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NBA : le sport favorise-t-il les inégalités ethniques ?

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LeBron James (c) des Los Angeles Lakers lors du match de NBA face aux Houston Rockets, à Los Angeles, le 20 octobre. (Photo Kevork Djansezian. AFP)
publié le 22 octobre 2018 à 9h57

Seghir Lazri travaille sur le thème de la vulnérabilité sociale des athlètes. Dans cette chronique, il passe quelques clichés du sport au crible des sciences sociales ou comment le social explique le sport et inversement.

La NBA vient de reprendre et au pays des statistiques ethniques, le constat semble toujours le même : les Afro-Américains sont surreprésentés parmi les joueurs alors que cette population ne l’est aucunement pour ce qui est des entraîneurs et des instances dirigeantes. Quelles peuvent être les raisons sociétales d’une telle disparité ?

Reconquête symbolique de l'identité

Avec environ 78% de joueurs professionnels afro-américains en NBA et 68 % en NFL (football américain), la population afro-américaine est bel et bien majoritaire dans les deux plus grandes ligues sportives américaines. Cette surreprésentation dans les sports les plus populaires, peut s’expliquer par la structure du système éducatif, mais aussi par un mode d’action politique, permettant par ailleurs de balayer tout un argumentaire essentialiste, visant à justifier les performances sportives par une spécificité génétique.

Pour rappel, aux Etats-Unis, ce sont les institutions scolaires et plus précisément les universités qui forment les sportifs professionnels (contrairement à la France, où ce sont le plus souvent les clubs), si bien que le coût élevé des grandes facultés ainsi que leur hypersélection incitent les populations vulnérables (notamment la population noire) à surinvestir les filières sportives plus accessibles (par le nombre conséquent de bourses par exemple) afin de s’élever socialement. Néanmoins, les recherches menées par l’historien français Nicolas Martin-Breteau sur les luttes politiques afro-américaines nous invitent à reconsidérer le rapport entre cette communauté et le sport. En effet, d’après le chercheur, les Afro-Américains ont investi le champ sportif pour parer une domination sociale. À travers le sport et les victoires sportives, les Afro-Américains ont trouvé un espace social permettant de promouvoir leurs identités et lutter pour une plus grande reconnaissance citoyenne.

En s’appuyant aussi sur la pensée du sociologue allemand Max Weber, on peut ajouter que la dimension ascétique de la pratique sportive offre aux populations vulnérables les moyens d’une reconquête symbolique de leur identité, un sens nouveau de leur dignité. Dès lors, l’engagement sportif est devenu plus spécifiquement un acte culturel d’émancipation et l’objet d’une forte transmission entre les générations.

L’impact du diplôme

Si les Afro-Américains sont supérieurs en nombre dans le domaine de la pratique, ils restent néanmoins minoritaires dans le domaine de l’institution sportive, malgré une politique de discrimination positive, menée sous la présidence Obama. Pour exemple cette saison, ils ne sont que 8 sur 30 à endosser le rôle d’entraîneur sur les parquets de NBA. Par ailleurs, lorsqu’ils entrent dans l’encadrement, la période d’attente afin d’accéder à un statut supérieur est deux fois plus élevée que pour des personnes blanches. Au regard des travaux de la chercheuse américaine Krystal Beamon de l’université du Texas, qui travaille sur les orientations universitaires des noirs américains, on constate justement que la population blanche représente environ 76% des effectifs liés aux parcours du management et de l’administration sportive, du fait notamment d’un nombre moins important de bourses proposées (environ 10% de boursiers contre 30% en moyenne pour les cursus santé). Ces cursus universitaires concentrant les populations les plus aisées sont plus significatifs pour accéder aux postes à haute responsabilité dans le monde de l’élite sportive. On peut alors comprendre que lorsque la population afro-américaine s’engage plus globalement dans la pratique universitaire du basket, la population blanche s’oriente davantage vers des postes de gouvernance, synonymes de pérennité. De plus, la spécialisation et la division très accrue du travail sportif aux Etats-Unis vont à rebours de cette perception plutôt européenne, qui voudrait qu’une brillante carrière de joueur soit un atout considérable pour une reconversion en tant que dirigeant. Le capital scolaire a un rôle plus déterminant que l’expérience sportive.

Bureaucratie

Ce fait social américain nous invite accessoirement à porter un regard sur l’état des lieux en France. Et bien qu’il soit impossible de se doter de statistiques ethniques sur ce sujet, c’est l’origine nationale des parents qui sert d’outil méthodologique et permet de révéler le peu de diversités dans les instances dirigeantes sportives françaises. Mais loin d’invoquer des processus discriminatoires comme une des raisons principales, le sociologue Stéphane Beaud, lors d’une conférence donnée pour Politeia à Paris en septembre dernier, explique que la faible présence de personnes issues de l’immigration dans l’administration sportive (notamment le football) relèverait aussi d’un choix très prononcé de ces dernières : la dimension très bureaucratique des instances ne suscite pas de véritable vocation chez elles. Au contraire, ayant embrassé une carrière d’athlète, un travail au plus près de la pratique reste, selon elles, le signe d’un meilleur épanouissement.

En résumé, l’exemple de la NBA nous montre que l’industrie sportive qui repose sur le système éducatif américain favorise la reproduction des inégalités entre les différents groupes ethniques. Pour autant si le sport est le reflet de la société dans laquelle il émerge, l’histoire des sportifs afro-américains illustre aussi sa capacité à bouleverser l’ordre politique.