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Equipe de France : un Rami qui leur voulait du bien

Le défenseur de 32 ans devrait mettre fin à sa carrière en Bleus dimanche, après 35 sélections et un Mondial où il a fait office d’ambianceur.
Adil Rami après la finale de la Coupe du monde, le 15 juillet à Moscou. (Photo Tim Groothuis. Presse Sports)
publié le 7 septembre 2018 à 19h56

L'histoire du défenseur Adil Rami (32 ans) avec les Bleus pourrait bien s'arrêter dimanche à Saint-Denis, contre la sélection néerlandaise (20 h 45 sur M6, lire ci-dessus), première apparition - courte cérémonie à la clé - des champions du monde devant leur public et dernière borne avant leur vie d'après : on en termine proprement (c'est-à-dire avec les gens, pas dans une partie privée à l'Elysée), on ferme la porte doucement et on passe à la suite. Adil Rami ne devait pas en être : deux heures après la finale de Moscou, il avait annoncé sa retraite internationale dans un couloir du stade Loujniki et l'affaire nous était apparue quelque peu surréaliste pour le seul joueur de champ à avoir contemplé depuis le banc des remplaçants l'intégralité des sept rencontres ayant mené les Bleus au titre.

«Clown»

En amont du rassemblement de septembre (0-0 à Munich avant les Pays-Bas dimanche), le sélectionneur Didier Deschamps a donc dû appeler le joueur pour le retourner. Ça ne lui a même pas pris une minute. Ces témoignages-là, balançant entre l’estime, la reconnaissance et l’affection, le natif de Bastia (Haute-Corse), employé municipal dans les espaces verts à Fréjus à un âge (21 ans) où Karim Benzema signait au Real Madrid, court après depuis le premier matin.

L'usage voudrait que Deschamps lui offre, face au Stade de France, les quelques minutes de jeu qui ont tant manqué à Rami pour décoller cette image de «pur joueur de vestiaire» (ambianceur, en gros) qu'il a ramenée de Russie. Mais au fond, pourquoi ? Quelle est la dominante ? La reconnaissance, celle que l'on doit à un homme qui, dès le début du rassemblement des mondialistes à Clairefontaine, s'est fait l'inlassable prosélyte médiatique de la bonne humeur régnant dans le groupe, y compris chez ceux qui ne jouaient pas ? Ou l'estime, celle que l'on doit à un joueur à 35 sélections, qui ne laissa que deux tirs cadrés aux trois adversaires des Bleus lors du premier tour de l'Euro 2016 ? On confesse un doute. Et ce doute, un compétiteur de sa trempe n'a aucune chance d'être passé au large. Le 4 juillet à Istra, juste avant le quart de finale contre l'Uruguay, Rami avait offert un show médiatique de première bourre : «Je suis heureux de faire partie des 23 [mondialistes] sur 66 millions de Français», «mon rôle est d'apporter des ondes positives», «je ne devrais pas le dire, mais je kiffe ce groupe», «Mbappé joue comme dans [le jeu vidéo] Fifa ; clic droit et hop, accélération», etc.

Bonne humeur, altruisme… et une crispation quand un confrère aborda de front son utilité exclusivement médiatique : «Tu me prends pour un clown ? C'est ça ?» Le sourire y était. Mais pas que. Les cloches de la vérité ont alors tinté à toute force. Rami est un sacrifié. Du moins à l'échelle de son sport : si le grand public peut entendre la mélodie du bonheur d'un type heureux d'en être, le milieu sait la souffrance, la frustration et les efforts demandés à un type se retrouvant folklorisé à grande échelle (impact médiatique du Mondial oblige) dans un rôle éloigné de son essence de joueur.

Résistant

Rami n'a pas eu la vie facile avec eux : alors que Deschamps était partisan de l'aligner contre les Allemands en demi-finale de l'Euro 2016 après que le défenseur eut purgé son match de suspension face aux Islandais (5-2) en quart, son partenaire en défense centrale Laurent Koscielny et son capitaine Hugo Lloris avaient intercédé avec succès pour que l'on garde Samuel Umtiti, qui avait assuré son intérim. Interrogé là-dessus en mai, Rami avait fait contre mauvaise fortune bon cœur et baissé la tête : «C'est à moi de progresser.» A 32 ans ?

Il y a quelque chose d’émouvant dans l’air. Le côté cour dit les excès de toute sorte, les remarques parfois admiratives d’ex-coéquipiers confessant leur incapacité de suivre Rami dans sa folie et, par déduction, une constitution physique extraordinaire résistant à tout. Mais le côté jardin dit le souci (et la capacité) de s’adapter à toute force, une sorte de course éperdue pour se faire accepter dans un monde où ses voisins de vestiaire sont multimillionnaires à 20 ans et la pleine conscience de sa bonne fortune à lui.

Depuis quelques semaines, les intérêts particuliers sont réapparus dans le paysage tricolore. Ils passent par le ballon d'or, summum de la récompense individuelle, décernée en décembre : le capitaine Raphaël Varane a jeté mercredi un saut d'eau sur les esprits échauffés ; «on est beaucoup à pouvoir y prétendre», sous-entendu pas plus Kylian Mbappé ou Antoine Griezmann (qui le brigue par voie de presse) que lui-même ou N'Golo Kanté. Ce qui n'a pas empêché l'attaquant parisien et son coéquipier madrilène de se chicaner un coup franc dès le lendemain face aux Allemands. Puisse l'humble posture de Rami éclairer la pièce encore un peu.