Le commissariat d'Arras se trouve rue de la Liberté. «Vous venez pour votre voiture ? C'est pour le Tour de France ?» Les gens rigolent. Sauf une dame blonde, dans le genre prof : «Mais pourquoi ils enlèvent les bagnoles la veille au soir alors que la caravane part d'Arras le lendemain à 10h30 et l'étape à 13h30 [en direction de Roubaix, ndlr] ? C'est un impôt indirect !» Un homme qui ressemble à un ancien cycliste raconte : «On était en train de boire un coup dehors. On levait un verre chaque fois qu'on voyait un connard se faire embarquer sa voiture par la fourrière. Tout à coup, c'était nous aussi les connards !»
«J’ai seulement deux mains et un cerveau»
Samedi, la police voit alors confluer le monde rue de la Liberté : «Oulalah !» Humour : «C'est ce qu'on doit appeler le défilé du 14 Juillet !» Il y a au moins 15 personnes dans le hall en carreaux clairs avant minuit, des couples, des gens seuls, des étrangers qui ne comprennent rien, des locaux qui comprennent qu'il faudra aller chercher leur voiture en dehors de la ville, à pied, en taxi ou en véhicule de police sympa, sur des rues qui sentent le feu de bois en été, pour échouer dans des hangars avec des mecs tatoués, des chiens-loups et des clous au sol. On entend : «Ça va faire cher le verre en terrasse.» «Pour une fois que j'étais bien garée… Il y avait juste une interdiction dans le coin.»
Les gens continuent d'arriver, on dirait une soirée de réveillon. Un poulet : «Faites la queue.» Un homme, qui a déjà testé les fourrières à Paris : «C'est un peu fouillis, votre truc.» Le chef : «Vous voulez prendre ma place ?» Il faut attendre entre une et deux heures pour un formulaire tamponné. Une légende se vérifie : les policiers tapent à l'ordi avec un seul doigt. Le chef dit à un étranger : «Je peux pas aller plus vite, j'ai seulement deux mains et un cerveau, que j'essaie d'irriguer correctement. Vous pouvez lui traduire ?»
«Y’en a pas un seul pour meurtre ici ?»
Libération appartient au club des «connards». Un repas sur la Grand-Place et plus de Clio au retour. Les autocollants «Tour de France» qui bavent sur le pare-brise n'ont servi à rien. On apprend que d'autres véhicules stickés ont été emportés ce soir-là, propriétés de l'organisation de la course, mais pas les Skoda rouges de direction comme celle du directeur du Tour, Christian Prudhomme, qui doit à cette heure-ci roupiller. Révélation d'un garagiste : «Les gens du Tour essaient de nous faire croire qu'ils ont le droit de se garer n'importe où, mais ils n'ont pas la preuve.» Magie du Tour de France qui se noie dans ses propres directives de sécurité.
Un mec entre et voit la file d'attente : «Y'en a pas un seul pour meurtre ici ?» Une femme s'indigne : «Faire ça un soir de fête nationale !» Discussions : «Moi je comprendrais que ma bagnole soit enlevée pour Macron, et encore !» Un autre mec se met à parler très fort à la police : «Ce n'est pas contre vous mais c'est nul de faire ça pour le Tour de France.» Un poulet dit qu'il faut écrire au maire. Un autre qu'il faut écrire au préfet. Le chef passe une tête : «Vous voulez finir en cellule de dégrisement ?» L'homme qui parle fort continue de parler fort : «Le système est mal fait.» Le chef poulet n'a pas de cheveux, il ressemble à un gentil dans un western. Il se gratte la tête : «Madame, dites à votre mari de vous raisonner !» Elle répond : «On n'est pas marié.»
Pot aux roses
On entend le feu d'artifice mais on ne voit rien. Les cas de non-fourrière arrivent avec minuit. Une dame qui dit qu'on l'a tapée, un monsieur qui braille et qui commence à trouver qu'il y a des gens «pas Français» dans ce commissariat. Il raconte : il a fait de la prison, il a été blessé, il va porter plainte. Si on se moque de lui, ça va mal finir. Le chef le regarde comme un habitué. Les «victimes» passent dans une pièce à côté. On ne sait pas quand, ni comment elles vont s'en sortir.
C'est le moment des explications. Une dame qui est «dans le commerce» croit avoir trouvé le pot aux roses : «La mairie aurait dû bloquer les routes mais elle n'a pas osé, elle a laissé les gens manger et boire pour faire tourner les commerces du centre-ville. Et au retour, la prune !» Dehors, les dépanneuses continuent de tourner. A 2 heures du matin, plus de 100 véhicules avaient été ramassés. Ça fait plus de 12 900 euros de «frais de stationnement», sans compter les amendes (environ 35 euros x 100). La dame dans le commerce lève les yeux au ciel : «Vous comprenez pourquoi je n'aime pas le sport !»