«Je vais jouer une finale de Coupe du monde contre mes amis, c'est un rêve, déclarait Danijel Subasic mercredi soir, à la sortie de la demi-finale gagnée par sa sélection contre l'Angleterre, drapeau sur les épaules et l'œil plein de fièvre. Bien sûr que je connais bien Kylian [Mbappé]. Je connais aussi Thomas Lemar, je connais le coach, le magasinier… Je connais tout le monde. On s'appelle tous les jours, et avant le Mondial, on en parlait, on se disait : "On se retrouve en finale." Maintenant on va la jouer. Ils sont favoris, ils sont tops à tous les postes.»
Le gardien de l'AS Monaco, qui évolue en France depuis six ans, n'est pas le seul Croate à avoir un historique susceptible de colorer le match de dimanche d'affects familiers. Plus loin, le défenseur Dejan Lovren, qui a joué trois ans à Lyon et est désormais au Liverpool FC, avec lequel il a atteint la finale de la Ligue des champions, ouvre de grands yeux, quand il évoque son homologue français Samuel Umtiti : «Il était tout petit quand je l'ai connu à Lyon, et le voilà en face en finale de Coupe du monde ! Je suis resté en contact avec lui et Lloris, mais on se parlera plutôt après le match.»
«Les joueurs de 1998»
Pour autant, contrairement à la plupart de ses camarades, il ne nie pas l'aspect revanchard de l'affiche, vingt ans après la demi-finale perdue par les Croates contre les Bleus de Deschamps et Thuram, lors du premier Mondial de l'histoire de son pays. Mais comme eux, il pense, non sans arrogance, surtout à sa propre histoire : «En nous qualifiant pour la finale, nous avons obtenu que les gens se souviennent de nous comme ils se rappellent des joueurs de 1998. C'est ça que je voulais. Nous avons fait l'histoire, celle de la Croatie, mais aussi celle de la Coupe du monde, en jouant trois prolongations de trente minutes et en jouant ensuite mieux que les Anglais, avec des jambes plus fraîches à la fin. Et ça nous plaît que la France soit favorite, on aime être l'outsider.»
Le défi Mbappé ? «Il y a trois ans, il jouait contre mon petit frère en sélection de jeunes. Je ne vois pas pourquoi je devrais être excité de jouer contre lui. Il va à une vitesse incroyable, c'est l'un des meilleurs attaquants au monde, mais il l'est avec d'autres contre qui nous avons joué, et ça s'est bien passé.» Lovren poursuit : «Notre principale arme, c'est notre mentalité. Nous avons traversé des choses difficiles. Nous avons connu la guerre, et même maintenant, la situation du pays n'est pas idéale. C'est invraisemblable le nombre de talents sportifs dont nous disposons [pour un si petit pays, ndlr]. Regardez en basket, au handball, au tennis, au water-polo… Pourquoi ? Je ne sais pas.»
Un mort-vivant
Mais s'il est un joueur croate pour lequel toutes les cordes dramaturgiques de cette finale devraient vibrer de concert contre la France, c'est Ivan Perisic - toutefois incertain de jouer dimanche, blessé à la cuisse. L'ailier de l'Inter Milan, homme du match, buteur et passeur décisif en seconde mi-temps contre l'Angleterre mardi, après avoir paru, comme ses coéquipiers, se traîner comme un mort-vivant lors de la première période, est arrivé en France à 17 ans. Né dans une ferme, Perisic a quitté il y a douze ans le Hajduk Split, son club de cœur dont il n'aura jamais porté le maillot en pro, pour Sochaux, où l'attendait un contrat de quatre ans dont la prime à la signature permettait de sauver l'exploitation paternelle et ses poulets. Ce n'est pourtant pas dans le Doubs que sa carrière a pris son envol, puisqu'une fois sa formation achevée, Sochaux le cède au FC Bruges pour 250 000 euros sans lui avoir fait disputer un seul match. En 2017, l'Inter déclinait une offre de transfert de Manchester United évaluée à 50 millions d'euros. Il ne faut toutefois pas jeter la pierre aux seuls entraîneurs sochaliens pour n'avoir pas su discerner le potentiel entre leurs mains : interrogé vendredi par l'Equipe, un recruteur spécialisé dans le marché des Balkans révélait qu'il avait proposé aux Girondins de Bordeaux le profil («Voulez-vous d'un milieu de terrain polyvalent possédant quatorze poumons ?») d'Ivan Rakitic, alors inconnu et âgé de 17 ans. Et essuyé un refus poli. Dimanche, le milieu bardé de trophées du FC Barcelone, qui constitue avec Luka Modric l'un des principaux atouts de sa sélection, ajoutera lors de la finale un 71e match à sa saison, devenant ainsi le joueur le plus sollicité au monde en 2018.