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Mondial 2018, cinq stades de Bleus

Du premier pied posé sur le sol russe à la finale de Moscou, la folle épopée tricolore en images.
Mbappé en conférence de presse le 13 juin à Istra. (Photo Franck Fife. AFP)
publié le 15 juillet 2018 à 19h16

1/Istra, hôtel New Jérusalem, le 13 juin : Mbappé prend la main

Une déflagration à l'échelle tricolore : un gosse de 19 ans vient se poser devant les micros la veille de l'ouverture d'une Coupe du monde pour t'expliquer pendant une demi-heure que la compétition qui s'ouvre sera la sienne, annexant du même coup l'équipe de France comme en passant, sans même y songer. 1/ s'est pointé en casquette : seul Paul Pogba osera en faire autant. Pogba, justement ? «Ah… vous connaissez Paul…» Un rigolo : moi, Kylian, c'est du sérieux. Antoine Griezmann ? «Il a eu un petit passage à vide après l'Euro 2016 mais il a bien réagi, ça montre le joueur qu'il est.» Ousmane Dembélé, 21 ans tout juste, de la même génération que Mbappé ? «Un ami fort ! Même âge, même centres d'intérêts… Jouer avec lui, c'est facile. Tout le monde aurait une complicité technique avec lui : il est percutant, habile des deux pieds, capables de jouer à une touche de balle…» Un anti-portrait minutieux d'Olivier Giroud (ni percutant, ni habile des deux pieds, ni…), concurrent de Dembélé dans le onze type du sélectionneur Didier Deschamps et dont Mbappé ne veut manifestement pas. Deux façons de voir, deux chemins, et les Bleus à un embranchement. L'option Mbappé : la jeunesse, les courses, une sorte de magie insolente raccordée au football comme enfance de l'art. L'option Giroud : un 4-4-2 (quatre défenseurs, quatre milieux et deux attaquants) plus austère, défensif, laissant la part belle à ce que le foot français considère depuis le succès de 1998 comme un principe de réalité. Mbappé a alors la main : va pour Dembélé contre l'Australie le 16 juin à Kazan, où la victoire (2-1) et les difficultés permettront à Deschamps de faire coup double : les trois points dans la musette, Giroud dans le onze le coup d'après.

Hernandez face au Péruvien Pedro Aquino. Photo Franck Fife. AFP

2/Iekaterinbourg, France-Pérou, le 21 juin : un «petit déclic»

Près d'un mois plus tard, Antoine Griezmann parlera de la victoire (1-0) contre une très forte équipe sud-américaine, capable de plier la Croatie (2-0) en amical, comme d'un «petit déclic» «On est revenus à un 4-4-2 classique, les joueurs étaient très regroupés et proches les uns des autres, on était «bloc bas» [c'est-à-dire compactés dans le camp français, en attendant l'adversaire, ndlr]… On a trouvé quelque chose.» Pour la première fois, l'entraîneur (Ricardo Gareca en l'espèce) d'une sélection qu'affrontent les Bleus lâche la phrase suivante : «On a maîtrisé le match.» Ce ne sera pas la dernière. Depuis les tribunes du stade de Iekaterinbourg, l'impression était plus mitigée. Les Péruviens ont de fait eu le ballon durant les deux tiers de la partie, bousculant une sélection tricolore s'accrochant aux branches. Pour autant, les Bleus ne sont pas apparus en danger après l'ouverture du score de Kylian Mbappé peu après la demi-heure. Et c'est un Hugo Lloris décontracté qui vient faire le service après-vente à l'issue de la rencontre : «On a fait un match très supérieur [à celui de l'Australie]. Nous avons été forts dans les duels, forts aussi sur les deuxièmes ballons [ceux qui échappent aux deux équipes après les tentatives repoussées, ces «deuxièmes ballons» vont ainsi à l'équipe la plus déterminée ou la plus forte physiquement] et j'ai vu du calme, de la lucidité et de la maîtrise.» Les Bleus ont vu la lumière : ils vont y aller en charbonnant. Une semaine plus tard, à la veille d'un huitième de finale dangereux contre l'Argentine de Lionel Messi, la question du caractère sera posée au défenseur Samuel Umtiti. Qui dira : «Je pense qu'on en a. Contre le Pérou, en tout cas, j'en ai vu.»

Referee Mohammed Abdulla Hassan and Olivier Giroud of France during the FIFA World Cup match Group C match between France and Peru at Ekaterinburg Arena on June 21, 2018 in Yekaterinburg, Russia. (Photo by Anthony Dibon/Icon Sport)Giroud, le 21 juin face au Pérou. Photo Anthony Dibon. Icon Sport

