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Didier Deschamps : «Là, j'ai fait simple»

Coupe du monde 2018dossier
Après la victoire, le sélectionneur français, à nouveau champion du monde, a répondu aux questions de la presse. Il a parlé de l'avenir des joueurs, de son histoire à lui, de la victoire de l'Argentine et de cette finale remportée.
Didier Deschamps après la victoire, le 15 juillet à Moscou. (Photo Jewel Samad. AFP)
publié le 16 juillet 2018 à 6h57

«Oh putain...» Didier Deschamps a déboulé en conférence de presse trempé : à peine la première question posée, une quinzaine de joueurs – Paul Pogba en chef de bande, Benjamin Mendy, Blaise Matuidi, Corentin Tolisso, Samuel Umtiti, Antoine Griezmann... – lui retombait sur le râble pour l'arroser encore au champagne, piquant un micro ou dansant torse-poil sur les tables. «Ils sont jeunes, ils sont heureux... désolé. On nage dans le bonheur.» Au propre comme au figuré. Ensuite, le sélectionneur a donné des réponses d'un poids et d'une tenue exceptionnelle. Propos recueillis.

Quel héritage ?

«C'est une question difficile, que l'héritage que laissera cette équipe. Quoi retenir? Si on est champion du monde, c'est qu'on a fait les choses bien, ou qu'on les a faites mieux que les autres. J'avais un groupe jeune [Kylian Mbappé titulaire à 19 ans, Lucas Hernandez et Benjamin Pavard titulaires à 22...] mais de qualité : l'état d'esprit des joueurs restera ma plus grande fierté. Je leur ai dit de ne rien lâcher, puis je leur ai redit, puis redit, puis... Je n'ai pas arrêté. Et ils n'ont rien lâché. Jamais. Durant cette Coupe du monde, on a compris que la maîtrise du jeu [une allusion aux sélections espagnole ou allemande, qui ont eu le ballon sans arrêt mais qui ont disparu prématurément, ndlr] ne suffisait pas. Après, est-ce qu'on est un beau champion? On EST champion.»

Champion du monde en tant que joueur en 1998 et comme sélectionneur aujourd'hui, une fierté ?

«Je me suis changé trois fois mais je sens toujours aussi mauvais (rires). Je n'aime pas trop parler de moi mais là, il va bien falloir. Mon histoire de sélectionneur est liée à celle des joueurs. 98 restera gravé à vie dans mon esprit mais là, c'est aussi beau et aussi fort. J'ai un garçon de 22 ans : en 1998, il était trop petit pour se rendre compte alors que là, peut-être que... Quant aux joueurs qui sont champions du monde aujourd'hui, je sais pour l'avoir vécu qu'ils ne peuvent pas se rendre compte. Avant de sortir du vestiaire, je leur ai dit deux choses. Un : ils seront champions du monde à vie. A vie. Et ils seront toujours liés par ça, quoi qu'il advienne par la suite. Deux : ils ne seront plus jamais les mêmes. Je suis désolé pour eux [on sent alors Deschamps au bord des larmes, ndlr] mais c'est ainsi : ils peuvent gagner tous les titres qu'ils veulent, la Ligue des champions dix fois, mais c'est ce soir [dimanche] que ça a basculé pour eux et cette bascule est définitive. Parce qu'il n'y a rien au-dessus d'un titre de champion du monde. Rien.

Quant aux deux personnes qui ont été championnes du monde comme joueur puis comme entraîneur avant moi, le Brésilien Mario Zagallo (1958 puis 1970) et l'Allemand Franz Beckenbauer (1974 puis 1990), c'était deux très beaux joueurs. Moi, j'étais moins beau qu'eux sur un terrain. Mais je me suis débrouillé quand même. J'ai une pensée pour Kylian Mbappé : il est champion du monde à 19 ans. On peut penser qu'il va en gagner d'autres, des titres de champions du monde. Moi, quand je suis champion du monde comme joueur en 1998, j'ai deux équipiers de 19 ans, Thierry Henry et David Trezeguet. On pensait aussi qu'ils en gagneraient d'autres, des Coupes du monde. Mais non. Il faut prendre l'occasion quand elle se présente. Ma plus grande joie, c'est d'avoir permis ça.»

