Après les Bleus, les Bleues ? En 2019, une autre équipe nationale de foot tentera de conquérir le titre suprême. A domicile, les filles entraînées par Corinne Diacre emboîteront-elles les crampons des garçons de Deschamps ? A l'image d'une équipe de France en pleine progression (mais qui peine à concrétiser lors des rendez-vous internationaux), le foot féminin connaît un essor régulier, quelles que soient les questions qu'il suscite régulièrement (chez les mâles surtout) : hommes et femmes pratiquent-ils réellement le même sport en termes d'engagement, de compétitivité, d'intérêt des médias et des sponsors ? La Fédération compte 160 000 licenciées, Canal + retransmet cette saison le championnat de France féminin et l'Olympique lyonnais domine l'Europe.
Et derrière la vitrine ? Pour appréhender le foot féminin, tout au long de cette année scolaire qui trace un pont entre le succès épique des garçons et une Coupe du monde à venir dans les stades français, Libération chroniquera la vie de l'unique section parisienne de football féminin d'un collège, au sein d'un quartier où la mixité sociale a du mal à exister. Nous rendrons visite régulièrement aux élèves de l'option football du collège François-Villon, dans le XIVe arrondissement. Cette option, qui comprend une bonne trentaine de collégiennes réparties entre la sixième et la troisième, est chapeautée par deux enseignants d'EPS, Thibault Leclere et Nicolas Bayard, aussi animés par la passion du foot que par l'objectif de l'insertion sociale d'un public défavorisé, l'établissement étant classé Réseau d'éducation prioritaire (REP).
Episode 10: «Coach c'est relou, personne ne t'écoute»
Episode 9: «Il faut savoir se faire respecter»
Episode 8: un sport de gonzesse?
Episode 7: la grande déception
Episode 6: à l'aide ! (aux devoirs)
Episode 5: panne de stylos à Clairefontaine
Episode 4: la querelle des anciennes et des nouvelles
Episode 3: électrocardiogramme et chocolat
Episode 2 : l'école ne suffit pas
Episode 1 : la causerie de rentrée et les chips de l'Elysée
Episode 11 : «On est pour qui monsieur?»
Neuf mois après le coup d’envoi de notre série sur l’option football féminin du collège François-Villon, nous arrivons au dernier épisode, le numéro 11, un chiffre symbolique dans le monde du football. Quelle meilleure occasion de célébrer la fin de cette année scolaire qu’avec un match de la Coupe du monde féminine? Grâce à l’UNSS qui a offert des places, en ce soir de canicule, nous voilà dans les transports en commun, direction le Parc des princes pour Canada-Suède.
La compagnie, enjouée, est formée par une petite dizaine de footballeuses, ce qui reste du contingent vu que les cours ont pris fin le 14 juin. Plusieurs filles sont déjà parties direction les vacances. Thibault Leclere, qui accompagne ce soir le groupe, discute de son programme, un peu différent ces jours-ci : «Demain, c'est arrêt cardiaque.» Pas rassuré, on lui demande des précisions : «Vu que les cours sont finis pour le collège à cause des grands travaux en train d'être réalisés dans la cour, je forme tous les élèves de quatrième aux gestes de premiers secours. J'ai moi-même suivi une formation l'an dernier : autant en profiter !» L'envie de voir ce match du Mondial va croissant, mais reste un problème : «On est pour qui, M. Leclere ?» lancent deux élèves à leur professeur. «Vous pouvez soutenir l'équipe que vous voulez. Moi, je suis pour la Suède !» La raison, on l'aura quelques minutes après : «Trois joueuses suédoises évoluent à Montpellier, ma ville natale.» Un critère comme un autre, en effet.
Tatoos et photos dans le cadre officiel
Une rencontre de Coupe du Monde, ce n’est pas qu’un match de football. Autour du stade, toute une ribambelle d’animations sont proposées au public par les sponsors. Voilà l’immanquable photo dans un cadre posé à cet effet, ou les tatoos à l’effigie de la mascotte de l’événement : Ettie, un poussin ou plutôt une poussine coquette. La grande majorité des filles a profité aussi des maquilleurs mis à disposition par l’organisation pour se faire dessiner sur la peau les drapeaux des deux équipes. Le Canada sort en tête des préférences, mais on trouve aussi des bras avec les deux drapeaux : finalement, vive le football ! En réalité, jusqu’au but de la Suède – l’unique du match – par Stina Blackstenius (ancienne joueuse de Montpellier) au début de la deuxième mi-temps, ce huitième de finale n’a pas été passionnant. Il a cependant permis aux filles d’immortaliser, pour la première fois, leur passage dans les tribunes du Parc des Princes : les smartphones ont bien travaillé et sont maintenant pleins de clichés et de vidéos à montrer aux copines et à la famille.
Depuis quelques jours la série sur les footballeuses de la porte de Vanves est aussi devenue une petite expo, grâce au travail de Thibault Leclere et de la direction du collège François-Villon. Une sélection des photos d'Edouard Caupeil et les 10 épisodes publiés par Libération sont affichés dans le hall du collège et une petite place a été réservée à ce dernier papier et aux clichés qui l'illustrent. «C'est valorisant pour les filles et cela montre leur parcours pendant l'année», nous glisse le prof d'EPS responsable de la section football, qui pense déjà à déménager l'expo pour la rendre permanente. Juste avant de partir vers le Parc des princes, on rentre pour y jeter un coup d'œil avec les filles qui, dans quelques cas, découvrent leur histoire médiatique et l'esthétique des photos qui les montrent à l'œuvre. Les commentaires, souvent chuchotés, pleuvent : «Là j'y suis pas : je savais pas qu'un groupe était allé à Clairefontaine !» Ou encore : «Regarde cette photo, elle est trop stylée.»
«On essaye de s’améliorer nous aussi»
Le lendemain du match, on retrouve Thibault Leclere pour tracer un bilan de cette année scolaire. «Si on évalue notre saison par le nombre de demandes d'inscriptions qui nous sont arrivées pour l'année prochaine, c'est clairement un excellent bilan. On a 24 demandes, tous des dossiers très bons, alors que les années passées on en avait à peine la moitié. C'est peut-être l'effet Coupe du monde mais aussi notre travail en réseau avec les écoles élémentaires du quartier qui commence à porter ses fruits. Malheureusement, on ne pourra pas donner une réponse positive à toutes les demandes, mais je suis sûr que cette génération de sixièmes va tirer vers le haut toute la section», explique Leclere. Qui ne cache pas le revers de la médaille : «En cours d'année, on s'est retrouvé confrontés à des épisodes d'absentéisme, mais aussi à des filles de cinquième qui changeaient de comportement selon qu'elles étaient avec les sixièmes ou certaines leaders négatives. Ces dernières ne seront pas reconduites l'année prochaine. De cette expérience, on a compris qu'il fallait des tuteurs pour les filles de sixième, pour les accompagner dans ce grand changement qu'est l'entrée au collège. En somme, on essaye de s'améliorer nous aussi !»
D'un point de vue sportif, les filles de l'option ne se sont qualifiées pour aucun championnat de France : «Je crois tout simplement qu'on était à notre place. On n'avait pas le niveau des autres équipes cette année. Il faut aussi rappeler que notre section football a un objectif éducatif et pas seulement sportif. Le fait que ces filles, qui ont des situations familiales souvent très compliquées, deviennent responsables, gagnent en autonomie, comprennent comment il faut se comporter en société, c'est encore plus important que de se qualifier pour les championnats de France.» L'aventure des footballeuses de la porte de Vanves est donc loin d'être terminée.
Episode 10: «Coach c'est relou, personne ne t'écoute»
Une fois n’est pas coutume, les footballeuses de la Porte de Vanves se sont muées en organisatrices, le temps d’un tournoi qu’elles ont accueilli sur leur terrain d’entraînement. Le temps d’un après-midi elles ont été arbitres, coachs, responsables de terrain et du protocole. Parmi les rôles qu’elles ont endossés, on a croisé aussi la distributrice de cartes jokers et la jeune reporter, cette dernière sans stylo ni calepin, mais armée d’une tablette et d’un trépied.
