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Equipe de France

Raphaël Varane, le taulier qui a franchi un cap

Coupe du monde 2018dossier
Où qu’il soit, le Madrilène de 25 ans s’est imposé comme un pilier de l’équipe : sur le terrain, dans les vestiaires et devant les journalistes.
Raphaël Varane en quart face à l’Uruguay, le 6 juillet. (Photo Hassan Ammar. AP)
publié le 13 juillet 2018 à 20h16

L'intérêt est brusquement monté d'un cran : un couloir du stade de Saint-Pétersbourg dans la nuit de mardi à mercredi, plus d'une heure après la victoire (1-0) française en demi-finale, le défenseur des Bleus Raphaël Varane, droit comme un «I» devant les micros et un journaliste qui lui soumet l'écœurement belge relatif au jeu tricolore («ils ne jouent pas», «ils ne font que défendre», etc.). L'usage aurait voulu que Varane ironise en disant : «J'aime mieux jouer comme un cochon et gagner une demi-finale que faire l'artiste et la perdre.» Eh bien pas du tout. Le Madrilène de 25 ans a réfléchi comme le menuisier pose sa planche sur l'établi. Puis, il a donné une réponse claire, personnelle, disant sa fierté tout en s'ouvrant - sans ironie aucune - à la pluralité des points de vue. On a été traversé d'une intuition : il sait mieux que personne ce qu'Eden Hazard, Thibaut Courtois et consorts ont voulu dire. Il le sait même mieux qu'eux.

Epargne-retraite

On pourra toujours réécrire l'histoire : Varane est le meilleur joueur tricolore depuis cinq semaines. On a longtemps cru qu'il était l'incarnation d'un système ; un polytechnicien du foot professionnel à 17 ans, dans le vestiaire du Real Madrid à 18, capitaine de l'équipe de France à 21 et quadruple champion d'Europe avec les Merengues à 25, pesant ses interventions sur le terrain et en dehors comme on élabore un plan d'épargne-retraite et travaillant le lisse avec une componction obstinée. Le Mondial russe dit le contraire : Varane est partout… Sauf là où on croit qu'il est. «Il a évolué, expliquait le milieu Blaise Matuidi vendredi. Il a pris de l'envergure dans le vestiaire et sur le terrain il a clairement passé un cap, il s'extériorise beaucoup plus et ça nous aide énormément. Là, c'est la taille patron.» Les Bleus savent tous ce qu'ils lui doivent. Curieusement, on l'a senti venir avant que les choses sérieuses ne commencent avec les matchs à élimination directe et il faut y voir une double curiosité.

D'une part, la prescience chez les acteurs, développée par la haute compétition, du rôle qu'ils vont être en mesure de tenir dans un futur proche, comme s'ils disposaient d'une myriade d'indices pour lire l'avenir et leur capacité à l'infléchir. Ensuite, le Lillois de naissance nous aura fait profiter de cette prescience : dès le début du rassemblement à Clairefontaine, on l'a vu substantialiser son discours public, prudemment d'abord, à pas de géant ensuite. On en vient d'ailleurs à se demander où il compte s'arrêter. Alors que les questions énamourées sur l'influence de Deschamps pleuvaient après le succès face aux Belges, Varane allait contre le vent : «Le sélectionneur instaure une dynamique et celle-ci passe par des règles. Mais après, ce sont ceux qui sont sur le terrain qui jouent les matchs.»

Chef du navire

Didier Deschamps l'avait écarté avant l'Euro 2016 pour une blessure que le défenseur estimait bénigne : Varane a imputé devant la presse la rage froide exprimée après son but contre la sélection uruguayenne (2-0) à ce qu'il persiste à voir comme une injustice. Il aurait pu défausser, balancer «le groupe vit bien» ou encore «le sélectionneur est le chef du navire» (Matuidi vendredi), mais ce n'est pas ce que la question lui inspirait. Ce n'est pas non plus ce qu'il avait envie de dire et il y a peut-être quelque chose de plus profond derrière : la conviction que le caractère de l'homme fait celui du joueur. Un troisième front : exister devant les micros, c'est aussi exister dans le vestiaire et sur le terrain. On confesse avoir trouvé ça curieux. Du coup, il s'était expliqué : «Cette saison, avec le Real Madrid, j'ai répondu présent dans les moments clés [jusqu'à remporter la Ligue des champions, ndlr], mais là où ça s'est vraiment joué, c'est sur la régularité. Mes moments "bas" étaient plus hauts, si vous voulez. Et c'est parce que vous y parvenez que l'on vous voit différemment, et parce que l'on vous voit différemment que vous parvenez à apporter une certaine fiabilité dans les moments clés.» CQFD.

L'apport de son désormais ex-entraîneur à Madrid, Zinédine Zidane ? «Pas simple les six premiers mois. Il ne me faisait pas jouer. J'ai dû me battre pour gagner ma place et sa confiance.» On a déjà vu des hommages plus chaleureux, mais ils sonnent aussi plus faux. A l'oral, le gaillard est urbain : quand il craint que sa réponse puisse être perçue comme coupante par son interlocuteur, il se fend d'un petit rire, quelque part entre la légèreté et le second degré. Plus globalement, le Varane qui vient devant les micros est une sorte de principe de réalité ambulant. Partant, il n'est jamais gai. Et il n'est jamais triste.