Le sifflet à la bouche, Kutaiba Alhusieen s'apprête à donner le coup d'envoi du match. Sur le terrain, une vingtaine d'enfants, âgés de 6 à 14 ans, ont les yeux rivés sur le ballon rond. Au signal du coach, l'effervescence gagne instantanément l'aire de jeu de Chatila, dans le sud de Beyrouth. Sous les encouragements de leurs camarades, les apprentis footballeurs se lancent dans une course effrénée à l'affût du ballon. «Ils ne manquent pas d'entrain ! s'amuse l'entraîneur. C'est bien, cela leur permet de se défouler.» Tous les samedis matin, plus de 350 joueurs en herbe originaires de Syrie, d'Irak et de Palestine, participent aux entraînements de football dispensés par l'ONG danoise Game dans leur quartier.
Tristement célèbre pour le massacre de civils dont il a été le théâtre en 1982 pendant la guerre civile libanaise (1975-1989), le camp de réfugiés palestiniens de Chatila abrite aujourd'hui, d'après le Comité de dialogue libano-palestinien, plus de 14 000 déplacés sur une surface de moins d'un kilomètre carré. Les conditions de vie y sont très précaires. En proposant une activité sportive gratuite, l'association danoise cherche ainsi à sortir les enfants d'un quotidien difficile. «La plupart ont fui la guerre en Syrie, ils sont psychologiquement fragiles, poursuit Kutaiba Alhusieen. Ils ont beaucoup de mal à tisser des liens mais sur le terrain, la donne change.»
Brasser les populations
Derrière la ligne de touche, Simon Prahm, le directeur et cofondateur de l'ONG observe le match en cours. «Le football est très fédérateur, confirme-t-il. Peu importe à quelle communauté ils appartiennent, quand ils viennent ici, les enfants comprennent qu'ils partagent tous la même passion du sport.» Dans un pays multiconfessionnel comme le Liban où près d'un million et demi de réfugiés ont fui les violences de la guerre en Syrie voisine, Simon Prahm aspire avant tout à brasser les populations. «J'adore venir ici, interrompt Ferah, apprenti footballeur syrien de 9 ans. Je joue avec les copains, comme Cristiano Ronaldo !» glisse-t-il avant de courir rejoindre ses coéquipiers. Fin août, Ferah et ses amis participeront au tournoi annuel de football organisé par l'ONG à Beyrouth. Au total, plus de 3 000 jeunes réfugiés à travers le pays s'entraînent avec Game.
Le combat de Simon Prahm aujourd'hui, c'est d'augmenter le nombre d'espaces publics, quasi inexistants, au Liban. «Les cours sont limitées car nous devons louer les terrains, précise-t-il. Si nous pouvions avoir gratuitement accès à des équipements publics, les enfants pourraient jouer tous les jours.» Il y a un an et demi, le directeur de l'organisation danoise a ainsi lancé la campagne «Looking for a place to dream» – une application mobile à travers laquelle les utilisateurs partagent sur les réseaux sociaux des photos d'espaces abandonnés, accompagnées d'une émoticône en forme de but. L'objectif : montrer que des terrains sont disponibles, tout en exerçant une pression sur la classe politique pour y avoir accès.
Le jeu continue
«L'intérêt est double : démocratiser la pratique du sport et par là même, contribuer à l'émergence de nouveaux talents, commente Simon Prahm. Sur le long terme, cela pourrait permettre à certains pays de la région de participer à la Coupe du monde !» Depuis l'implantation de Game au Liban en 2007, quelques apprenti(e)s footballeurs ont rejoint des équipes nationales mais le cofondateur de l'ONG reste formel : former des joueurs de Ligue 1 n'a jamais été son ambition. «Si nous éveillons des vocations tant mieux, mais tous n'ont pas l'opportunité de se professionnaliser. Rejoindre une académie reste très coûteux», tempère-t-il. Sur le terrain, le jeu continue. Les enfants tentent des dribbles pour atteindre les cages, attentifs aux consignes de leurs entraîneurs – d'anciens apprentis footballeurs de Game pour la plupart. En onze ans, l'ONG a formé plus de 200 éducateurs au Liban. «Vous voyez, c'est cela qui compte pour nous, souligne Simon Prahm. Créer du lien et favoriser l'entraide. Les coachs d'aujourd'hui rendent à la communauté le temps et les conseils qu'ils ont reçus plus jeunes.»