Huit équipes ont participé à cette mini Coupe du monde du XIVe arrondissement. « Cette année il n'y a que l'école primaire Maurice-d'Ocagne qui a répondu à notre invitation, on s'y est pris un peu en retard, mais dès l'année prochaine on s'organisera mieux », nous précise Thibault Leclere, l'un des responsables de la section foot, après avoir terminé un topo d'organisation au milieu du terrain avec ses footballeuses. Japon, Allemagne, Etats-Unis, Angleterre, Brésil, Pays-Bas, Espagne et France s'affrontent sur la pelouse synthétique de Didot, divisé en quatre mini-terrains où les équipes sont mixtes, pour des matchs de 10 minutes. Les scores des matchs ne désigneront pas le vainqueur; la Coupe, éphémère, sera en effet remportée par l'équipe la plus fair play.
Maurice-d’Ocagne à la Coupe du Monde
Sous un soleil que presque estival, les élèves de CM2 de Maurice-d'Ocagne rejoignent le lieu du tournoi accompagnés par leurs maîtres. Les élèves se rangent diligemment derrière le cône avec drapeau qui désigne les équipes ; après les salutations d'usage et la présentation du tournoi, ils enfilent leurs chasubles colorées. Tout est presque prêt ; les équipes joueront sur les mini-terrains délimités par des plots et répondant au nom, Coupe du monde oblige, de Parc des Princes, Groupama Stadium, Allianz Riviera et Stade de la Mosson. Quelques arbitres se fâchent avec les chronos : « Comment ça marche monsieur ? Non, laisse tomber celui-ci, il ne marche pas, prends ça », les sifflets fonctionnent quant à eux très bien : on fait nous-mêmes les frais d'un essai rapproché. Il y a quand même quelques retardataires, comme Koné qui arrive après l'explication du tournoi et surtout avec une boîte jaune de kebab à la main : «Pose cette boîte et viens donner un coup de main », lui siffle Thibault Leclere, un brin énervé, soucieux que tout se passe bien.
Les responsables de terrain Zara et Zeguela, qui en supervisent deux chacune, sont prêtes pour donner le signal aux arbitres que les matchs peuvent commencer. Les deux filles, stylo et programme des rencontres à la main, doivent coordonner et se coordonner de façon à ce que sur les quatre terrains, les parties s’achèvent à peu près au même moment.
Quand un match se joue aux cartes
Le premier coup de sifflet fait exploser l'enthousiasme : les cris des coachs et des jeunes joueurs aussi. Nazirat, qui commence en tant qu'arbitre, perd quasiment tout de suite le sifflet dans un rôle qui la voit vite dépassée, à la faveur de Koné qui s'impose plus rapidement. Quelques minutes après cette dernière se retournera vers le « public » pour demander s'il y avait but ou pas, la balle ayant dansé longuement sur la ligne. Peu importe pour aujourd'hui, ce ne sont pas les buts qui comptent ! Les Etats-Unis (ou était-ce les Pays-Bas ?) ont déjà deux buts d'avance ; il faut donc, selon le règlement, s'arrêter et piocher une carte. Le tarot donne sa réponse : tous les buts de l'équipe adverse compteront double ! L'équipe qui a deux buts d'avance doit donc se garder d'en encaisser car elle pourrait se retrouver à perdre le match. «Les cartes ajoutent un côté rigolo et joueur au tournoi. Pour rééquilibrer il y a aussi la règle selon laquelle le meilleur buteur va devoir faire gardien lors du match suivant », explique Nicolas Bayard, l'autre responsable de la section.
Pendant la pause pour tirer la carte, c'est aussi la pause pour la coach du Japon, Shaimaa, presque extenuée déjà. Elle s'est agitée au bord du terrain, elle a crié ce qui voudrait être des conseils, mais qui apparemment n'arrivent pas aux oreilles des petits footballeurs qui pensent surtout à suivre la balle. «Coach c'est relou, constatent dans le debrief final Aniella et Ange. Personne ne t'écoute.» Nicolas Bayard et Thibault Leclere esquissent un sourire : « C'est pour ça que c'est bien que vous organisiez le tournoi : car vous vous mettez à notre place, quand nous vous coachons et arbitrons vos match.»
Le prix du fair-play pour le Japon
La première édition du tournoi organisé par les filles de l'option football du collège François Villon s'achève sur la remise des prix. L'équipe du Japon, maillots roses, a été nommée la plus fair play : des goodies de la Coupe du Monde en cours la récompensent. « Vite, aidez-nous à ramasser le matériel, avant que l'orage tombe », crient aux footballeuses Leclere et Bayard, une fois les écoliers partis, juste avant de trouver refuge dans le club house du CA Paris 14. « Pour nous, c'est bien de resserrer les liens avec les écoles du quartier, explique Thibault Leclere. C'est une façon aussi de trouver de nouvelles filles, qui seront en sixième en septembre prochain et qui peuvent intégrer notre section football », ajoute-t-il en feuilletant des dossiers des candidates. Même son de cloche pour Charles Morisseau, responsable de la section jeune au CA Paris 14, club partenaire de l'option football de François-Villon : « Nous voulons grandir avec les écoles du quartier, et nous sommes déjà très contents des collaborations installées. Au cours des prochaines semaines nous allons organiser des matchs pour les filles avec une équipe américaine qui est actuellement en France pour suivre la Coupe du Monde et avec laquelle nous allons nouer une relation. A la fin du mois nous leur rendrons visite à Chicago et certaines filles ici présentes seront du voyage ». Prochain épisode, les footballeuses de la Porte de Vanves en Amérique ?
Episode 9: «Il faut savoir se faire respecter»
Ça sent la fin de la saison, ou la fin de l'année scolaire, enfin plutôt les deux au collège François-Villon. En ce mardi après-midi, une autre raison explique que les troupes soient décimées : «C'est la fête de l'Aïd : dans notre établissement on a bien 30% des élèves qui ne sont pas présents. Du coup c'est super tranquille, dépaysant !», confie Nicolas Bayard, un des responsables de la section foot, lui aussi rattrapé par une petite envie de farniente favorisé par un soleil et une température franchement estivaux. La bonne dizaine de footballeuses présentes traîne ses baskets jusqu'au vestiaire : «Allez, on se motive un peu, on va jouer aujourd'hui !», lance Nicolas Bayard pour tenter d'éveiller les esprits.
Nazirat, jeune footballeuse de sixième, est, elle, bien présente : on a rendez-vous avec elle aujourd'hui pour discuter de sa première année dans l'option football du collège. Alimata, sa meilleure pote, elle aussi élève de sixième, mais pas dans la même classe que Nazirat, est de la partie elle aussi : «Si elle quitte la section, je vais partir moi aussi, confie Nazirat après l'entraînement. C'est ma meilleure amie, on habite le même quartier. Je l'avais connue en CM2, puis là encore mieux. C'est avec elle et un autre petit groupe de filles et de garçons qu'on joue au football dans le quartier et c'est comme ça que je me suis passionnée pour ce sport», raconte d'abord avec un fil de voix, puis en s'affirmant, cette adolescente de 12 ans, de parents nigérian et ivoirien. Le football, pour Nazirat, c'est un jeu qui sert aussi à façonner son corps : «Faire du sport c'est important pour moi parce qu'à mon âge je suis en surpoids. Puis ça aide à occuper son temps libre : c'est mieux de jouer en plein air avec les amis que de rester enfermée dans sa chambre», nous déclare avec assurance celle qui se décrit comme «très exigeante avec elle-même. Je ne suis jamais satisfaite de ce que je fais, je suis rancunière avec moi-même, je peux me mettre à pleurer pour une mauvaise note. Je peux changer d'humeur assez facilement à cause de ça».
