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Les acteurs X sont-ils des sportifs de haut niveau?

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Un court métrage X vu avec un casque de réalité virtuelle en 2015. (Photo Valery Hache. AFP)
publié le 29 octobre 2018 à 8h36

Seghir Lazri travaille sur le thème de la vulnérabilité sociale des athlètes. Dans cette chronique, il passe quelques clichés du sport au crible des sciences sociales ou comment le social explique le sport et inversement.

Le livre de Robin D'Angelo, Judy, Lola, Sofia et moi, paru récemment, propose une immersion passionnante au sein de l'industrie du «porno amateur». Dans un passage, l'auteur nous conte les souffrances physiques qu'une actrice subit lors d'une scène assez brutale. Face aux plaintes de l'actrice, le réalisateur lui rétorque : «Tu crois qu'une patineuse artistique n'a pas mal à la cheville ?» Cette allusion renvoyant à la sphère sportive nous invite à essayer de comprendre le travail et le vécu d'un acteur comme celui d'un sportif de haut niveau.

Acteur, un travail d’athlète

Si, dans le langage commun, le terme «sport de chambre» renvoie, d’une manière assez décalée, à la dimension sportive des pratiques sexuelles, on peut surtout saisir ici, l’importance du corps comme élément central de cet engagement. En effet, la sexualité au sens où elle concerne un certain nombre de pratiques peut s’appréhender comme chez l’athlète de haut niveau, à un capital corporel, c’est-à-dire un ensemble de ressources, de savoir-faire liés au corps dans un certain espace social.

Le sociologue Mathieu Trachman, dont les travaux portent sur le monde la pornographie, évoque cette idée de capital corporel, lorsqu’il rappelle les compétences (pratiques, mais aussi nature des attributs) des actrices et acteurs du X. Les acteurs comme les sportifs s’insèrent dans un marché du travail où les compétences physiques sont déterminantes quant à leur trajectoire professionnelle. Cela nous permet d’appréhender ce monde de la pornographie comme un univers social où la notion de carrière est très significative, balayant de ce fait, toute perception d’ordre moral sur le métier. Ainsi, à l’instar d’un footballeur qui se doit de changer de championnat voire de poste pour évoluer, mais aussi pour durer (par exemple aller dans un grand club ou finir en MLS, le championnat des Etats-Unis), les acteurs et surtout actrices n’hésitent pas à déployer leurs ressources corporelles et à se réinventer (nouvelles pratiques, changements esthétiques, etc.) pour perdurer dans le milieu. Il en est justement question dans le livre de Robin D’Angelo, où une jeune débutante relate ses futures interventions chirurgicales, afin de changer de catégories (types de rôles) et migrer vers les Etats-Unis où les revenus sont supérieurs et la reconnaissance plus importante.

Un univers du risque

Pour poursuivre cette analogie, si la notion de plaisir sportif pour un athlète est essentielle, les acteurs et actrices connaissent eux aussi une forme d’épanouissement, selon le sociologue Mathieu Trachman. D’après ce dernier, dans certains cas, l’acting constitue un autre rapport à la sexualité souvent plus satisfaisant. Enfin, l’émergence récente des porn studies, soit d’une branche des sciences sociales centrée autour de la pornographie, nous invite à délaisser les termes actrices/acteurs pour employer le terme de «performer».

Si le terme «performer» souligne une nouvelle fois la similitude avec le sport de haut niveau, il renvoie directement à la notion de performance. Or, si la performance sportive peut générer un ensemble de risques et produire une forme de vulnérabilité, il semble en être de même concernant la performance pornographique. Tout d’abord, le dopage très lié à la question de la performance dans le sport est extrêmement présent dans le milieu du X. Les témoignages d’acteur dans le livre, relatent justement la prise de produits par les acteurs, afin de pouvoir continuer à jouer. Ces produits font partie intégrante de la pratique, mais ne sont soumis à aucun contrôle ; ils sont même le résultat d’expérimentations personnelles (chacun effectue son propre mélange), entraînant de l’impossibilité de mesurer pleinement les risques.

La difficulté à faire durer d’une carrière est très présente, tant le monde du porno est comme le monde du sport : ultra-concurrentiel et soumis aux exigences du marché. En effet, comme dans le sport de haut niveau, les carrières sont assez courtes du fait de l’injonction perpétuelle du renouvellement ; il faut dénicher le nouveau joueur comme il faut trouver de nouvelles actrices, engendrant un accroissement plus que prononcé de la précarité salariale. Cette précarité pousse les performers à adopter des comportements à risques et à augmenter leur cadence de travail, avec pour conséquence une souffrance à la fois psychologique (absence de plaisir, perte de l’estime de soi) et physique (douleurs, violences), des faits très présents dans le monde de l’élite sportive. De plus, les travaux de la réalisatrice Ovidie montrent comment l’apparition de nouvelle plateforme de diffusion sur internet a considérablement fragilisé les acteurs et actrices, puisqu’il apparaît impossible de contrôler les contenus et donc l’image des acteurs, renforçant dans une certaine mesure leur stigmatisation sociale (impossibilité d’effacer les traces).

En tant qu’elles correspondent à un engagement dans un univers professionnel et donc social, les carrières de performers, comme celles des athlètes, s’inscrivent dans une lutte pour la reconnaissance et la protection. Et si le sport et la pornographie partagent quelque chose d’essentiel, c’est leur capacité à mettre en lumière les problématiques sociétales.