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Médias

Entre joueurs et journalistes, la parole fut d’or

Coupe du monde 2018dossier
Doutes, frictions… Les Bleus se sont ouverts aux médias durant cinq semaines. Une parenthèse dans leur carrière qui a peut-être contribué à leur succès.
Paul Pogba en conférence de presse, le 24 juin. (Photo Franck Fife. AFP)
publié le 16 juillet 2018 à 17h43

«Ce que j'ai apprécié aussi, c'est qu'on a eu un lien avec la presse. Les Français dépendent de vous, de ce que vous dites. Mais, avec le temps, on a su vous montrer qu'on était des humains. C'est bien de pouvoir discuter comme ça.» Seul joueur de champ à ne pas avoir joué une minute, Adil Rami est venu fermer la parenthèse mondialiste deux bonnes heures après la victoire (4-2) ­contre la sélection Croatie, scellant le deuxième titre de champion du monde français, et on témoigne : du strict point de vue professionnel, la parenthèse mondialiste des Bleus a été un bonheur de journaliste. Les joueurs ont partagé tant et plus. Les doutes, les différentes manières de voir, les (légères mais réelles) frictions egotiques et même les prises de distance avec la doxa, dominante consistant à faire jouer Olivier Giroud plutôt qu'Ousmane Dembélé et à imputer à la jeunesse une inconséquence de conte de fées : aux décryptages de ­rigueur près, les choses ont été exprimées, ce qui a permis d'ouvrir quelques fenêtres – on ne doute pas qu'il y en ait eu d'autres, qui seront découvertes plus tard – sur l'équipée mondialiste des Bleus et, au-delà, sur la sensibilité des acteurs.

Une intuition : l’incroyable apparition en conférence de presse de Kylian Mbappé (19 ans) le 13 juin, juste avant le début du Mondial, a dimensionné l’exercice pour tous ceux qui ont suivi. Le gamin était venu prendre l’espace médiatique et expliquer, en y mettant un charisme à crever les plafonds, que l’équipe de France était à lui : il importait dès lors de circonscrire l’appétit du gaillard (sans pour autant l’éteindre, tout un art) non seulement dans le vestiaire, mais aussi devant les micros – ne surtout pas lui laisser ce terrain-là.

Respect

Du coup, tous y ont gagné en épaisseur et en ­intensité : Raphaël Varane s'est beaucoup ouvert sur le jeu, N'Golo Kanté a longuement détaillé le concept de «passes intérieures», Paul Pogba est (enfin) apparu comme l'amoureux du foot flippé par le regard des autres qu'il a toujours été (mais en secret), Lucas Hernandez est venu gaillardement vaillamment expliquer que Lionel Messi avait été nul face aux Bleus malgré deux (!) passes décisives… et le respect envers eux est monté à mesure, un respect qu'on leur doit de toute manière mais qui fut durant cinq semaines moins aveugle, plus informé. Ce sens du partage ­contredit tout ce que l'on connaît du foot, surtout en haute altitude : la croyance aveugle dans la notion de secret ainsi que la recherche forcenée des fameux «gains marginaux» – ces minuscules pourcentages de la performance qui font censément basculer les rencontres – ont calfeutrent toutes les ouvertures, l'importance de l'argent dans le foot ajoutant à l'opacité.

Ressorts

On confesse ne se faire aucune illusion : les joueurs vont retrouver leur sphère d’influence respective et tout rentrera dans l’ordre ; le ­mutisme et la froide utilisation des médias (faire passer tel message à tel moment) reprendront leurs droits, et c’est de bonne guerre. Il se sera cependant trouvé un groupe de joueurs pour partager un court temps : ça ne les a pas empêchés d’être champions du monde, et peut-être même que ça les a aidés. En ce qui nous concerne, on est parfois ressorti des raouts médiatiques avec la conviction de connaître un peu mieux le football, sur le plan technique mais aussi sur les ressorts émotionnels, le sélectionneur Didier Deschamps n’ayant eu de cesse d’expliquer que ces derniers étaient prédominants. Un Deschamps qui, in fine, aura été le seul à ne pas lâcher une once de terrain ­médiatique. Après tout, pourquoi pas ? Le football aux footballeurs.