«Elles savent admettre leurs faiblesses»
Cette sorte de pression que Nazirat se met vient de son rapport avec sa mère, avec laquelle elle vit : «Ma mère me gâte beaucoup, elle me donne tout, je ne veux pas la décevoir.» Heureusement pour le sens des responsabilités de Nazirat, l'année scolaire qui va s'achever s'est bien passée : «C'est parfait. Je crois que je vais partir pour les vacances avec un bon livret. J'ai eu des problèmes en histoire-géo et en français mais ça s'est amélioré.» «C'est incroyable comme parmi les filles on en trouve qui ont beaucoup de recul sur elles-mêmes, qui savent admettre leurs faiblesses et qui promettent, du moins sur le papier, de s'améliorer», commente Nicolas Bayard dans la salle des profs juste après l'entraînement.
Nazirat, qui regarde le football à la télé uniquement quand il y a des événements comme l'Euro ou la Coupe du monde, ne se sent pas exclue par les garçons quand elle veut taper le ballon dans son quartier : «Normalement ça se passe bien entre garçons et filles, mais bon si quelqu'un m'agresse, je l'agresse moi aussi. Il faut savoir se faire respecter.» C'est peut-être ce sens de la défense, de faire prévaloir les droits, qui la fait rêver de devenir avocate : «Je ne connais aucun avocat, mais je voudrais faire ça dans ma vie. Quand je dis que je veux faire avocate ma mère est fière de moi ! Le football, c'est juste l'une de mes passions, mais quand les choses sérieuses vont commencer je pourrai arrêter de jouer pour me consacrer à mon projet.» Pour revêtir la robe noire dans un tribunal, cette enfant de l'émigration projette de quitter la France un jour : «Je ne veux pas rester en France pour faire avocate, je voudrais exercer à l'étranger, par exemple au Canada.» La France ne la fait plus rêver ? Croyons en l'équipe de Corinne Diacre !
Episode 8 : un sport de gonzesse ?
Et voilà qu'un groupe de quinze footballeuses du collège François-Villon prend ses quartiers au Carreau du Temple, le temps d'une séance de cinéma. Le 21 mai, c'était le jour du «kick off» du festival Foot d'elles, une manifestation consacrée au football féminin qui se terminera avec une journée festive à base de tournois (de football et de baby-foot) arrosés au jus de fruit. Le rendez-vous est fixé au 6 juillet, la veille de la finale de la Coupe du monde féminine. Pour bien se mettre dans l'ambiance Mondial, qui commence à s'installer un peu partout, quoi de mieux que la projection d'un documentaire sur le sujet, avec un titre taquin : Un vrai sport de gonzesses. Farid Haroud, journaliste et réalisateur lyonnais, surtout grand fan de football, s'est plongé dans l'histoire de cette discipline jusqu'à nos jours (le documentaire est sorti en 2012). Archives télé à la clé, avec des déclarations qui aujourd'hui apparaissent délirantes («la place de la femme est plutôt en cuisine») ou hors sol («si les femmes veulent jouer, il vaut mieux que le stade n'ait pas de spectateurs»), le docu montre bien le cheminement «par vagues», comme le dit l'une des protagonistes, du football féminin. La route de la pratique a été effectivement sinusoïdale, avec des moments d'enthousiasme et des moments d'oubli. Il faut dire qu'avec l'arrivée du professionnalisme, poussé par l'Olympique lyonnais de Jean-Michel Aulas, lauréat à plusieurs reprises de la Ligue des champions (les Lyonnaises viennent tout juste d'en remporter la sixième édition contre le Barça), la discipline a fait petit à petit son trou dans le panorama français. «On verra après cette Coupe du Monde», lance Farid Haroud, curieux de découvrir la suite.
«Et patati et patata»
Même en 2019, tout n'est pas gagné pour les jeunes filles qui veulent commencer à taper le ballon, par rapport à leurs camarades de sexe masculin : «Mon frère me fait des remarques sexistes, du type : "Vous êtes nulles, pourquoi vous jouez au foot ?" Je ne réagis pas, je laisse ma mère réagir», commente Myriam, élève de quatrième, au moment de la discussion collective qui s'engage après la projection et le débat public. «Quand on regarde un match féminin, il dit : "Si je jouais contre elles, je gagnerais", et patati et patata. Au fond, comme je commence à aller à droite à gauche grâce au foot, ça l'énerve», raconte celle qui n'est soutenue que par sa mère dans la famille : «Les gens à l'extérieur, ils sont plus gentils que dans ma famille. On me salue dans la rue avec un "bonjour la footballeuse", "ça va la footballeuse ?"» Du groupe de quinze collégiennes jaillit un «C'est une histoire triste», alors que la très rapide ailière de l'équipe de François-Villon et du CA Paris 14, totalement sereine, déclare : «Ma famille n'est jamais venue voir un match de foot alors que pour mes frères, ils se déplacent. Maintenant je me suis habituée et je ne voudrais plus qu'ils viennent.»
Myriam a aimé le documentaire : «C'est beau parce qu'on voit la vie des gens.» D'autres, comme Aliya, font savoir leur déception : «C'est nul, c'est vieux. Je pensais que c'était un vrai film». Danielle Ericka, lunettes rondes sur le nez, après avoir abandonné le lip gloss et le miroir de poche avec lesquels elle s'est préparée pour la projection avec Koné et d'autres copines, a apprécié le travail de Farid Haroud : «On voit le commencement du football féminin. Au niveau des dates c'est choquant. En 1971, le premier vrai match international !» Dans le documentaire, on pose la question à des filles du club amateur (35 licenciées au début des années 2010) du village de Saint-Martin-en-Haut (Rhône-Alpes) : doivent-elles se justifier de leur pratique sportive ? La réponse est souvent positive, de même que dans notre échantillon de footballeuses. «Oui bien sûr, même au bled on m'a dit qu'il valait mieux que je fasse du basket ou du hand», répond Koné. Et pourquoi ? «Pour l'argent ! Ils m'ont dit qu'on gagne mieux.» Danielle Ericka a dû contrer un autre argument : «On m'a dit de faire de la natation car le football n'est pas un sport de filles.» Elle s'est accrochée et elle s'amuse dans son équipe scolaire qui fait «du foot récréatif. Les filles qu'on voit dans le film, qui sont au centre de Vaulx-en-Velin, c'est autre chose, elles veulent devenir pro».
Baby-foot mixte
Safiatou, à propos du documentaire : «C'est intéressant, ça m'a plu parce que pour une fois on parle des filles ! On parle toujours des garçons». Par contre les shorts des années 70-80 ont heurté son sens du bon goût : «Ils étaient trop courts !» La petite Shainez, elle, est restée sur sa faim, car elle n'a pas pu poser ses deux questions à Sandrine Dusang, ex-joueuse pro à l'OL, venue animer le débat post-projection avec Farid Haroud. Heureusement, à l'occasion d'une petite session de rattrapage après avoir attendu une bonne vingtaine de minutes très sagement sur un fauteuil, l'élève de sixième aura ses réponses : «Non, quand j'étais à Lyon je n'ai pas voulu changer d'équipe, j'étais déjà dans la meilleure au monde», répond, amusée, Sandrine Dusang. Mon équipe de rêve quand j'étais jeune ? Euh… c'est encore Lyon !»
Si le football reste un sport «macho», comme le dit Jean-Michel Aulas dans le documentaire, il y a de l'espoir grâce aussi au baby-foot mixte pensé et créé par l'ancienne joueuse Nicole Abar. Dès la fin de la projection, l'exemplaire placé dans le foyer du Carreau du Temple a été occupé par les lycéens d'Aulnay-sous-Bois, pour la grande majorité des garçons. Après un moment, les filles de François-Villon les ont défiés sur un match, remporté haut la main. Allez, à la maison, les gars !
Episode 7 : La grande déception
Les footballeuses de la porte de Vanves ont goûté à la défaite deux fois en quinze jours. Dans les chroniques sportives on titrerait : «L’équipe de François-Villon dégringole !» On trouverait un responsable, souvent le coach, ou sinon un attaquant qui n’a pas bien dormi la veille, pris par une fête de première importance, ou encore un gardien de but qui avait oublié ses lentilles de contact à la maison.
