Ne jamais regarder Tom Dumoulin si vous êtes à table, il coupe l'appétit… Le méconnu deuxième du classement général, coincé 2'05" derrière Geraint Thomas et 19" devant Primoz Roglic (qui a enlevé l'étape vendredi sortant Froome du podium), a trop tendance à relâcher ses tripes. Vendredi, c'était pour la beauté de son sport : le Néerlandais du Team Sunweb s'est ouvert les entrailles dans la 19e étape dans les Pyrénées, attaquant ses rivaux à 33 km de l'arrivée, sans les distancer pourtant. L'an passé, le coup des tripes était à prendre au premier degré : Dumoulin se retrouvait les bretelles dégrafées et accroupi dans un champ en plein Giro, dans une épreuve qui virait soudain scato. Ce jour-là, le coureur s'emportait : «J'ai fait de la merde.» Une partie de la presse a préféré traduire : «J'ai fait caca.»
Fourrés
Les articles étaient plus chastes du temps de Greg LeMond ou de Jan Ullrich qui, malades, remplissaient des petites casquettes à l'intérieur de leur cuissard et jetaient ensuite le colis dans les fourrés - loin des supporteurs. Autre époque : les témoins faisaient semblant de regarder ailleurs. Mais puisque Dumoulin en parle allégrement… Finalement triomphateur de ce Tour d'Italie 2017, il a écrit lui-même sa légende : «Je ne veux pas entrer dans l'histoire du Giro comme celui qui a fait caca dans un pré.»
Tom Dumoulin est né en 1990 à Maastricht, d’une mère fonctionnaire dans la commune voisine de Heerlen et d’un père biologiste, spécialisé dans la fécondation in vitro. Il voulait s’inscrire en fac de médecine mais s’est fait recaler, non pas sur dossier mais au tirage au sort. Il s’est abandonné au vélo. La famille a fait les gros yeux, craignant que ce ne soit pas un vrai métier et que Tom se retrouve chômeur à 25 ans.
En 2012, Tom Dumoulin est, à 22 ans, le plus jeune participant du Tour d'Espagne. Il tombe en Andorre dans la huitième étape. Un de ses proches raconte à Libé : «Les gens ont cru qu'il était mort. Un soigneur s'est approché. Il a vu que son ventre était ouvert. On voyait les boyaux, on aurait dit qu'ils étaient en train de sortir. C'était absolument abominable. Le soigneur a failli vomir.» Dumoulin s'en tire avec des points de suture.
Aucun lien, a priori, entre cet accident et l'épisode des intestins baladeurs cinq ans plus tard. «J'ai fait des tests, les médecins m'ont dit que je ne supportais pas le fructose et le lactose», pense-t-il. Le Néerlandais donne ainsi son corps aux journalistes comme une boîte de jeu Docteur Maboule. Il répète qu'il n'a «rien à cacher». En 2015, il publie ses données physiologiques après sa sixième place au Tour d'Espagne. Rien de suspect à relever. Quant à ses progrès, son passage de coureur de contre-la-montre à grimpeur «qui caresse les pédales» (compliment de Lance Armstrong lui-même), il faut imaginer, comme d'hab, une histoire de perte de poids.
Peigné
Dumoulin l'ouvre en grand sur le dopage. Il s'est bouché le nez devant les ordonnances suspectes de Wiggins en 2016 : «Ça sent mauvais !» Il a aussi écorché Froome, qui l'a battu sur le Giro en mai, sans être encore blanchi de son contrôle «anormal» au salbutamol : «A sa place, je ne serais pas venu.» Le beau Dumoulin, grimpeur le mieux peigné du peloton, sulfate un peu moins sur ce Tour, qu'il devrait achever sur le podium et sur lequel il peut espérer une victoire d'étape samedi dans le contre-la-montre au Pays basque. Tom Dumoulin a appris à se retenir.