Il n'y a pas que les spectateurs occasionnels, les amoureux de vélo et la majorité des journalistes et observateurs à s'étonner de la suprématie du Team Sky (intouchable depuis 2012) et de sa capacité à fabriquer en série des maillots jaunes. Chris Froome après Bradley Wiggins, Geraint Thomas après Chris Froome… Dans le peloton, les coureurs aussi ne parlent que de cette équipe. Ses moindres faits et gestes perturbent : Thomas se comporte-t-il en équipier ou en leader ? Qui de lui ou Froome va empocher la mise au classement ? «Plus on observe et plus on se dit que ces deux-là sont un seul et même personnage, du pareil au même», glisse un participant au Tour, irrité et moqueur.
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L’actuel maillot jaune, Geraint Thomas, jamais testé positif en douze ans de carrière, est d’ailleurs éclaboussé par la même suspicion que son collègue Froome, contrôlé avec un taux «anormal» de salbutamol (un médicament contre les allergies pouvant entraîner des effets dopants) après un test urinaire sur le Tour d’Espagne le 7 septembre.
Le peloton a de la rancune : «La Sky nous a pourri les neuf derniers mois», dit un manager d'équipe française. Allusion à la défense de Froome et de son employeur qui clamaient leur innocence et ont poussé l'Agence mondiale antidopage à reconnaître que le seuil autorisé pour le salbutamol souffre de nombreuses exceptions. Pendant cette procédure, quelques coureurs de renom, tels le Néerlandais Tom Dumoulin (Sunweb) ou le Français Romain Bardet (AG2R la Mondiale), avaient osé élever la voix à l'encontre de Chris Froome, déclarant qu'ils «auraient honte» d'être à sa place.
Le 2 juillet, le blanchiment du Britannique par l'Agence mondiale antidopage, via l'Union cycliste internationale, n'a pas éteint les spéculations et le mécontentement du peloton. Avant le départ du Tour, le 7 juillet, plusieurs coureurs, d'équipes et de nationalités différentes, disaient que l'un d'eux finirait par «faire tomber Froome d'un coup de coude». Le craignaient-ils ou le souhaitaient-ils ? Pensaient-ils que ce faux accident apaiserait les soupçons autour de la Sky ? Cette hypothèse était le revers tragique des fantasmes en chaîne que l'équipe suscite, avec ou contre son gré. Entre 2013 et 2015, on soupçonnait l'utilisation d'un vélo à moteur (procédé illégal, mais qui n'a pas encore été prouvé). En 2017, c'était le recours à une sorte de «dopage mental» (autorisé), des électrodes qui permettraient au cerveau d'apprendre plus vite à descendre un col ou encore à réduire sa sensation de fatigue…
Cette année ? Le 14 juillet, le Corriere della Sera révélait que la Sky embarquait dans ses voitures suiveuses une technologie d'information normalement réservée à l'armée, permettant de capter et décrypter différents signaux alentour : ceux émis par la concurrence. Par exemple, le canal radio entre les directeurs sportifs et les coureurs. Ou directement les données de puissance calculées pour chaque coureur. Si cela était avéré, la Sky pourrait ainsi connaître en temps réel la stratégie et l'état de forme de ses adversaires… Dans la tête du peloton, la Sky n'est plus une équipe cycliste, c'est au bas mot la Nasa.