Ici rien de tout ça. Les footballeuses du collège François-Villon, contrairement au poète qui prête son nom à leur établissement, n'avaient pas le couteau entre les dents et n'iront donc pas, cette année scolaire, aux championnats de France de futsal ni à celui de foot à 8. «Si la défaite en futsal était assez prévisible, car dans un gymnase il faut une technique plus que parfaite et une vitesse d'exécution de dingue, domaines où on ne brille pas, l'élimination dans le tournoi inter académique de foot à 8 est source d'une grosse déception», commentent Thibault Leclere et Nicolas Bayard, les deux profs d'EPS de l'option football du collège.
Terminus Rueil
Le théâtre du tournoi inter académique de foot à 8 est une zone sportive plutôt cosy de Rueil-Malmaison. Trois équipes s'affrontent : les vertes du collège Saint-Nicolas d'Issy-les-Moulineaux, les bleues du collège Claude-Debussy d'Aulnay-sous-Bois et nos footballeuses parisiennes, en tunique orange fluo pour l'occasion. Réveil à l'aube ; après deux changements de métro, le RER A et un bus, l'équipe arrive à destination. Une «pièce rapportée» fait partie de la joyeuse brigade qui se retrouve à Rueil-Malmaison : il s'agit de Chaima, collégienne de Camille-Claudel dans le XIIIe arrondissement, et elle-même joueuse dans le club des Gobelins, qui sera l'arbitre de l'équipe de François-Villon. «A Paris intra-muros les collégiennes avec un brevet d'arbitre ne courent pas les rues, du coup on a trouvé Chaima qui a gentiment accepté de passer la matinée avec nous. Elle nous a sauvés car les équipes doivent toutes avoir un arbitre et un jeune coach.» Dans le rôle du coach aujourd'hui il y a Naima.
Le tirage au sort donne son verdict : l’équipe de François Villon jouera le deuxième match du tournoi contre les vertes d’Issy-les-Moulineaux puis enchaînera contre les bleues d’Aulnay. Pendant le premier match entre les vertes et les bleues, nos footballeuses resteront sur le banc puis s’échaufferont une bonne vingtaine de minutes, sous une météo minable en ce jour grisailleux de début avril.
Les bleues d'Aulnay encaissent un 4–0 aussi sec que légitime : les vertes d'Issy-les-Moulineaux sont un cran au-dessus. «Il faudra limiter la casse contre Issy, les filles d'Aulnay on peut les avoir», confie, très concentré Thibault Leclere. Le match entre vertes d'Issy et oranges de la porte de Vanves commence bien pour ces dernières. Après les 20 minutes de la première période, nos footballeuses n'ont encaissé qu'un but et ont causé plus d'une difficulté à la gardienne verte (qui revêt aujourd'hui un maillot jaune). A la fin du match, le 3-0 des vertes est, tout compte fait, un bon score qui laisse surtout ouverte la qualification en cas de victoire ou de match nul contre les bleues.
Match décisif : le rêve au bout d’un but
Sauf que… le ballon est rond et le sport souvent cruel ! Nos footballeuses, après un début de match prometteur, apparaissent un tantinet émoussées. Elles perdent leur point de repère central en Ludivine, excellente dans le premier match, ici en dessous de son standard. Pas de passes vraiment réfléchies, plutôt un jeu à la sauce Playstation. Le peu de balles qui arrivent à Ange, le pivot d'attaque, ne sont pas jouables ou presque. Zeguela, l'excellente gardienne, se surpasse plusieurs fois pour sauver son but, mais devra capituler deux fois avant la mi-temps. Le discours du coach Leclere pendant la pause réveille l'orgueil, mais ne peut rien faire pour la lucidité de ses joueuses, qui est restée au vestiaire. Le troisième but est encaissé avant la troisième minute de la deuxième mi-temps : «C'est fini là, elles ne m'écoutent pas», Thibault Leclere baisse les bras. Et non, pas encore, parce qu'une chevauchée sur la droite de Chanezia donne le premier but du tournoi à son équipe, puis un but sur une déviation devant la ligne de Maryanne réduit encore le score : 3-2 pour les bleues d'Aulnay. On est à un but des championnats de France, d'une aventure humaine à vivre avec ses copines pendant une semaine dans une ville française assez loin de Paris pour ne pas rentrer le soir. Le rythme augmente, les 4 dernières minutes ressemblent à un siège ; une balle tendue de la gauche passe devant la ligne de but des bleues, devant le nez d'au moins trois oranges qui n'arrivent pas à la toucher. La joie et la déception coexistent très près l'une de l'autre, à quelques centimètres près…
Le triple coup de sifflet de la jeune arbitre amenée par l'équipe des vertes arrive comme un uppercut en pleine figure. Pour Aulnay ce sera la joie, pour François-Villon la déception. «Vous avez réagi comme il le fallait, on est orgueilleux de ça. Mais là on voit aussi qu'il faudra s'appliquer plus à l'entraînement», distillent dans un brief à chaud Leclere et Bayard, aussi déçus que les filles. Pour elles il ne reste plus qu'à renifler les quelques larmes qui descendent en essayant de refaire le match sur la route des vestiaires. «Au début du tournoi on leur dit que c'est la manière qui compte, comment elles vont jouer, traiter chaque balle et chaque situation… et que si elles jouent avec la manière elles vont réussir. Mais bon, l'objectif reste de passer la marche suivante et pour cela il fallait au moins un but en plus», analyse, résigné, Nicolas Bayard. A 13 ans de moyenne d'âge, les footballeuses de la porte de Vanves ont encore beaucoup de possibilités pour gagner, surtout si elles retiennent la leçon.
Episode 6: A l’aide ! (aux devoirs)
Le parfum des vacances plane sur toutes les filles en ce jeudi après-midi, avant-veille de la pause scolaire de deux semaines. La douceur et la lumière du soleil d'un printemps éphémère n'invitent franchement pas à se mettre dans une salle pour travailler, pourtant voilà nos footballeuses avec cette fois stylos, cahiers et livres à la place des shorts et crampons. De 14 h 30 à 15 h 30, les footballeuses de troisième et de quatrième ont «aide aux devoirs», une heure de travail sous le contrôle de Rachid Amejjoud, éducateur de la Mairie de Paris. «Ce dispositif s'inscrit dans les politiques de la ville», nous raconte l'éducateur, autrefois aussi impliqué dans la section football du collège : «Ce collège étiqueté REP, Réseau éducation prioritaire, bénéficie d'un plan de soutien des élèves qui s'appelle Action collège. Dans ma salle tout le monde peut venir, lire un magazine, discuter avec moi d'un problème, car le rapport n'est pas le même qu'avec un enseignant. Puis il y a des créneaux qui sont réservés, comme ceux pour l'option football du collège. Comme les parents sont souvent frileux quand il s'agit de faire pratiquer du sport en plus aux jeunes, là dans le pack d'heures de football en plus, on met aussi une heure obligatoire de travail.» Les filles y viennent avec leurs DM (devoir maison), pour essayer de les liquider et ne plus en avoir une fois l'entraînement terminé.
