C'est une avancée historique pour le Tour de France : l'épreuve, dont le parcours 2019 est dévoilé ce jeudi matin à Paris, propose un départ d'étape depuis un quartier populaire de banlieue l'été prochain pour sa 106e édition. L'opération mettra ainsi en lumière une de ces zones de vie, une de ces populations invisibilisées, le tracé préférant se concentrer sur les centres-villes historiques, les villages de montagne, voire des zones commerciales.
Selon nos informations, c'est le 18 juillet que la course cycliste réparera cet oubli social et géographique, lors de la 12e étape prévue entre Toulouse (Haute-Garonne) et Bagnères-de-Bigorre (Hautes-Pyrénées), en traversant le Mirail, dans le sud-ouest de la ville rose, et plus précisément le quartier prioritaire Bagatelle. Amaury Sport Organisation (ASO), l'entreprise propriétaire du Tour, a cependant été contrainte de tricher un peu avec son plan de départ, ce qui fait dire à certains que cette première est une «fausse première». Les responsables sportifs ont en effet estimé que Bagatelle ne permettait pas «une libre circulation» suffisante du public et n'offrait pas assez de places de stationnement pour les quelque 2 000 véhicules de la caravane. Le peloton s'élancera donc du Stadium, sur l'île du Ramier, un kilomètre avant d'emprunter l'avenue principale de Bagatelle. Mais la journée s'annonce dédiée au quartier, sous le nom de code «le Tour au pied des tours».
Arche
L'association Média Pitchounes, qui militait en faveur du projet, n'a pas souhaité s'exprimer avant l'annonce officielle. Son combat pour que le Tour de France rende visite au Mirail a débuté en 2010 avec Aurélie. Alors âgée de 15 ans, la jeune fille part en vacances pour la première fois de sa vie grâce à l'association. Depuis la montagne ariégeoise où elle séjourne, elle rêve d'apercevoir son appartement dans une tour de béton. Après tout, elle voit bien les Pyrénées depuis sa fenêtre. De là grimpe l'idée : que le Tour de France, coutumier de ces cols sauvages, daigne enfin marquer un arrêt dans son quartier super urbanisé. «Pour nous, ce serait une reconnaissance», expliquait Média Pitchounes à Libération l'an dernier.
Les jeunes lancent un journal, un site et des documentaires, alpaguent François Hollande sur le Tour, puis son successeur, de passage dans les Pyrénées le 26 juillet. Macron, qui fuit la presse en pleine affaire Benalla, leur accorde neuf minutes d'interview filmée : «Banco ! Je soutiens.» Mais ce n'est pas l'Elysée qui règle l'agencement des étapes : il faut que la mairie de Toulouse soit candidate. Jean-Luc Moudenc (LR) postule. ASO approuve le dossier mais, au dernier moment, Bagatelle est rejeté. D'après nos sources, la mairie souhaitait d'emblée un lieu de départ plus clinquant : la place du Capitole, la Cité de l'espace ? Mais ASO insiste pour installer son arche gonflable à Bagatelle. Jusqu'au rapport défavorable après une visite technique cet automne.
Evénement
Les jeunes sont avertis de ce refus et se réunissent le 10 octobre. «Déçus», ils écrivent à l'organisateur et aux pouvoirs publics. N'acceptent pas d'être «instrumentalisés» à travers un départ qui leur sera dédié mais qui leur échappe à un kilomètre près. Ils ont peu à peu changé d'avis : «Au début, on avait très peu de chances. A l'arrivée, ça a presque marché. Ce n'est pas une demi-victoire, c'est une vraie victoire.» ASO présentera les faits de la même manière : le Tour de France revient en «banlieue» pour la première fois depuis une incursion dans des quartiers sensibles de Marseille en 2003. Et il fait mieux encore, il colle le nom de Bagatelle sur la carte de l'événement.
Moudenc en fait son succès aussi : «Le Tour va permettre de donner une autre image. Une image positive, qui combat les préjugés et participe à la métamorphose que nous avons engagée pour ces quartiers.» Le conseil régional d'Occitanie (PS), par la voix de son vice-président, Kamel Chibli : «En partant d'un quartier populaire, le Tour de France va montrer un autre visage. C'est un événement national : nous aurons enfin un Tour de toute la France et de tous les Français.»
Une course d'attaquants
Le Tour 2019, qui sera dévoilé ce jeudi, réussira-t-il à créer du suspense ? Contrecarrer le Team Sky ? Après le départ de Bruxelles le 6 juillet, une étape de moyenne montagne devrait se tenir dès le 5e jour dans les Vosges. Puis une autre le lendemain vers la Planche-des-Belles-Filles, où la pente atteindra les 24 % (ce sera la fête du local, Thibaut Pinot). Crochet par le Massif central (la fête à Romain Bardet). Les Pyrénées : une arrivée au sommet du Tourmalet et des cols inédits. Les Alpes pour finir : des perchoirs à Tignes ou à Val Thorens, dernière bataille entre les favoris la veille des Champs-Elysées. Peu de contre-la-montre, des routes techniques, peut-être quelques kilomètres de chemins sans bitume… A priori, du tout bon pour les attaquants.