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Syndrome

Coupe du monde : pour les joueurs, le fardeau de l’année d’après

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Comme quelque chose d’inéluctable, l’année post-Coupe du monde peut s’avérer catastrophique pour les footballeurs. Organisme à bout, mental en berne, ils ont souvent beaucoup de mal à enchaîner la «saison d’après». Comment l’expliquer ?
Antoine Griezmann, samedi à Moscou. (Photo Gabriel Bouys. AFP)
par Sami Mouafik
publié le 16 juillet 2018 à 12h33

La pression sur le dos des footballeurs durant un Mondial est immense. Un mois durant, ils ne vivent et ne respirent que pour soulever le graal. Un conditionnement tel qu'il en devient éreintant pour l'organisme. «Il faut comprendre que pendant un mois entier, les joueurs sont dans un état de tension extrême. La pression ne redescend pas. Cela a des conséquences importantes sur l'organisme», précise Jean-Baptiste Grisoli, ancien médecin de l'équipe de France de rugby et spécialiste du sport. Une mise sous tension sans relâche qui, une fois le tournoi terminé, lessive totalement les joueurs. Le niveau de stress est tel, que ces derniers ont souvent besoin de beaucoup de temps pour s'en remettre. «L'énergie mentale dépensée est énorme, et le retour à la réalité très difficile», précise le médecin.

Pas de vacances

Autre problème : les joueurs qui participent au Mondial n'ont presque pas de vacances. «Pendant que certains joueurs sont à la Coupe du monde, les autres ont déjà repris l'entraînement avec leurs clubs. Lorsqu'ils rentrent, ils doivent très vite enchaîner», souligne le docteur Grisoli. Cette absence de vacances joue sur le moral et la fatigue mentale des joueurs. «C'est comme si vous aviez une année très chargée au travail, et on vous dit "tu reviens lundi, à la photocopieuse"» caricature-t-il. A l'intersaison, les joueurs sont en vacances. Elle leur permet de recharger les batteries afin de revenir à bloc. «Un joueur a besoin de vacances il ne peut pas enchaîner deux saisons d'affilée, c'est impossible.»

Conscients du problème, les clubs trouvent des solutions. «Ce sont des méthodes de management, cela dépend aussi des clubs.» Certains promettent des vacances en hiver, une sorte de «carte blanche» afin de galvaniser les joueurs et de les garder concentrés sur la première partie de saison. D'autres, les laissent revenir plus tardivement de la Coupe du monde, mais cela peut les pénaliser fortement. «Un club comme la Juventus, qui achète Ronaldo, n'a pas envie que le joueur revienne en septembre. C'est un investissement.»  explique Jean-Baptiste Grisoli.

Des organismes à bout

La Coupe du monde est sans aucun doute le tournoi le plus difficile. En termes de fatigue mentale donc, mais également de fatigue physique. Pour aller au bout, il faut disputer 8 matchs, les uns toujours plus intenses que les autres. A partir du quatrième match, c'est-à-dire des huitièmes de finale, chaque rencontre peut potentiellement durer 120 minutes (en cas de prolongations). Autant dire que les organismes prennent chers, très cher. «En Coupe du monde, tout va plus vite. La dépense en énergie physique est énorme», poursuit le médecin.

Ajouter à cela des saisons en club presque interminables. Aujourd'hui, les plus grands joueurs peuvent jouer près de 70 matchs par saison s'ils ont enchaîné championnat, coupes d'Europe et Mondial, à l'image du Croate du Barça Rakitic qui a joué dimanche en finale son 71e match.

Manque de motivation

Gagner la Coupe du monde est l'aboutissement ultime pour tous footballeurs, qui le savent. Ils sont prêts à tout pour atteindre cet objectif. En 2014, Messi a été très critiqué pour sa saison avec le FC Barcelone. On lui a reproché de se préserver pour la Coupe du monde qui avait lieu en fin d'année. Plus récemment, Neymar a préféré sacrifier totalement sa fin de saison avec le Paris-Saint-Germain, afin d'être sûr d'être en mesure de participer à la compétition. Une telle motivation, qui a pour conséquence de se supplanter aux autres. «Les joueurs dépensent de l'énergie, énormément de concentration. Suite à cela, il faut faire le deuil, le retour à la réalité est très compliqué. La vie quotidienne paraît fade pour les joueurs.»

«Pas une fin en soi»

L’exemple français le plus évocateur est celui de Zinédine Zidane lors de la saison 1998-1999. Erigé au statut de légende vivante après la Coupe du monde 1998, ballon d'or, la saison qui suit est compliquée pour le numéro dix des Bleus. Emprunté, il dispute vingt-cinq matchs et n’inscrit que deux buts à la Juventus.

Cependant, certains joueurs arrivent à enchaîner après la Coupe du monde. «C'est au cas par cas, tout dépend du professionnalisme du joueur. Certains appliqueront parfaitement la préparation physique adaptée, d'autres sont moins sérieux», explique le docteur Grisoli. L'exemple de Messi en 2014-2015 est très évocateur. Après avoir disputé l'intégralité des matchs de la compétition (8 au total), l'Argentin, sacrée ballon d'or, a réussi à effectuer une des meilleures saisons de sa carrière (62 buts, 31 passes décisives). «De nombreux joueurs arrivent à enchaîner une belle Coupe du monde et une belle saison. Ca n'est pas une fin en soi, mais c'est un phénomène bien réel», conclut le médecin.