On ne sait pas très bien comment la regarder cette année, mais la Ligue des champions a bien repris, mardi soir, avec ses habituelles affiches alléchantes : Liverpool-PSG, Monaco-Atlético, en attendant ce mercredi Real Madrid-AS Rome ou Valence-Juventus. Mais aussi Plzen-CSKA Moscou ou Ajax-AEK Athènes : pendant trois mois, la phase de groupes va être l'occasion pour les «petits» d'avoir les étoiles de la «Champions» plein les yeux. Avant de laisser les choses sérieuses aux grands, au printemps. Comme d'habitude.
La saison dernière, pour la première fois dans l'histoire de la compétition, l'Espagne, l'Angleterre, l'Allemagne et l'Italie se sont partagé les huit places en quarts de finale. Ces vingt dernières années, une seule édition a échappé à ce quatuor et c'était il y a presque quinze ans déjà, en 2004, avec le FC Porto. Enfin, pour la première fois aussi, ce «Big Four» démarre la Ligue des champions 2018-2019 avec 50% du contingent, soit seize équipes sur les 32 engagées au premier tour, à raison de quatre clubs par pays (1). Et ce sera le cas tous les ans désormais, puisque l'UEFA en a décidé ainsi.
Une compétition semi-privée
Ce n'est que l'aboutissement logique d'un mouvement démarré dans les années 90 et concrétisé il y a vingt ans, quand la compétition est passée de 24 à 32 clubs. Petit à petit, la mainmise des quatre plus grands championnats européens s'est inexorablement agrandie sur la compétition, au point donc de phagocyter un siège sur deux cette saison. Au XXIe siècle, ils n'ont de toute façon jamais eu moins de 12 participants sur 32 (14,1 en moyenne) ; moins de neuf huitièmes de finalistes sur seize (10,9 de moyenne) ; et moins de cinq quart-de-finalistes (moyenne 6,4), jusqu'à atteindre le 8/8 l'an dernier donc. Plus les tours passent, plus la domination de ces quatre championnats est totale.
Sur cette même période de vingt ans est régulièrement revenue une petite musique : les grands clubs européens lâcheraient la Ligue des champions pour créer leur propre ligue privée, juste entre eux. Mais pourquoi, au fond ? Ces données montrent que la Ligue des champions est déjà une compétition semi-privée, où l’on invite quelques adversaires exotiques gentiment atomisés (aucune victoire, deux buts marqués et dix-sept encaissés en six matchs l’an dernier pour l’Apoel Nicosie, au hasard) pour entretenir l’illusion d’une compétition démocratique. D’autant que derrière le «Big Four», quatre autres pays se partagent plus de la moitié des places restantes pour cette édition 2018-2019 : la France (trois), les Pays-Bas, le Portugal et la Russie (deux chacun).
En 2021, une troisième Coupe d’Europe pour les «petits»
Aucune amélioration n'est à prévoir. D'abord parce que ce système s'auto-entretient. Théoriquement, ce ne sont pas les championnats d'Espagne, d'Angleterre, d'Italie et d'Allemagne qui sont assurés d'avoir quatre qualifiés en Ligue des champions, mais les quatre premiers pays à l'indice UEFA. Sauf que celui-ci est calculé en fonction des résultats des clubs dans les compétitions européennes, où ces quatre championnats sont largement les mieux représentés… Sans compter que les meilleurs joueurs veulent évidemment jouer dans les plus grands clubs de ces championnats, renforçant leur domination : c'est un cercle sans fin. Qui se refermera sans doute davantage quand, en 2021, une troisième Coupe d'Europe (re)verra le jour.
Aux côtés de la Ligue des champions et de la Ligue Europa, qui a déjà tout d’une deuxième division, un ersatz de la Coupe des villes de foire va émerger. Il a été réclamé et obtenu par… les petits pays eux-mêmes, qui en ont marre de voir leurs clubs se prendre des roustes dans la compétition majeure et rêvent de titre européen, fut-il au rabais. Une aubaine pour le «Big Four» et ses satellites, qui vont pouvoir privatiser un peu plus leur Ligue des champions : pourquoi pas cinq qualifiés d’office au lieu de quatre pour les championnats majeurs, quatre clubs pour la France ou le Portugal, et en tout moins de dix pays sur la ligne de départ, contre quinze aujourd’hui ?
(1) FC Barcelone, Atletico Madrid, Real Madrid et Valence pour l'Espagne ; Bayern Munich, Schalke 04, Hoffenheim et Borussia Dortmund pour l'Allemagne ; Manchester City, Manchester United, Tottenham et Liverpool pour l'Angleterre ; Juventus de Turin, Naples, AS Rome et Inter Milan pour l'Italie.