Dernier joueur à avoir marqué un but pour l’URSS, Andreï Kanchelskis s’occupe aujourd’hui de l’équipe nationale universitaire russe et travaille pour une multinationale autrichienne. Dans les années 90, il a été un des premiers joueurs soviétiques à tenter (brillamment) sa chance à l’Ouest (Manchester City et United, Everton, Fiorentina, Glasgow Rangers). Il fait le point ici sur le Mondial qui s’achève ce week-end (1).
Quel bilan tirez-vous de cette Coupe du monde ?
Avant le tournoi, si quelqu’un m’avait dit que la Russie se qualifierait pour les quarts de finale, je lui aurais conseillé de se faire soigner. Les pronostics n’étaient pas favorables. L’opinion la mieux partagée dans le pays, c’était que la sélection actuelle constituait une des plus faibles de l’histoire de la Russie et qu’elle devrait s’employer pour sortir de la phase de poules. Et on a eu une belle surprise. Contre l’Espagne et la Croatie, les gars se sont vraiment bien débrouillés, jouant en fonction de leurs forces et de leurs limites. Leur parcours n’est pas seulement bon pour l’équipe, il l’est aussi pour le pays. Le grand public se passionne de nouveau pour le football, ce qui n’allait pas de soi ces dernières années. L’atmosphère parmi les fans a été électrique. On peut espérer qu’avec ce parcours, de jeunes garçons et filles russes s’entichent de nouveau du plus beau des jeux, ce qui permettrait à la Russie de meilleurs lendemains pour les tournois majeurs à venir. Ce Mondial a également permis au monde de voir que nous étions sérieux dès lors qu’il s’agit de sport.
Y a-t-il un joueur russe qui vous a particulièrement plu?
Je ne peux pas en citer un en particulier. J’ai aimé en revanche que la sélection ait fait preuve d’un tel engagement, d’une telle unité. J’espère que les joueurs vont continuer à progresser et qu’ils s’exportent pour devenir de grands professionnels.
Dans Russian Football News, vous disiez récemment que les joueurs russes avaient peur de jouer à l’étranger. Pourquoi ?
A cause de l’argent, de la sécurité et de la liberté. D’abord, l’argent est essentiel pour les joueurs russes. Bien que les salaires soient moins importants qu’auparavant, leur pouvoir d’achat au pays est plus conséquent que s’ils évoluaient à l’Ouest. Cela décourage de jeunes joueurs de s’exiler, prouver leur valeur et gagner plus après-coup. Ensuite, les footballeurs d’ici aiment se sentir à la maison, en sécurité, confortables. A l’étranger, il est parfois dur de s’adapter et peu de Russes l’ont fait dans le passé. La liberté qu’ont les joueurs en dehors des matchs et des entraînements est quelque chose que les joueurs russes d’aujourd’hui aiment. Je ne dis pas qu’ils font la fête ou qu’ils se laissent aller mais en général à la maison ou dans un environnement familier, il y a un sentiment de liberté que vous n’avez pas à l’étranger, où beaucoup de choses vous semblent peu familières.
Que manque-t-il au football russe aujourd’hui ?
Des joueurs et des coachs, mais plus que tout, une nouvelle mentalité. Une fois que vous avez cet état d’esprit, le football doit être un sport de passion, de désir et de dévouement. A partir de là, il peut y avoir de grands changements. Les infrastructures et les clubs sont là. On peut rivaliser dans les coupes européennes, nos clubs ont une histoire (le Spartak, le CSKA Moscou, le Zenit Saint-Pétersbourg) et nous disposons d’un bassin de population suffisamment grand pour produire des footballeurs de talent. On peut espérer, avec cette Coupe du monde qui se termine, que cette mentalité et le nouveau feeling autour du foot nous permettent de construire quelque chose de solide sur ces fondations.
L’ex-URSS ou la Russie ont souvent eu de grandes équipes dans les sports collectifs (hockey, volley, basket, hand). Même si l’URSS a eu de grandes équipes dans les années 60 et 80, pourquoi la relation entre le football et votre pays semble si compliquée ?
On pourrait en parler des heures… A partir de la Perestroïka de Gorbatchev, puis de l’effondrement de l’Union soviétique, le niveau du sport a baissé. On a commencé à adopter les nouvelles idées de l’Occident. Ce qui n’est pas une mauvaise chose mais pour une structure construite par le régime soviétique, ça signifiait de reconstruire toutes les fondations de notre sport à partir de zéro. Au foot, l’arrivée d’investissements étrangers et l’argent de la «nouvelle Russie» ont inondé un certain nombre de clubs. Cette nouvelle trésorerie aurait été profitable dans n’importe quel pays stable mais pour le nôtre, sans ces fondations, ça a causé des dommages et changé les mentalités. L’enrichissement personnel est ainsi devenu plus important que le développement du jeu. On se demandait alors comment gagner de l’argent dans le football plutôt que de s’y investir pour le développement et/ou l’amour du jeu. Ce modèle n’a pas marché parce qu’il demande des résultats rapidement sans bases solides. Maintenant, on en est rendu à une situation où on crée des clubs, en début de saison, qui ne passent pas l’année, faute d’investissements et de volonté.
Récemment, vous regrettiez que «les jeunes Russes ne sachent rien de l’histoire de la Russie et de celle de l’ex-URSS et ignorent qui sont Lénine, Khrouchtchev ou Brejnev. Ils ne connaissent même pas l’histoire de ce jeu». N’est-ce pas le cas partout ?
Le monde a changé et avec lui certaines mentalités. Dans un univers saturé de technologie et de médias sociaux, l’information semble entrer par une oreille et sortir par l’autre et les jeunes sont ceux qui en souffrent le plus. On dirait que chacun sur cette planète n’est plus préoccupé que par le futur, immédiat ou non. On oublie de regarder en arrière. Dans les écoles, on s’intéresse moins à l’histoire et ce qu’elle signifie dans la formation du monde tel qu’il est aujourd’hui. On semble obsédé par l’avenir sans envisager d’apprendre des erreurs que nous avons faites. Etudier et comprendre l’histoire, analyser et corriger ses erreurs permet de progresser. On ne le fait pas assez, dans le football comme ailleurs.
(1) Andreï Kanchelskis, Russian Winters, Decoubertin Books (en anglais)