Joueur iconique de la Belgique (87 sélections entre 1975 et 1991), ancien coach de l’OM, de Galatasaray et de la sélection marocaine, à 64 ans Eric Gerets livre son ressenti sur cette Coupe du monde.
Le bilan du Mondial
«C'est une coupe du monde fraîche, positive. Il y a eu pas mal de bons matchs avec beaucoup d'émotions (Portugal-Espagne (3-3), Belgique-Japon (3-2), France-Argentine (4-3)…) mais pas de grands matchs qui resteront dans la mémoire, à part peut-être pour nous autres, le Belgique-Brésil (2-1). Comme souvent, les joueurs des grosses sélections qui évoluent dans les grands clubs européens sont arrivés éreintés. Les favoris (Espagne, Allemagne, Brésil) ont disparu plus vite que prévu. Ce n'est plus une surprise en soi, c'est la même rengaine depuis vingt ans [quatre des cinq derniers champions du monde ont été éliminés au premier tour de la Coupe du monde suivante, ndlr].»
France-Belgique
«Un nul aurait été plus honnête, plus correct mais il fallait un vainqueur. Dommage pour nous, tant mieux pour vous. On était invaincus depuis 24 matchs, presque deux ans et on est tombés au plus mauvais moment. La France était mieux organisée, plus compacte. Elle a replié ses troupes pour nous priver d'espaces, de profondeur de champ et c'est exactement ce qu'il fallait faire. L'absence de Meunier n'a pas été si préjudiciable que ça : il n'est jamais aussi performant que lorsqu'il y a de la place dans son couloir comme contre le Brésil ; là, il n'y en avait pas. Roberto Martinez a fait du grand travail. Il a modelé l'équipe à chaque match en fonction de l'adversaire et du challenge à relever. Contre le Japon (en 8e de finale), il a fait rentrer Chadli et Fellaini qui ont tous les deux marqué alors qu'on était menés (0-2). Contre le Brésil, il fait jouer Chadli comme un super arrière latéral gauche qui occupe tout le couloir, il a déplacé Lukaku sur la droite et De Bruyne a joué en faux numéro 9. Du travail d'orfèvre.
«Il a donné une nouvelle mentalité, une autre confiance aux Diables. On a proposé du jeu, on a attaqué dès qu'on a pu, on a marqué des buts [14 en 6 matchs, meilleure attaque du tournoi], ne manque que la cerise sur le gâteau. Demain, les Diables joueront la petite finale pour faire mieux que nous en 1986 [la Belgique avait alors fini 4e de la Coupe du monde au Mexique, sa meilleure performance]. On a un gardien qui est peut-être le meilleur du monde, une défense bien meilleure que prévue surtout quand Vermaelen et Kompany ne sont pas blessés, un milieu performant et une attaque de feu qui sera encore là dans quatre ans. De quoi nous rendre fiers d'être belges.»
Croatie-Angleterre
«C’était un match curieux, les Anglais ont dominé au début et ils ont cédé peu à peu. Une mi-temps chacun mais après le repos, on a retrouvé une autre Croatie. Après deux prolongations lors des tours précédents, on s’attendait à la voir décliner mais c’est le contraire qui s’est produit. Comme si elle avait changé d’état d’esprit. Modric est redevenu le régisseur génial qu’on connaît et la Croatie est redevenue l’équipe complète du premier tour avec de la technique, de la vitesse, une bonne bascule entre défense et attaque et son mental à toute épreuve. On la sent, comme en 1998, portée par tout un peuple. L’Angleterre a montré toutes ses limites dans ce match. Des coureurs à pied, une équipe structurée, sans génie, qui joue en fonction de ses propres limites. Ce qui est en soi une preuve d’intelligence mais s’est avéré insuffisant. Elle était forte sur les coups de pied arrêtés, dans les airs mais même Harry Kane ne pouvait pas faire de miracle pour elle. Elle s’arrête là et ça n’est pas une surprise.»
France-Croatie, la finale
«La Croatie a offert de multiples visages depuis le début de la compétition. Les Bleus ne savent pas auquel ils vont devoir faire face : l’équipe brillante du premier tour qui a survolé son groupe ? La sélection brouillonne de la phase à élimination directe qui a raté un penalty en prolongation contre le Danemark, qui a concédé l’égalisation à la Russie en bout de rencontre ou l’ouverture du score à l’Angleterre, et qui s’est qualifiée quand même ? Un mix des deux ?
«Comme la Croatie, la France est une équipe complète, capable de subir comme d’envoyer des flèches empoisonnées en contre. L’épine dorsale de l’équipe donne le ton. Lloris a fait un super tournoi ; Varane est la tour de contrôle de la défense ; Kanté n’a l’air de rien mais c’est un monstre qui prend tous les ballons tandis que Griezmann et Mbappé sont hors concurrence. Forte sur les phases arrêtées, disciplinée malgré son jeune âge, la France dispose en plus d’une sacrée profondeur de banc. Comme en plus, les Croates ont joué trois prolongations lors des trois derniers matchs, elle devrait être championne du monde. Sauf, qu’en face, les Vatreni joueront pour l’histoire de la sélection nationale, celle de leur pays surtout, et de la part des Croates, plus rien ne me surprend. En y repensant, leur parcours ressemble à celui de Goran Ivanisevic, vainqueur [croate] de Wimbledon en 2001, à 30 ans alors que plus personne ne l’attendait, après trois échecs en finale et avoir bénéficié d’une invitation au début du tournoi. A la fin, il gagne le plus grand tournoi du monde, (9/7) au cinquième set. C’était écrit. Ce sera peut-être pareil pour l’équipe de foot.»