Mais voilà une petite ruse, à la sauce fake news, trouvé par les filles de quatrième ce jeudi. Les classes de troisième étant en stage, les footballeuses de quatrième croient «avoir entendu» que ce jour-là il n'y aura pas d'aide aux devoirs, peut-être même pas d'entraînement après. Monsieur Bayard, qui nous accompagne vers la salle de Rachid Amejjoud ne croit qu'à moitié aux affirmations des élèves : «Ecoutez, moi je n'ai pas eu cette information. Le fait que les troisièmes soient en stage n'annule pas automatiquement les séances d'entraînement ni, a fortiori, l'aide aux devoirs», assène-t-il calmement. Soucieux de recouper l'information et de démanteler la possible fake news, il appelle son collègue Thibault Leclere, lequel lui confirme qu'il y a bien et l'aide aux devoirs et l'entraînement qui suit. La petite contestation se poursuit dans la salle avec des arguments de moins en moins convaincants de la part des filles. Rachid Amejjoud les accueille avec un grand sourire en un : «Ça va vous coûter deux heures de colle, pour fausse information !, lance-t-il, taquin. Et puis vous n'allez pas négocier avec moi, vous allez rester ici pour l'heure d'aide aux devoirs et après on verra si vous avez entraînement ou pas !», puis encore : «Eh mademoiselle, pas la peine de faire la tête. Manklanga tu mets ton chewing-gum à la poubelle et on commence». «Non je vais le manger !», la réponse fuse avec un sourire bien sonore. Toujours pas trop d'accord, les huit footballeuses prennent place dans la salle à contrecœur, la mine blasée : «Les filles, soyez sages et il va y avoir une surprise !», lance alors, changeant de tactique, Rachid Amejjoud qui connaît très bien son public. «Cinéma il va nous dire», répond du tac-au-tac Danielle Ericka qui avec ses lunettes fines et son art de la repartie, ne lâche pas une miette. «Bah, cinéma c'est vrai», répond Rachid Amejjoud, «On l'a vu quand le cinéma ?», tacle Manklanga, «Eh, arrêtez d'être insolentes, là on va se mettre autour de la table, on va se présenter à notre invité et on va travailler. Ne me fais pas regretter d'avoir mis une bonne appréciation sur ton bulletin !». Ah, les bulletins ! Ceux du premier semestre sont en route et vont arriver par courrier pendant les vacances. «Il n'y a pas un rendez-vous de remise des bulletins avec les parents ?», demande-t-on. «Eh non ! Il n'y en a plus, et toi tu as voté au CA !», répondent les filles, certaines visent Danielle Ericka : «Oui c'est vrai, j'ai voté pour l'arrêt des réunions, mais sans le savoir car ils n'envoient jamais l'ordre du jour en avance», se défend l'élue au conseil d'administration de l'établissement. La majorité des filles préférait en effet pouvoir plaider leur cause en présence des professeurs et des parents lors de rendez-vous pour la remise du bulletin et trouve donc un peu sec de recevoir ce document dans la boîte aux lettres des parents : «Moi ça me va bien, elles vont se faire taper dessus !», renchérit dans un éclat de rire Rachid Amejjoud qui essaye de reprendre les choses en main en se dirigeant vers son bureau pour sortir d'un tiroir une tablette de chocolat noir à la poire : «Qui en veut ?», demande-t-il de façon rhétorique avant de faire la distribution de la gourmandise : «C'est bien la première fois qu'il nous donne quelque chose», répondent les filles dans ce match de ping-pong verbal avec l'animateur, qui ne se décompose pas. «Elles ont bien grandi, je me les rappelle en sixième, dit-il en levant les yeux au ciel, mais elles restent encore des bébés d'une certaine manière.»
Quoi qu'il en soit les filles apprécient cette heure où elles peuvent être aidées dans leurs devoirs et, tout simplement, améliorer leurs notes : «Franchement c'est très utile ; si j'ai eu 18 au dernier DM de maths c'est grâce à lui», affirme très honnête Danielle Ericka. «Attention je ne fais pas les devoirs à leur place, mon rôle est de les faire réfléchir», assure Rachid. Nayma réclame un point en plus qu'on ne lui a pas octroyé en géographie : «Mais monsieur j'ai eu que 15, mais j'aurais dû avoir 16 car Hongkong est bien en Chine !» S'ensuit un petit débat, obligatoire sur chaque sujet à cet âge et dans ce contexte, peut-être plus libre que dans la salle de cours vis-à-vis du professeur.
Koné sort de son sac un livre : c'est No et moi de Delphine De Vigan. «On doit le lire pendant les vacances, en faire un résumé de 30 lignes, des dessins et une petite biographie de l'auteur.» Pour les vacances, pas de ski au programme ni de salon de l'agriculture, bien que ce dernier soit très proche du quartier, mais plutôt des journées passées entre amies ou en famille. Un rendez-vous pour fêter les vacances est quand même d'ores et déjà fixé : un passage au McDo.
«Cela nous arrive d'amener des filles en séjour pendant les vacances, dans un Center Parc par exemple. Mais on organise des sorties aussi au cinéma, au théâtre grâce au soutien de la mairie du XIVe. Dans les quartiers il y a quand même pas mal de familles qui ne peuvent pas se permettre de partir, nous raconte à la fin de l'heure Rachid Amejjoud. Le quartier est assez défavorisé mais il y a un réseau d'aide important qui est un soutien fondamental pour le vivre ensemble.»
Episode 5: pannes de stylos à Clairefontaine
Les footballeuses de la porte de Vanves portent-elles la bonne étoile ? Cela se pourrait, vu le brillant résultat de l’équipe de France féminine de football, samedi dernier contre les Etats-Unis : un 3-1 qui réchauffe les cœurs des passionnés avant la Coupe du monde en France, en juin prochain. Une délégation de huit filles de l’option football du collège François-Villon, accompagnée par Nicolas Bayard, prof d’EPS et coresponsable de la section, a pris la route du Centre national de football de Clairefontaine pour assister à une séance d’entraînement public quelques jours avant le match victorieux de l’équipe entraînée par Corinne Diacre. Le rendez-vous est donné par le service communication de la Fédération française de foot : 16h15, ouverture des portes du stade Pibarot qui accueillera l’entraînement de l’équipe de France à 17h30. Quinze minutes avant, à 17h15, possibilité de se procurer photos et autographes auprès des joueuses.
Nous prenons la route de Clairefontaine vers 14h30, après avoir fait un dernier passage à la supérette du quartier pour acheter quelques sandwichs, l’après-midi va être long : «Le retour pourrait se faire assez tard dans la soirée», avait prudemment prévenu Nicolas Bayard. Le petit arrêt dans une aire de services à mi-route pour faire le plein du van de neuf places nous permet d’admirer le véhicule dans toute sa singularité. Appartenant au club partenaire de l’option football, il doit en avoir vu de belles. Son toit est cabossé, façon rencontre malencontreuse avec un astéroïde absolument déterminé à visiter la croûte terrestre. La porte coulissante, pour faire monter et sortir les passagers, a fait venir des sueurs froides à Nicolas Bayard, qui a cru ne pas pouvoir l’ouvrir et la fermer correctement. Il commente néanmoins avec pragmatisme : «Le club nous rend un gros service car avec le budget de la section football nous n’aurions pas pu louer un car.» C’est aussi pour cela que la visite dans le temple du football tricolore est réservée à huit chanceuses.
«Ces billets vont rester dans leurs affaires longtemps»
Quand on pense qu’un très bon footballeur pourrait s’acheter un van par jour avec son salaire, on comprend que les clubs amateurs tapent de temps en temps du poing sur la table, afin que le ruissellement de la richesse du haut vers le bas soit effectif. Les huit footballeuses de la porte de Vanves sont souriantes et impatientes d’aller voir les championnes en maillot bleu, dont elles ne connaissaient quand même pas tous les noms… Pendant le trajet Assanata et Assanatou, sœurs jumelles, essayent de se voler la place, très convoitée, à côté du conducteur, monsieur Bayard.
Le domaine de Montjoye qui abrite le Centre national du football de Clairefontaine est tellement calme que l’effet dépaysant surprend. Nos footballeuses se rendent compte tout de suite qu’elles ne seront pas les seules armées de crayons et cahiers ou du plus technologique smartphone à vouloir des selfies avec Wendy Renard & co. Après une petite négociation avec l’un des vigiles présents sur le domaine, nous sommes en effet un peu en avance et nous ne pouvons pas nous garer sur un parking vide : «L’heure c’est l’heure ici.» Arrive le moment de descendre de la camionnette : «Où est le stade ? Quand est-ce qu’on rentre ? Il fait froid là !», l’impatience et la fraîcheur grandissent. Cette dernière surtout fait grelotter les filles sans gants ni bonnet.