La France de Michel Platini, celle de Zinédine Zidane, et la sienne?

«Antoine [Griezmann] a beaucoup d'humilité par rapport à ça et quand vous me dites qu'il refuse qu'on le mette en avant dans ces proportions, je confirme : il est comme ça. Le foot a changé. Aujourd'hui, beaucoup de joueurs ont fait la différence durant cette Coupe du monde : Raphaël [Varane], Paul [Pogba], Samuel [Umtiti]... Quand je vous parle de bien vivre ensemble, vous ne savez pas tout, même si vous essaierez d'apprendre des trucs, et même si, peut-être, vous y parviendrez... Mais quand je vous dis qu'ils ont tout fait ensemble, c'est vraiment tout, sur le terrain et en dehors. Et ils parlent collectivement. C'est là que vous vous dites que vous étiez dans le vrai. Le terrain leur a donné raison.»

La force psychologique

«Une grosse partie du métier d'entraîneur repose sur la psychologie, le management. Le choix le plus important, c'est celui des joueurs que tu mets dans la liste des 23 partants pour la Coupe du monde. Les équilibres humains sont tellement fragiles... 55 jours ensemble, ce n'est pas rien, il faut un staff solide aussi. Je peux être dur avec les joueurs mais c'est pour eux : ils sont jeunes mais il y a l'écoute qui est là, donc... Il y a eu plusieurs moments importants, avec des éléments déclencheurs. Quand on est mené 1-2 face à l'Argentine, par exemple, c'est... Quand les joueurs ont surmonté cette situation-là, ils étaient plus grands de 15 centimètres. Il y avait une confiance... Déjà, il y a Lionel Messi en face mais avec le retournement en plus... Il y a eu de l'euphorie après ça. Heureusement qu'on a eu six jours entre ce match-là et le suivant contre l'Uruguay, parce qu'il fallait faire retomber ce sentiment d'euphorie, j'avais besoin de temps. Le sentiment d'une possible victoire est venu progressivement. Ce sont les matchs de poule du premier tour qui sont les plus compliqués. Après, avec les tours par élimination directe, l'importance et la tension sont telles que... Je ne dis pas que c'est facile non plus. Mais c'est moins compliqué pour un sélectionneur.»

Le niveau du Mondial 2018

«Il y a eu un nivellement par le haut. Je n'ai jamais vu une Coupe du monde pareille : même les équipes moins cotées sont arrivées avec un niveau de préparation athlétique et défensif – car c'est plus simple de défendre, donc on commence par là – sans précédent. On a vu quoi ? Des équipes qui étaient dans la maîtrise du jeu, la possession du ballon, qui se faisaient punir sur attaques rapides. Parler d'une belle Coupe du monde, je n'en sais rien, mais j'ai vu des équipes soi-disant «petites» présenter de meilleures statistiques sur le plan athlétique ou sur celui de l'intensité que des sélections qui sont arrivées en Russie avec l'étiquette de favorites. Nous concernant, bien sûr que j'avais des incertitudes sur le niveau des jeunes joueurs : je suis convaincu qu'ils seront plus forts ensuite. Mais ils ont été à la hauteur.»

Le 8e de finale gagné contre l'Argentine, la finale face à la Croatie

«Bien sûr que l'Argentine a changé beaucoup de choses, on y a gagné un capital confiance énorme mais en même temps, on avait les leviers pour gagner ce match-là. Au haut niveau, le talent ne suffit pas pour une raison simple : il y a forcément aussi du talent en face. Donc, c'est la psychologie, le mental qui fait la différence. Entre eux, les joueurs s'appellent «les guerriers» depuis le début de la compétition. Voilà. J'ai beaucoup appris moi aussi. Notamment sur l'approche de la finale : en 2016, avant le dernier match perdu (0-1 près prolongations) contre le Portugal, j'avais sacralisé l'événement, jouant sur le côté émotionnel. Là, j'ai corrigé le tir. J'ai fait simple.»

Propos recueillis en conférence de presse par Grégory Schneider