pied droit ou le gauche. Quelques mois plus tôt, il avait ostensiblement fait la gueule au sélectionneur belge de l'époque après avoir été remplacé en cours de match : Hazard avait quitté le stade avec une part de pizza (peu diététique, la pizza) dans la main, histoire que tout le monde comprenne.
Et il est exactement là, le France-Belgique de ce mardi soir. Depuis la France, Guy Roux a tonné sur Europe 1 : «La Belgique compte deux joueurs exceptionnels [Kevin De Bruyne ou Romelu Lukaku en plus de Hazard] et la France n'en a aucun.» Il faut l'entendre. C'est-à-dire apprécier la différence entre un «excellent» joueur et un joueur «exceptionnel» avant d'éviter de tomber dans le panneau d'un Antoine Griezmann sur un nuage : s'il a parfois été «excellent» (Danemark en première mi-temps, Argentine, Uruguay), le Madrilène affiche à ce stade trois buts dont deux penaltys et une passe décisive sur coup de pied arrêté en cinq matchs, ce qui n'en fait pas un monstre. Sur son quart de finale remporté (2-1) face à la Seleção brésilienne, Hazard a crevé les plafonds : dix dribbles réussis sur dix, un double record (le nombre et le ratio) sans précédent en Coupe du monde depuis que l'on met le foot en statistiques.
L’apogée contre le devenir
Les Bleus sont ailleurs. Ils font d’autres choses. Si Pogba ne dribble pas, c’est parce que le sélectionneur, Didier Deschamps, le lui interdit. Si Mbappé ne sourit plus et parle peu, c’est parce qu’il vit (ou pense vivre) une forme de pénitence sur le côté droit, ce qui le contraint à défendre et il n’aime pas ça. Un charme austère mais un charme aussi, une opposition de styles et de visions entre une génération belge à son apogée qui montre tout et une équipe tricolore en devenir - l’une des plus faibles moyennes d’âge du plateau -, dont la puissance se trame quelque part entre l’agressivité des uns, la concentration des mêmes et le rendement ahurissant de son milieu N’Golo Kanté.
Le plus grand joueur de la soirée est cependant français : Thierry Henry, 40 ans, recordman des buts en équipe de France (51) à la retraite depuis 2014 et assistant coach de la Belgique, avec laquelle il conspire à priver les Bleus d'une finale mondiale. La question a été posée à Giroud. Qui s'est agacé : «Il ne faut pas tout mélanger. Il entame une nouvelle carrière, il a une opportunité… Je trouve ça normal. Normal.» De fait : Henry a dessiné sa carrière (France, Italie, Angleterre et Espagne avant les Etats-Unis) selon l'idée qu'il se faisait de la géographie du football. Les frontières administratives, c'est autre chose. Henry sera parfait dans le décor.