Le temps de remonter la route principale pour arriver à la porte du stade, où stationnent des filles juste descendues d’un car de la ville de Bobigny, et l’on révise le trombinoscope des Bleues présentes à ce rassemblement. L’entrée dans le stade se fait dans un silence presque religieux : «Vous êtes qui ? Ah oui, collège Villon de Paris», se repère à haute voix une dame de l’accueil, qui coche les noms un par un en donnant un billet pour l’événement. «Tu peux en être sûr, ces billets vont rester dans leurs affaires longtemps», nous souffle Nicolas Bayard, avec un fil d’émotion dans la voix. On commence à sortir papiers et stylos. Dont la grande majorité ne fonctionne pas : au secours ! Le professeur d’EPS et nous-même faisons nos poches pour en trouver qui puissent défier le froid et remplacer ceux qui ont rendu l’âme au mauvais moment.
Images Panini
La pagaille est contrôlée par Nicolas Bayard qui commence la distribution des biscuits achetés pour le goûter. Le temps d’engloutir son Granola et de se faire remarquer et rappeler à l’ordre, de loin, par un vigile du stade tout de noir vêtu avec un gros talkie-walkie à l’épaule, un groupe de joueuses en bleu commencent à se diriger sur la pelouse vers la partie opposée à la nôtre : «C’est Wendie Renard, à gauche du groupe !» lance excitée Imane. «Comment tu le sais ?», «C’est la plus grande !» En effet, Wendie Renard, du haut de ses 187 centimètres, 190 avec crampons, guide les Bleues vers la rambarde où une petite cinquantaine de filles les attendent. La Martiniquaise s’approche en premier, souriante : «Bonjour et bonne année !», brisant la glace créée par la surprise et l’émotion. Shaima, qui sautille d’excitation depuis quelques minutes, débute ainsi une très longue série de selfies : pas une joueuse n’y échappera.
Les footballeuses de l’équipe de France, disponibles et amusées, échangent volontiers quand les langues, un peu nouées, arrivent à se libérer et composer une phrase. Heureusement pour leurs cadettes de la porte de Vanves que les Bleues ont des cartes à leur effigie prêtes à être signées : très pratique. Mais la séance d’autographes doit laisser la place à l’entraînement. Il faut donc se placer dans la tribune, où les filles commencent à regarder leurs photos, puis à compter les cartes avec autographes et en faire des échanges, comme avec des images Panini. Le temps vole et une heure plus tard, les joueuses de Corinne Diacre reprennent la route du vestiaire. Pour celles de la porte de Vanves, c’est direction le parking qui à la nuit tombée, pourrait servir de décor à un film d’épouvante. L’heure c’est l’heure, il faut reprendre le chemin de la capitale. «Ciao Clairefontaine, un jour on va revenir mais pour taper la balle.»
Episode 4 : la querelle des anciennes et des nouvelles
Tout ne va pas toujours comme dans le meilleur des mondes chez les footballeuses de la porte de Vanves. Gérer un groupe de préadolescentes et adolescentes avec des différences d’âge peut présenter des difficultés pour les encadrants. Nicolas Bayard est l’enseignant en charge du groupe qui, le lundi, réunit les filles de sixième, nouvelles dans la section, et celles de cinquième, qui se sentent désormais des «anciennes». «Quand j’entraîne les filles de sixième et cinquième, depuis quelque temps j’ai noté que ces dernières veulent imposer leur ancienneté sur les «petites». Pas d’entraide envers les nouvelles filles de la section, pas de bienveillance. De plus, elles commencent à contester toutes mes décisions, elles ne s’engagent plus à l’entraînement», raconte avant son discours dans le vestiaire en fin de séance le jeune professeur d’EPS, un tantinet dépité mais sûr de pouvoir renverser la vapeur.
Les footballeuses de cinquième dictent la loi du plus fort et du plus vieux, ne montrent pas l’exemple et ainsi faisant légitiment le manque d’engagement des nouvelles sixièmes, forcément perturbées par cette attitude des copines plus âgées d’un an. Le discours de Nicolas Bayard est ferme mais à portée d’adolescente : «Vous le savez, je ne suis pas pour les sanctions, je passe par la parole, mais si ça ne change pas, on devra prendre des décisions, qui peuvent aller jusqu’à l’exclusion de la section.» Les filles présentes passent d’un sourire nerveux à la contemplation de leurs chaussures. Nicolas Bayard précise avec une pointe de rhétorique : «Je ne comprends pas pourquoi, quand on s’entraîne avec les élèves de quatrième et de troisième le mardi, vous êtes super, et quand vous êtes seules avec les sixièmes vous changez et votre comportement devient inadmissible.»
«Un peu d’humilité, vous connaissez ce mot ?»
Thibault Leclere, responsable de la section, renchérit : «Je crois que vous avez oublié que, quand vous rentrez ici en sixième, pour la grande majorité, vous débutez le football. Si dans cette phase délicate vous avez des copines qui vous rabaissent tout le temps, vous ne pouvez pas progresser. Je crois que les cinquièmes de l’année dernière se sont comportées mieux que vous cette année. Vous faites aussi plein d’erreurs dans les matchs, donc il ne faut pas que vous vous preniez pour ce que vous n’êtes pas : il n’y a pas de stars ici à François-Villon. Un petit peu d’humilité, vous connaissez ce mot ? C’est savoir rester à sa place. Pour les sixièmes, l’air de rien, vous êtes des modèles, même si le mot est un peu fort, du coup il faut les accompagner. Vous n’avez pas besoin de rabaisser les autres pour vous sentir plus fortes : ce sont les gens faibles qui font cela. On veut un changement de comportement, d’autant plus que vous êtes capables de faire les choses bien, comme Nicolas Bayard l’a dit. Est-ce que le message est passé ?»
Un seul hochement de tête timide suit, la question est donc répétée : «Le message est bien passé ?» Cette fois toutes les filles présentes donnent un signal positif. Qui ne tarde à se confirmer lors d’un petit tournoi auquel l’équipe du collège François-Villon, composée par les élèves de sixième et de cinquième, participe. Huit contre huit sur un terrain synthétique enclavé par les immeubles de la porte de Choisy, les footballeuses de la porte de Vanves doivent affronter deux autres équipes de collégiennes du même âge. Une seule, celle du collège Saint-Michel-de-Picpus, se présente. Comme souvent dans le football féminin, c’est la débrouille. Les footballeuses de la porte de Vanves se divisent en deux groupes de façon à pouvoir jouer le mini-tournoi à trois équipes. «Rien de mieux pour recréer une bonne ambiance qu’un tournoi où on fait jouer ensemble les filles, où elles doivent s’aider à tout moment», expliquent les deux professeurs d’EPS. Sur le terrain les choses se passent bien. Les filles de cinquième et de sixième se mélangent, s’entraident, s’appellent par leurs prénoms, s’encouragent, se tapent dans la main à la fin des matchs (victorieux). On lit la fatigue mais aussi le soulagement sur les visages de Nicolas Bayard et Thibault Leclere.
Episode 3, décembre : électrocardiogramme et chocolat
«Avant Noël on voulait faire passer une visite médicale sportive à nos filles, raconte Thibault Leclere, professeur d'EPS responsable de l'option football au collège François-Villon. C'est quelque chose qu'on devrait faire tous les ans. Mais bon, comme on doit financer à 100 % ces visites, car les familles ne peuvent pas se permettre des frais de ce type [une petite centaine d'euros, ndlr], ce n'est pas toujours évident pour l'établissement.» Son collègue Nicolas Bayard a trouvé le lieu adapté: l'Institut Cœur Effort Santé (Ices) dans le Ve arrondissement. Nous voilà donc à nous promener au Jardin des Plantes avec le groupe qui passe ses visites ce jeudi après-midi de décembre. Le cabinet médical étant trop petit pour accueillir tout le groupe, on prend l'air juste à côté en attendant son tour. Electrocardiogramme au repos et après effort (des squats jumps sur place), analyse d'urine, poids, taille, taux de masse grasse : autant de paramètres auxquels nos footballeuses en herbe ont dû se mesurer, après avoir rempli un formulaire où des mots inconnus comme diabète ou mort subite se glissent comme des obstacles cachés dans une course. Pour toutes les footballeuses de la porte de Vanves, il s'agissait de la première visite médicale sportive de leur vie (et parfois du premier tour au Jardin des Plantes).
