Cette saison, notre correspondante à Marseille raconte les petites et grandes histoires du club phocéen et de la ville construite autour. Episode 4, un match européen à huis clos.
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Les CRS font la gueule. Ils ont tendu pour rien leur ruban rouge et blanc le long de l'esplanade du Vélodrome. Ce jeudi soir, les supporteurs de l'OM ne sont pas venus. La veille, Twitter assurait pourtant le contraire. L'UEFA avait décidé que le match contre Francfort, premier pas de l'OM en Europa League, se jouerait à huis clos, en représailles des «infractions» commises la saison dernière en marge des matchs, mais l'idée de venir quand même supporter l'équipe, même hors de l'enceinte, avait fait son chemin. Finalement, les Marseillais ont opté pour des banderoles «UEFA Mafia», placardées un peu partout dans la ville, et préféré briller par leur absence. Brillant.
Soufflerie et bourdon
J'ai tendu mon accréditation à l'entrée du stade. Les journalistes sont les seuls à pouvoir intégrer le Vélodrome pour assister au match. Seuls, enfin presque : dans la tribune de presse, les écrans diffusent les images d'un groupe de spectateurs endimanchés tripotant leur téléphone portable. «Des têtes de l'UEFA», pointe mon voisin, qui n'a pas tout à fait tort. L'instance européenne a distribué quelques entrées à ses partenaires et aux deux clubs. C'est toujours ça de pris, a dit l'OM. Dégueulasse, a répondu Francfort, qui a refusé l'aumône en solidarité avec ses supporteurs punis de match. Classe.
Premiers pas dans un Vélodrome dégarni. Le stade est blanc comme ses sièges. Seul l'écran géant, éclairé, confirme qu'il y a bien match ce soir. Les pubs s'enchaînent. «Préparez-vous à vivre des choses auxquelles vous ne vous attendiez pas», prévient une marque de voiture. Un match à huis clos, ce n'était plus arrivé au Vél' depuis 2007. «Tu vas voir, on entend tout. C'est spécial», confie un confrère au poil blanc. C'est noté, je tends l'oreille. Pour l'instant, j'entends surtout une soufflerie du côté gauche. Le Vélodrome a le bourdon. Il soupire, le stade, il est tout nu et en plus, on l'exhibe à la télé ! La voix d'André Fournel, speaker officiel des lieux, résonne comme dans une église : priez pour les joueurs, ils entrent sur le terrain. Je pensais à la mort quand le match a commencé, sans que je m'en aperçoive.
Mauvais porno à la piscine
Ecoutez : c'est le son du football à huis clos. «Ah !», «Hé !», «Ho !», «Hou !» Le cuir du ballon qui claque sur les crampons. Un téléphone portable qui sonne à ma droite. «C'est chiant», râle un type derrière moi. C'est quoi, ce bruit d'ambiance, qui m'est familier ? Ah tiens, le riff de Kashmir, de Led Zeppelin : l'OM vient de marquer. «Ouh !» «Hi !» «Anh !» J'ai tiré mon ouïe au maximum pour distinguer des mots. Récolte, dans le désordre et dans le doute : «Frappe !» «Derrière !» «La mousse ?» «Greg ?» «C'est bon !» «Ça vient !» Ma parole, c'est eux ou mon cerveau est un gros pervers ?
Et toujours ce bruit de fond qui m'interroge. La plage un jour de semaine ? Un supermarché ? «On dirait le bruit de la piscine», corrige efficacement Michel Henry, l'ancien correspondant de Libé à Marseille assis non loin de moi. Exactement, Michel : un match à huis clos, ça sonne comme un mauvais porno à la piscine. Toute à ce constat, j'en ai presque oublié que 22 types – enfin 21, un Allemand s'est fait expulser – courent après un ballon sur de l'herbe. Quoi, 1 à 2 ? Et c'est fini ? «Sans notre douzième homme, ça ressemblait à un match amical», a résumé un Florian Thauvin en berne après la rencontre. Pire, ai-je pensé en rentrant chez moi : ça ressemble à notre époque. Mangez vegan, arrêtez de fumer et regardez des matchs à huis clos… Surfant sur l'air du temps, mardi, le préfet du Rhône a édité un arrêté : une énième fois, les supporteurs marseillais sont interdits de déplacement à Lyon ce dimanche, pour éviter tout problème. On va bien s'amuser.