3/Istra, le 22 juin : Giroud pousse le bouchon

La victoire contre le Pérou est toute fraîche et c'est Olivier Giroud, initialement écarté contre les Australiens et revenu face aux Péruviens dans une configuration tactique plus fermée, qui se présente devant la presse. Facile. «Je suis content, explique-t-il. Vous savez comme moi que j'étais attendu. J'ai apporté ma pierre à l'édifice. Je suis content parce qu'on a eu une bonne réaction après un premier match mitigé.» Giroud est une parabole. Sorti du rang (la Ligue 2 avec Tours, à 23 ans) pour se propulser au milieu de joueurs multimillionnaires avant même d'atteindre la vingtaine, il a compris depuis longtemps que sa bonne fortune passait par le fait de cultiver l'espace vital d'attaquants plus forts que lui, et non de se créer le sien propre. On appelle ça un joueur d'équipe. Mais ce jour-là, il va pousser le bouchon. A une question portant sur Mbappé, il lâche : «Pour progresser dans le foot moderne, il faut observer et être enclin à apprendre. Les attaquants doivent faire les efforts défensifs aussi. Si le mec devant toi [lui, en fait] fait le boulot, tu dois le faire aussi.» L'enfant-roi du foot français a dû s'étrangler. Et tout le Landernau avec lui : un peu comme si Jean-François Copé donnait des leçons de sens politique à Emmanuel Macron. Pas chien, à moins qu'il ne soit complètement focalisé sur le jeu et le terrain plutôt que sur les querelles d'ego dès qu'il enfile un short, Mbappé donnera deux ballons de but à Giroud lors de la demi-finale face aux Belges, dont le second (à la 54minute) sur une talonnade qui sera LE geste technique de ce Mondial 2018. Giroud ne profitera d'aucune des deux. Avant de faire, avec honnêteté, son mea culpa à la fin du match.

Pavard, le 30 juin, après son but contre l'Argentine. Photo Saeed Khan. AFP

4/Kazan, France-Argentine, le 30 juin : Pavard, le but de nulle part

«La veille au soir, j'avais pensé que je pouvais faire une passe décisive. Bon, je marque.» Une heure après la victoire (4-3) en huitième contre l'Argentine, le défenseur Benjamin Pavard est encore en nage. Douché, pomponné, tiré à quatre épingles mais en nage. «J'aime bien frapper en ciseaux [l'une des deux jambes fait le mouvement de frapper mais c'est l'autre pied qui frappe quand la première jambe revient, ndlr]. On a vu la rage que j'avais. Bon, souvent, ça fait des drops, ça part là-haut, je descends les pigeons.» Pince-sans-rire ? Même pas. Le Nordiste dit ça, puis il passe à autre chose. Il remercie ses parents puis son agent, qui l'a placé à Stuttgart en Ligue 2 allemande - pas vraiment un exploit de placer un mec pareil en Ligue 2 allemande - voilà deux ans seulement. «Je prends ce qu'il y a à prendre, je mouille le maillot et je sais que ça va vite.» Ah ça… 57e minute du huitième de finale : les Bleus ont dominé les vice-champions du monde argentins, mais voilà, ces types-là ont de la moelle, ils ont trouvé les chemins invisibles, Lionel Messi s'est ébroué pour lâcher deux passes décisives et l'Albiceleste est devant (2-1). Pour la première et dernière fois avant la finale, les Bleus sont menés au score. Les gamins prennent les choses en main : le défenseur latéral gauche Lucas Hernandez pousse les feux de son côté et son pendant à droite, Pavard, s'essaie au tir aux pigeons. Deschamps, la veille de la finale face aux Croates : «On peut prévoir beaucoup de choses, faire passer les messages, parler "sérénité", "confiance" et "concentration" aux joueurs avant les matchs mais quand c'est l'arrière-gauche qui centre pour l'arrière-droit et que celui-ci met le ballon en pleine lucarne, si je vous dis qu'on l'a travaillé à l'entraînement, vous allez bien rigoler.»

Griezmann, samedi à Moscou. Photo Gabriel Bouys. AFP

5/Istra, le 13 juillet : Griezmann en toute innocence

Quarante-huit heures avant la finale face à la Croatie de Danijel Subasic, Griezmann vient clôturer les circonvolutions médiatiques des Bleus. La charge symbolique est réelle : attendu comme le leader offensif des Bleus avant la compétition, le Madrilène a moins pesé que prévu, avec trois buts dont deux penaltys, deux passes décisives sur coups de pied arrêtés et cinq remplacements en cours de jeu en six rencontres, le sélectionneur ayant pérennisé ce qui ressemblait initialement à un avertissement au joueur. Pour autant, c'est un Griezmann sur ses appuis qui s'exprime ce jour-là : «Quand j'étais meilleur buteur de l'Euro 2016, on a perdu [en finale après prolongations face au Portugal] donc là, je me suis dit : "Essaie de mettre moins de buts et peut-être qu'on va gagner."» L'insouciance : une boucle cosmique reliant l'été 2018 aux tout premiers pas du joueur en sélection, lors du Mondial 2014, où l'attaquant tout juste sorti d'Espagne ne se rendait compte de rien pendant que Karim Benzema rejetait Olivier Giroud pour lui faire une place dans l'équipe. Griezmann est toujours un peu décalé, un peu ailleurs. Sur son capitaine et gardien Hugo Lloris, rhabillé en réveille-matin : «Ce n'est pas parce qu'il fait de grosses parades qu'on va être plus amis, on s'en fiche de ça. A chaque match, il nous fait un gros arrêt et c'est là que l'équipe se réveille.» Sur son «vive la République», lâché en toute innocence après l'Argentine : «Ah mais on est bien en France ! On mange bien, on a de beaux Français, de bons joueurs, de bons journalistes… J'ai envie que les jeunes disent aussi "vive la France !"» Rejeté par le système hexagonal, Griezmann a trouvé l'asile footballistique en Espagne à l'âge de 14 ans. Mais c'est vrai que ça n'empêche rien.