Quelques jours après, retour à l’entraînement du mardi après-midi, qui rassemble toutes les filles de l’option football, de la sixième à la troisième.
Ludivine a passé la visite avec des béquilles, pas la meilleure façon de commencer : «En plus j'étais la première du premier groupe et donc je ne savais pas trop à quoi m'attendre», raconte cette élève de quatrième qui «adoooore le football. Je suis toujours l'équipe de France mais aussi le Portugal, le pays de mon papa. Des fois je joue aussi avec ma maman.» Ce jour-là, elle est encore abonnée au banc avec une méchante entorse à la cheville gauche, survenue lors d'un faux pas ; c'est quand même la troisième fois en peu de temps pour la même cheville. «La visite médicale s'est bien passée. Le médecin m'a dit de voir un podologue pour mettre des semelles et redresser mes appuis. OK, il m'a dit aussi que je devrais perdre un kilo, mais cela je pourrai le faire très facilement en faisant attention à mon alimentation : je mange beaucoup de chocolat, je vais en manger un peu moins», raconte-t-elle. Une chose a un peu gêné l'adolescente aux longs cheveux châtains : «Pour faire l'électrocardiogramme il fallait se mettre en sous-vêtements. Cela m'a un peu surprise, mais j'ai fait confiance au monsieur car je savais que c'était un professionnel.»
Découvrir
Rachida, en classe de cinquième, nous relate l'ordre complet des examens passés pendant la visite médicale : «D'abord, on va faire pipi dans un pot, puis j'ai dû me mettre en short et soutif. Puis on nous attache des ventouses pour l'électrocardiogramme, pour savoir si notre cœur marche bien ou pas. Puis on nous a mesuré la tension…» Rachida, arrivée à Paris le 11 août 2016, en provenance de Mayotte, voudrait bien jouer aussi au CA Paris, le club du XIVe arrondissement qui est partenaire du collège François-Villon, mais pour l'instant elle n'a pas le feu vert de sa mère : «Elle ne veut pas car l'après-midi après l'école je dois aller récupérer ma sœur, qui a 6 ans.» L'adolescente de 13 ans, à l'allure encore infantile, souffre d'asthme : «Je l'ai dit au docteur tout de suite car j'ai un traitement avec de la ventoline à prendre deux fois par jour et une pastille le soir. Je crois que c'est important de connaître notre tension. Le médecin, il peut aussi nous dire si on peut refaire la section l'année prochaine.» Rachida se souvient du sport qu'elle pratiquait à Mayotte : «On faisait des trucs physiques, de la muscu, mais aussi du badminton», pour le moment elle «aime bien le football car c'est une discipline technique et on peut s'amuser dans les matchs avec les copines et à l'entraînement. Quand je joue au foot c'est comme si j'avais plus d'énergie. Je me sens plus forte, ça me donne de la confiance. Quand je tape la balle plus fort, je me sens mieux.»
Maryanne, au physique aérien, a profité de la visite médicale pour découvrir de nouvelles machines avec lesquelles «on contrôle si tout va bien. Le cœur par exemple. J'ai fait des choses que je n'avais jamais faites chez un médecin : c'était intéressant». Comme beaucoup de ses copines, la gêne principale est venue du fait de se mettre en sous-vêtements pour réaliser l'électrocardiogramme : «On te plaque de petites ventouses autour du cœur, aux poignets et aux chevilles, pour voir si ton cœur marche bien. Apparemment je dois aller voir un podologue pour mettre des semelles, mais globalement tout va bien. Cette visite nous aide à savoir si on peut continuer à pratiquer le football, c'est important.»
Même ton dans les mots de Zara, élève de 3e, un brin blasée : «La visite ne m'a rien amené de plus, mais je me sens rassurée car à la rentrée j'étais blessée. J'avais une déchirure musculaire, et maintenant tout va bien.»
Détecter
Et le médecin, qu'en pense-t-il ? «L'initiative des professeurs d'EPS du collège François-Villon est louable : il ne m'arrive pas souvent de faire passer des visites à des élèves d'une option sportive, alors que cela devrait être automatique», constate le docteur Yves Hervouet des Forges, médecin du sport passé par l'Insep auprès de l'équipe de France de judo et ju-jitsu. «Ces collégiennes présentent les mêmes problèmes qu'on retrouve dans la population générale de leur tranche d'âge, 12-14 ans : du surpoids causé par une alimentation désastreuse, quelques problèmes articulaires liés à la croissance… mais globalement elles vont bien. Après, sur un groupe de trente filles, on trouve toujours quelque chose.»
L'intérêt de la «visite d'absence de contradiction à la pratique sportive», son nom administratif, est non seulement de détecter des soucis de santé grands ou petits, mais aussi de sensibiliser les jeunes sportifs : «Les filles repartent toutes avec des feuilles de conseils sur l'alimentation et sur la bonne gestion de leur corps pendant la pratique : étirements, échauffement, etc. On leur explique aussi qu'il ne faut pas prendre de médicaments sans avoir consulté un médecin. L'activité physique est un prétexte pour la bonne santé, donc autant en profiter et régler ce qui peut l'être tout de suite.» Si l'alimentation et les problèmes podologiques sont les plus répandus dans le groupe, le docteur Hervouet des Forges a conseillé à plusieurs filles de se rendre plus souvent chez le dentiste : «C'est important, surtout à leur âge, car des problèmes dentaires peuvent en entraîner d'autres. Par contre, au niveau des vaccins, elles sont vraiment dans les clous.» Les footballeuses de la porte de Vanves l'ont compris : feu vert pour poursuivre leur route, mais doucement sur les bonbons…
Episode 2, novembre : l’école ne suffit pas
Le football, c'est un sport, mais c'est aussi et surtout un jeu : c'est bien ainsi qu'une grande majorité de pratiquants le conçoivent. Les footballeuses de la porte de Vanves, à Paris, ne font pas exception. Pour prolonger le plaisir et «parce qu'à l'école on s'entraîne mais on ne joue pas assez de matchs», les filles de l'option football du collège François-Villon sont inscrites, toutes ou presque, dans un club du XIVe arrondissement : le CA Paris. «C'est la meilleure façon de progresser : à l'école on n'a que deux séances, sans les matchs. En club vous avez deux autres séances plus le match en fin de semaine», éclaire Thibault Leclere, le professeur d'EPS responsable de la section football du collège, lors de la causerie de début d'année.
Agrégation sociale
«C'est dans l'ADN de notre structure : travailler dans notre quartier avec le plus grand nombre de personnes. Notre devise, «tous différents, tous unis, tous fiers de nos couleurs» veut bien dire cela !» embraye Magali Munos, trentenaire pêchue avec le virus du football dans le sang. Elle-même joueuse, elle a pris la tête du club fondé en 1897, voici quasiment un an. Le CA Paris compte environ 700 licenciés dont un peu moins de 150 sont des filles âgées de 6 à 40 ans. Magali Munos fait partie de l'équipe senior 1 qui dispute le championnat de R1 (régional 1) et avec laquelle, lors du match de la veille, elle a marqué deux buts. «Quand j'étais ado, ce n'était pas du tout facile de pratiquer le football en tant que fille. C'est pour cela aussi que je m'implique pour que tout un chacun puisse s'amuser en jouant au ballon rond», raconte-t-elle avec enthousiasme.
Dans le club du sud de la capitale, le football est identifié comme un vecteur d'agrégation sociale, de mixité : «De ce fait, le partenariat avec la cité scolaire François-Villon et les écoles élémentaire du secteur ont du sens pour nous. Tout autant que les séances que nous organisons chaque mercredi après-midi en cheville avec la mairie de Paris et qui s'adressent aux filles du quartier qui s'ennuient et ont envie de faire un foot.»
