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Libération
Olive et Tom

Giroud : attaques et défonce

La France est devenue championne du monde avec Olivier Giroud au poste de numéro neuf. Comme Guivarc’h avant lui, l’attaquant est resté muet durant toute la compétition. Un joueur constamment raillé, au mental d’acier. Les critiques à son égard sont-elles justifiées ?
L'attaquant français Olivier Giroud contre la Belgique en demi-finale, le 10 juillet 2018 à Saint-Pétersbourg (Photo Odd ANDERSEN. AFP)
par Sami Mouafik
publié le 19 juillet 2018 à 13h02

C’était juste avant la Coupe du monde. La France affronte l’Irlande en match de préparation. Ce soir-là, Olivier Giroud, buteur, devient le quatrième attaquant le plus prolifique sous le maillot des Bleus (31 buts) dépassant Jean-Pierre Papin ou encore Just Fontaine. La statistique est impressionnante. Constamment moqué, souvent critiqué, le géant attaquant français (1,92 m) ne bronche pas et reste soutenu par son sélectionneur, qui prend sa défense devant les journalistes, après la rencontre. «C’est son efficacité. Il est là pour ça. C’est ce qu’on demande à un attaquant, même s’il a d’autres qualités. Il fait partie d’un cercle fermé car c’est un joueur qui est injustement critiqué. Trop souvent. Son style de jeu permet à l’équipe d’avoir des enchaînements, ce qui ne l’empêche pas d’être efficace», lâche alors Deschamps.

Mais alors, pourquoi Olivier Giroud ne parvient-il pas à faire l’unanimité avec des statistiques plus que flatteuses ?

L’ombre de Benzema

Giroud pâtit d’une chose dont il n’est pas responsable. Bon nombre de supporteurs français estiment injuste que Karim Benzema ne fasse pas partie de la sélection. Si le cas est complexe, chacun étant libre d’avoir son opinion sur le sujet, une chose est sûre, le natif de Chambéry n’y est pour rien. Pourtant, à en croire les sifflets réguliers dont il est la cible lors des rencontres des Bleus, Olivier Giroud n’occupe pas le cœur de tous les Français.

Cette opposition entre les deux attaquants naît d'une interview d'après match en septembre 2013. Giroud, interrogé sur un possible système en 4-4-2 de Didier Deschamps, déclare : «Le coach aime bien évoluer en 4-3-3 ou en 4-2-3-1 donc, à un moment, ce sera soit lui [Benzema] ou moi.» Dès lors, les nombreux fans de l'attaquant du Real Madrid ont érigé Giroud comme le concurrent direct de Benzema.

Pourtant, les deux joueurs ont déjà cohabité, notamment lors de la Coupe du Monde 2014 au Brésil. Mais aucune complémentarité n'a émergé entre les deux attaquants sur le terrain. Lorsqu'ils étaient associés, comme lors du huitième de finale contre le Nigeria, Benzema était relégué sur le côté gauche, poste qu'il n'apprécie pas. D'ailleurs, après le match, «KB9» masquait à peine sa préférence d'évoluer aux côtés de Griezmann plutôt que Giroud.

Depuis, Benzema est sorti du groupe pour des affaires extra-sportives, et Olivier Giroud s'est installé au poste de numéro neuf de l'équipe de France, disputant l'intégralité des matchs de l'Euro 2016 dans le onze de départ. Qui de mieux, alors, que le titulaire au poste pour récolter la frustration des partisans «pro-Benzema» ?

Un jeu pas spectaculaire

Il faut dire qu’Olivier Giroud a un style de jeu clivant. Les partisans du beau jeu, du titi-taka (série de passes rapides), ont du mal à accepter le géant de Chelsea à la pointe de l’attaque des Bleus. Contrairement à Benzema, Giroud est moins spectaculaire, moins complet. L’ancien joueur de Montpellier s’inscrit dans la lignée des joueurs de pivot, grand en taille et bon de la tête.

L'attaquant du Real Madrid, quant à lui, est meilleur dans les espaces, aime toucher le ballon et dispose d'une palette technique complète. Une différence de style qui ne joue pas en la faveur de Giroud. «Les Français n'aiment pas ce style de joueur, les grands costauds», expliquait Raymond Domenech au micro de l'Équipe.

