Il est difficile d'y voir plus clair que les supporteurs noyés dans les fumigènes lundi sur les Champs-Elysées. Mais essayons tout de même de comprendre comment a circulé l'information selon laquelle les Bleus viendraient saluer la foule des supporteurs depuis l'hôtel Crillon, place de la Concorde à Paris, après leur réception à l'Elysée. Regardant nous-même TF1 durant ces quelques heures de célébration enfiévrée, on a bien vu comment la chaîne faisait monter la sauce autour de ce dernier tour de piste des champions du monde. Des supporteurs, dont un qui répétait son pseudo Instagram pour gagner des abonnés à chaque fois que l'envoyé spécial de la chaîne place de la Concorde lui tendait le micro, disaient à intervalles réguliers leur impatience de voir les Bleus au balcon, comme en 2000 après l'Euro. Ils disaient que cela atténuerait leur déception de n'avoir pas vu, ou bien trop furtivement, passer le bus à impériale sur les Champs-Elysées – le véhicule ayant cheminé sans s'arrêter, adjoint d'un cortège de policiers qui l'encerclaient en trottinant, à la manière nord-coréenne.
L'attente aura été longue, les premiers fans ayant visiblement déboulé juste après le passage sur les Champs, vers 19 h 30, tandis que les Bleus étaient à l'Elysée. Vers 21 heures, le journaliste de TF1 Frédéric Calenge, tout juste revenu lui aussi de Russie, se trouvait dans une suite de l'hôtel Crillon et montrait aux caméras des bouteilles de champagne enveloppées de glaçons en attendant d'être ouvertes, un drapeau bleu-blanc-rouge étendu sur une table pour y être signé par les joueurs, un gâteau en forme de ballon prêt à être dévoré. Puis il sortait sur le fameux balcon, sous les sifflets de la foule qui en avait visiblement marre de le voir lui plutôt que eux. Après quoi Gilles Bouleau, le présentateur du 20 heures, avait rendu l'antenne, annonçant «plein de surprises» dans le Mag de Denis Brogniart à suivre aussitôt après.
Et puis, finalement, pas de Crillon. L'annonce était pourtant tombée relativement tôt (il était 20 h 36) sur le compte Twitter de l'Equipe de France : «Les joueurs sont à l'Elysée et y restent pour la soirée. Aucun rendez-vous dans un grand hôtel ou palace parisien ne suivra ce rendez-vous.»
Les joueurs sont à l'Elysée et y restent pour la soirée. Aucun rendez-vous dans un grand hôtel ou palace parisien ne suivra ce rendez-vous. #FiersdetreBleus
— Equipe de France ⭐⭐ (@equipedefrance) July 16, 2018
Cela n'a pas empêché les plus téméraires, sans doute trompés par des rumeurs selon lesquelles ils viendraient quand même, d'attendre encore et encore… jusqu'à ce qu'il soit acté, vers 22 heures, que les Bleus ne se montreraient pas. Les rideaux de l'hôtel ont été tirés aux alentours de 23 heures. S'en sont suivies de échauffourées avec les policiers, qui ont évacué tout le monde.
Pas à l'agenda des Bleus
On peut considérer la chose comme anecdotique (elle l'est), mais la voilà qui, ce mardi, devient un argument pour reprocher à Emmanuel Macron d'avoir phagocyté les champions, au détriment des Français. On voudrait bien alors comprendre à cause de qui, ou de quoi, ce malentendu a terni la fin de la soirée.
Ce n'est en tout cas pas de la faute des Bleus, selon leur représentant auprès des médias, Philippe Tournon. Il a expliqué à France Info que «jamais il n'a été programmé de notre part [l'équipe de France, ndlr]» que les joueurs iraient au Crillon. Il ne sait d'ailleurs pas d'où est venue la rumeur. Et d'ajouter, ce qui éclaircit un peu le mystère tout en l'épaississant : «A partir du moment où un certain nombre de festivités ont été envisagées, l'équipe de France, son staff, ses joueurs, on n'a plus rien dirigé. Il y a eu différentes éventualités qui ont été évoquées, on a su assez vite que le président Macron voulait recevoir l'équipe, à quelle heure, on ne savait pas. Différents plans ont été établis : est-ce qu'on va aux Champs-Elysées directement de Roissy ? Est-ce qu'on a le temps de faire la descente des Champs-Elysées puis l'Elysée ?»
Bref, l'équipe de France a suivi le mouvement, mais qui l'a impulsé ? L'Elysée ? Il renvoie vers la Fédération française de football, qui pour sa part insiste sur le fait que le Crillon n'a jamais figuré dans son programme officiel de festivités. Son communiqué de presse, transmis dimanche, fait en effet état d'une journée se concluant avec une réception à l'Elysée, de 18h30 à 20 heures.
Au Crillon, «nous attendions les Bleus»
On se tourne donc vers l'hôtel. Après tout, quelque chose avait bien l'air de s'y tramer. Ce que nous confirme la communication de l'établissement : «Nous attendions les Bleus», nous dit-on, ajoutant : «On était ravis de les accueillir comme ça a été fait vingt ans auparavant.» Qui a contacté le Crillon pour organiser cette venue ? Sur ce point, pas de réponse de l'hôtel, et «la direction ne communiquera pas».
L'information a en tout cas abondamment circulé, jusqu'à être reprise par la maire de Paris, Anne Hidalgo, dans une interview sur RTL lundi matin. Pour retrouver la première mention de la (non-)sauterie, il faut remonter au jour de la finale, dimanche. C'est le Parisien qui annonce ce matin-là, sous la plume d'un envoyé spécial auprès d'eux, que «les Bleus finiront au Crillon lundi soir» : «Les joueurs de l'équipe de France et leurs familles passeront enfin la soirée à l'hôtel de Crillon, sur la place de la Concorde.» On ne veut pas charger les confrères, mais il se pourrait bien que cette phrase soit à l'origine du pataquès. On voit bien de quelle manière elle a pu être prise comme une promesse de fête au balcon. Ce mardi, revenant sur «les coulisses du couac», le journal réaffirme d'ailleurs que «selon [ses] informations, un moment de célébration informel avait bien été imaginé au balcon du Crillon». Mais que les Bleus ont «finalement» préféré rester dîner à l'Elysée, selon le mot du chef des cuisines du palais.