Parmi les licenciées du CA Paris, une petite trentaine viennent de la cité scolaire Villon. Avec Magali Munos devant le club house du stade Didot, en ce dimanche matin au soleil timide de début novembre, c'est Charles Morisseau, responsable de la section jeune, qui fait le point : «On essaye de trouver la manière de créer des passerelles entre les écoles du quartier et notre club. En travaillant par exemple avec les écoles primaires, on leur présente l'option football qui existe au collège Villon, afin que les plus motivées puissent l'intégrer.» Le temps d'échanger sur la stratégie et sur les différentes collaborations, les filles arrivent, sac à l'épaule et tchatche aux lèvres. Aujourd'hui, l'équipe U16 (moins de 16 ans) du CA Paris va affronter en match amical ses paires de Bobigny. Pas de foot à 7 ni de futsal, comme à l'école, mais du football à 11. «C'est ainsi qu'on va les habituer à évoluer sur un grand terrain, un jour elles vont y arriver car les effectifs féminins du club grandissent petit à petit et on pourra donc s'inscrire à un championnat», glisse Mokrane Chekroune, l'éducateur de l'U16 au CA Paris.
Photo Edouard Caupeil
Concentration
Le soleil commence à pointer ; le match des deux équipes seniors a pris du retard, il faut attendre : «Ce sont les aléas du football à notre niveau», déclare en souriant Magali Munos. On est cependant loin d'avoir vu tous les aléas de la journée : l'équipe de Bobigny ne se présentera en fait jamais au stade Didot. «Ça arrive surtout quand c'est un match amical.» Les 17 filles de l'équipe U16 du CA Paris, elles, sont bien toutes arrivées, plutôt bien réveillées et souriantes, en ce dernier week-end de vacances scolaires. Leur coach ne se démonte pas : «On va faire une petite séance puis un match entre nous sur la moitié du terrain, à 7 contre 7. Mais d'abord on va faire une piqûre de rappel sur la technique de jeu à 11.» Une fois les footballeuses en tenue, on rentre dans le vestiaire avec le coach pour le cours de tactique. Le silence règne, souverain, on le confondrait avec un état de concentration pré-match. Les jeunes footballeuses ne quittent pas des yeux le tableau sur lequel leur entraîneur dessine les placements et les mouvements de chacune. On découvre que leur système de jeu sera un 4-2-3-1 (4 défenseuses, 2 milieux défensives, 3 offensives, 1 attaquante de pointe).
Quelques questions sont posées par le coach : les (bonnes) réponses fusent. Zone de conservation, zone de progression, mouvements en bloc pour créer le déséquilibre et enfin zone de finition. Tout cela n'a plus de secrets pour les 17 ados en crampons. Enfin, sauf dans la pratique, où tout ne se passe pas tout de suite comme dans la théorie. «Vous voyez, elles sont toutes près du ballon, elles ne cherchent pas à gagner de l'espace», note avec un sourire bienveillant Mokrane Chekroune, en observant un exercice avec la balle juste avant de commencer le match.
Sur le terrain l'équipe des violettes exprime plus d'engagement, plus de rigueur et d'organisation : résultat, 4-0. «Souvent c'est comme ça : à cet âge, il n'y a pas une grande différence technique, qui a plus l'envie remporte le match», commente le coach qui conclut ainsi en direction du groupe : «Vous vous êtes amusées ?» «Oui, mais c'est dommage que l'autre club ne soit pas venu», lui répond une joueuse. «Qu'importe, on vient ici pour jouer au foot, on a joué non ? Et alors on est contentes !» réplique une camarade. Le jeu pour le jeu, oui. C'est d'ailleurs la différence principale que les élèves de l'option football trouvent entre la pratique à l'école et en club : «On préfère en club, car il y a les matchs en fin de semaine. A l'école on s'entraîne, on s'entraîne, mais on ne joue jamais.» Et le championnat de France UNSS du printemps prochain, alors ? «Oui, mais il faut se qualifier !» Eh oui, même pour jouer, parfois, il faut bien travailler un peu.
Episode 1, octobre : la causerie de rentrée et les chips de l’Elysée
Mi-septembre. Il est temps de réunir tout le monde et de planter le cadre de l'année scolaire. «C'est la première fois que j'organise une réunion pour toutes les filles de la section : on essaie de s'améliorer nous aussi», lance avec un grand sourire Thibault Leclere, professeur d'EPS et responsable de l'option football féminin au collège François-Villon. «La trentaine de filles que vous verrez à la réunion sortent presque exclusivement du quartier. Autrefois l'option football avait un accord avec le PSG, du coup toutes leurs filles venaient ici. Maintenant que ce n'est plus le cas, on travaille avec les filles de cette zone, l'étiquette REP nous impose de nous connecter avec les écoles primaires de ce quartier qui n'est pas le plus riche de Paris», expliquent les enseignants Thibault Leclere et Nicolas Bayard, désireux de faire progresser ces jeunes dans le sport pour en faire des «élèves, des filles et des femmes meilleures».
La réunion dans l'amphi du collège approche. Sur la scène, disposées sur des chaises, les tenues que les filles seront tenues d'utiliser : une fournie jusqu'à la fin de l'année par le collège, que les joueuses portent aux entraînements et aux compétitions, et celle du club partenaire, le CA Paris, pour les licenciées de ce club voisin du collège. Le kit est signé de la marque italienne Macron. Ce qui fait bondir deux collégiennes : «M'sieur, m'sieur, mais c'est le président de la République qui nous donne ça ?», «Rien à voir, il ne s'intéresse pas encore à nous !», répondent les deux enseignants, qui démarrent le powerpoint de présentation.
Pourtant un bon groupe de filles de la section football a eu un privilège le 16 juillet. «L'Union nationale du sport scolaire (UNSS) nous a demandé, la veille, d'emmener un groupe de filles à l'Elysée pour la fête organisée par le président de la République le lendemain de la victoire à Moscou, explique Leclere. Beaucoup de collègues étaient déjà partis en vacances, mais on a trouvé quelqu'un à la dernière minute pour les accompagner.» Le souvenir est encore très vif dans l'esprit de ces adolescentes et préadolescentes qui ne se font pas prier pour raconter, toutes à la fois, leur expérience dans les jardins de l'Elysée : «C'était pas très bien organisé, on n'a rien vu, il y avait trop de personnes.» D'autres anecdotes surgissent de la boîte à souvenirs : «N'Golo Kanté il n'arrêtait pas de rigoler, les autres étaient presque intimidés.» Et puis ça fuse : «Moi j'ai vu Mbappé de la fenêtre», «Moi Pogba !» «On a arraché l'écharpe à Matuidi !» Qui, elles ? «Non, non on n'est pas des sauvages, nous !» On ne saura pas combien de temps elles ont patienté avant de voir les champions du monde, l'estimation va de deux à six heures, elles sont par contre d'accord pour dire que l'attente, c'était le moment le plus sympa. Même unanimité concernant le cocktail : les chips remportent tous les suffrages.
Photo Edouard Caupeil
La présentation des activités et des règles de conduite se termine. Les nouvelles ont pu voir les vidéos des aventures de l'année dernière aux championnats de France UNSS. «C'est un peu une carotte, mais il faut les faire rêver pour qu'elles se motivent et soient au rendez-vous à l'entraînement et dans les autres matières aussi. Participer à un championnat de ce type pour nos filles signifie passer une semaine inoubliable d'un point de vue humain, confient Leclere et Bayard. On est bien loin du niveau des meilleures qui sortent de pôles espoir et qui jouent souvent à côté dans des grands clubs, mais se mesurer aux plus fortes ne peut que les stimuler.» Les footballeuses de la porte de Vanves doivent adopter un comportement irréprochable à l'école : «Vous représentez le collège, vous devez en être fières et être des exemples pour les autres», répète le professeur responsable de l'option. Pour les aider à ne pas oublier les autres matières, elles ont deux heures obligatoires d'aide aux devoirs par semaine. Une dernière question avant d'aller faire la photo de la section, comme les Français à Clairefontaine avant de partir pour la Russie. Que leur inspire l'exploit des Bleus ? «De l'espoir.»