Une chose est sûre, ses statistiques sous le maillot Bleu sont très flatteuses. En 81 sélections, il a inscrit 31 buts. En autant de sélections, Benzema a inscrit 4 buts de moins. Alors, pourquoi un tel désamour ? «Il n'y a pas de dribble, pas de roulette, mais c'est super-important. Je ne sais pas si les gens réalisent l'importance de son jeu» s'était indigné Djibril Cissé, l'ancien attaquant de l'équipe de France au micro de l'Équipe. Giroud est un joueur au rôle ingrat, qui a le sens du sacrifice. Pas souvent dans les «tops vidéo» YouTube, encore que son but inscrit en 2017 lui a permis de décrocher le prix Puskas (plus beau de l'année par la Fifa), Giroud fait briller ses partenaires, parfois à son détriment. Un attaquant précieux, qui pèse sur les défenses et permet de créer des espaces autour de lui. Preuve de son sens du collectif, il a été sacré champion du monde sans inscrire le moindre but mais en effectuant trois passes décisives.

Abnégation et mental d’acier

Olivier Giroud fait l'unanimité sur un point : son mental. Le joueur est irréprochable, sur comme en dehors des terrains. Apprécié dans les vestiaires par lesquels il passe, mais souvent critiqué à l'extérieur, il a toujours su répondre présent dans les moments clés. «Mentalement, Olivier est absolument fantastique. Il est fort à chaque fois qu'il est remis en question. Il vous donne la bonne réponse. Il a été remis en question par le public avant l'Euro en France et après, tout le monde était de son côté.» Ces mots sont ceux d'Arsène Wenger, son entraîneur pendant six saisons à Arsenal. Pas rien, venant d'un homme qui a entraîné des joueurs comme Thierry Henry, Patrick Vieira ou encore Dennis Bergkamp.

Autre zone d'ombre qui n'a pas joué en la faveur de l'ancien Gunners et l'image qu'en ont certains Français concerne le domaine extra-sportif. Giroud, qui se revendique très croyant, a été au centre d'une polémique d'adultère. Il aurait péché avec une jeune mannequin britannique, Celia Kay. Cette dernière a affirmé avoir passé une nuit aux côtés de l'attaquant, une veille de match d'Arsenal, en 2014. Les tabloïds anglais, très friands de ce genre d'histoire, s'en sont saisis. Le Sun a publié des photos de l'intéressé le montrant sortir de la salle de bain de sa chambre d'hôtel, vêtu d'un slip. Peu de places aux doutes donc. Pourtant, le joueur, qui s'est excusé, a nié avoir commis l'adultère. Si cette histoire n'a rien à voir avec le football, elle a pu contribuer à ternir l'image du Français.

Concernant son traitement par le public français et «l'affaire Benzema», Giroud reste sobre. «Forcément, on n'aime pas être critiqué ou sifflé. Maintenant, j'ai fait avec. Je m'en suis servi pour m'endurcir.» Un détachement et une prise de recul que l'on retrouve concernant les critiques récurrentes à son égard sur son jeu. «Je ne passais pas au-dessus, mais en tout cas j'ai réussi à faire avec et à ne pas en sortir trop affecté. Dès le début de ma carrière, encore un peu plus quand j'ai changé de club, j'ai gardé cette volonté de me blinder, d'être imperméable.» Une capacité à encaisser les coups qui lui a permis d'être finaliste de l'Euro et champion du monde. Olivier Giroud, c'est l'histoire d'un grand attaquant français, efficace mais critiqué, un soldat de l'ombre qui se sacrifie pour le collectif.

Quel avenir sous le maillot bleu ? L’attaquant de Chelsea aura bientôt 32 ans, et pointe à trois longueurs de David Trezeguet au classement des meilleurs buteurs français. Il aura peut-être l’occasion de les inscrire lors de la Ligue des Nations, avant de tirer sa révérence ? Comme il l’a déclaré à son retour en France au micro de BFMTV, «c’est un rêve de gosse, maintenant je peux mourir tranquille.»