Menu
Libération
Tour de France

Geraint Thomas : ne pas perdre la première

Sorti de l’ombre de Chris Froome, son coéquipier au sein du Team Sky, le Gallois de 32 ans profite des avantages du maillot jaune. Il se heurte toutefois aux aigreurs que son équipe suscite dans le public et fait face à la perspective d’un retour du leader.
Geraint Thomas à l’entraînement à Carcassonne, lors de la journée de repos de lundi. (Photo Marco Bertorello. AFP)
publié le 23 juillet 2018 à 20h36

Quand les secouristes se penchèrent sur le coureur, inquiets que son cerveau puisse être touché, ils lui demandèrent son nom. Et Geraint Thomas répondit : «Chris Froome.» Quelques minutes plus tôt, lors de la 16e étape du Tour 2015, le Gallois avait chuté dans la descente du col de Manse et cogné un poteau. Le lendemain, il laissait un message sur Twitter : «Je viens de voir un gars qui se balade avec mon maillot jaune et qui donne la main à ma femme enceinte…» C'était Froome, bien sûr, qui allait gagner le Tour et devenir père. Et Thomas se régalait encore de se prendre pour lui.

Moins escroc que d’autres

Trois ans plus tard, l’équipier a ravi pour de vrai le maillot de son leader - mais pas encore sa femme. Il est premier du Tour depuis l’étape de la Rosière, dans les Alpes, et il a récupéré presque toute la panoplie qui va avec : le garde du corps, le vélo de rechange posé sur le toit de la voiture à l’avant-droit, le plus facile à attraper si une pièce casse. Un peu de gloire et des huées lassées ou haineuses du public. Thomas paye pour Froome, qui a été innocenté après un contrôle suspect au salbutamol l’an passé. On dit : encore un Sky. Encore un champion fabriqué. Propulsé d’avant-dernier sur son premier Tour de France en 2007 (avec 3 h 46’51" de retard sur Alberto Contador) à maillot jaune possible. Encore un rouleur sur piste transformé en grimpeur de cols, conversion suivie par Bradley Wiggins en 2012, le premier Sky à gagner le Tour, alors que Chris Froome a toujours évité le cyclisme sur piste. C’est très injuste. Si Thomas a mis du temps à carburer sur route, c’est par obligation de la reine d’Angleterre : il a décroché deux médailles olympiques en poursuite par équipes en 2008 et 2012. Sur le papier, Geraint Thomas est bien moins escroc que d’autres.

Juin 2006 : on l'avait vu gagner la Flèche du Sud, par une pluie tiède, dans les collines du Luxembourg, presque sans équipier, avant de pouffer de rire quand le speaker avait charcuté son nom : «Thomas Geraint», «Graint Thomas», «Grant»… Il avait déjà ces yeux qui menacent d'une blague, ces tempes pas dégagées, les cheveux longs qui doivent horriblement coller sous le casque en été. L'année suivante, il est professionnel chez Barloworld. Recruté pour satisfaire le sponsor américain qui a des vues sur le marché britannique. En réalité, sa fédération nationale verse de l'argent en douce aux équipes pro qui engagent ses ressortissants et leur inculquent le métier, le temps de rassembler cette diaspora et de lancer le Team Sky en 2010, équipe nationale.

Enlever son slip

«Je n'ai jamais vu un mec aussi relaxé, aucune pression avant le départ ni à l'arrivée», ajoute son ancien collègue, le Suisse Patrick Calcagni. «C'était un vrai humoriste», se souvient le manager de Barloworld, l'Italien Claudio Corti. Sa bio officielle, The World of Cycling According to G (parue en 2015, non traduite) est pleine de cet humour «sec», comme cette histoire de slip qui lance la lecture : «Les cyclistes ne portent pas de slip, du moins pas quand ils font du vélo.» Toute une affaire : Thomas avait mis un caleçon pour sa première course à l'âge de 12 ans, la Maindy Mini League, du nom d'un quartier populaire de Cardiff, au pays de Galles, où il a grandi. Il était plutôt rugby. Le cyclisme lui a appris à enlever son slip et raser ses jambes.

«Thomas est très aimé chez lui, relate son biographe, Tom Fordyce. Il vient d'un univers working class et il a gardé une maison à Cardiff en plus de son appart à Monaco. Il a commencé le vélo sur une petite piste très modeste en ciment… Il mettait des sandwichs à la confiture dans sa poche arrière et il partait s'amuser avec les copains.» Ceux qui l'ont connu plus jeune pensent qu'il a gardé la même autodérision : c'est vrai. Qu'il est resté le même gars peinard : c'est faux. Lundi, à la journée de repos, à Carcassonne, on l'a fait asseoir tout seul à côté de Chris Froome, face à 200 journalistes, sous une pergola en plexiglas, odeur de lavande qui pique le nez, pour qu'il nous dise ce qu'il pense sincèrement de son leader, actuellement deuxième au classement et pressenti pour récupérer son maillot jaune fissa. Froome buvait son café au lait, content de lui. Thomas avait le regard dans le vide. Comme un gars à qui on va bientôt casser le rêve, saisir les meubles et la bagnole en prime.