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14-18 : le sport sort des tranchées

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Dès 1914, les «poilus» réclament des activités sportives pour se divertir au front. Cent ans plus tard, la culture du sport en France doit beaucoup à la Grande Guerre.
Le Racing Club de France, vainqueur de la coupe de l'Espérance en 1917, dans le journal «la Vie au grand air». (DR)
par Emma Cante
publié le 10 novembre 2018 à 17h43

Chaque samedi avec RétroNews, le site de presse de la BNF, retour sur un épisode de l’histoire du sport tel que l’a raconté la presse française. Aujourd’hui, le sport dans les tranchées à l’occasion du centenaire de l’armistice de la Grande Guerre.

La mobilisation des journaux

Dès le début de la guerre, le journal Dernière heure, dans son numéro du 27 novembre 1914, alerte sur un besoin, non pas primaire mais bien essentiel pour les «poilus» : l'exercice physique et plus encore, le divertissement à travers l'activité sportive. «Les joueurs au front demandent des ballons», titre-t-il alors dans sa rubrique football. On pourrait croire à une mauvaise blague, si le 16 octobre 1915, l'Auto ne réitérait pas la même demande, implorant : «Des ballons, S.V.P. pour les soldats !». Il fait ainsi l'éloge de M. Taisant, louable patriote qui ne manqua pas d'apporter un ballon à la rédaction, ballon de football immédiatement expédié aux combattants au front. Les médias se font les relais d'un besoin sous-estimé, et incitent clubs et citoyens à fournir matériels sportifs en tout genre. Enfin le journal l'Œuvre enfonce le clou, le 21 avril 1916 : «Parmi tous les objets que réclament nos poilus figurent plus particulièrement des ballons et gants de boxe.» Le sport, qui semblait endormi entre 14-18, se réveille tout doucement.

La formation d’équipes militaires

La suite logique, une fois les équipements nécessaires réunis, c'est la compétition. L'Auto en 1915 détonne de nouveau, cette fois-ci grâce à une photographie. «Une grande équipe militaire», enfin ! L'équipe des 11 mitrailleurs du 4e régiment de zouaves pavane en une, et l'on distingue au deuxième plan Léon Constantin, champion professionnel de 400 mètres. Le phénomène n'est cependant pas (encore) totalement démocratisé. Les Idées noires, journal de tranchée, s'étonne en dernière page du numéro de novembre 1916 que ne se soit pas encore formée une équipe de football au sein du 44e bataillon de soldats, «qui possède deux ballons de football (rond et ovale)». Le régiment est à la traîne, et le journal exhorte le groupe de soldats à imiter ses confrères du 32e bataillon. Parce que leur docteur à eux, le docteur G, «sait que les sports donnent la santé». Dans le même registre, le quotidien le Cafard muselé poursuit en 1917 sur la nécessité du sport, entre autres hobbys, pour chasser le cafard au front. Les soldats prennent conscience du rôle du sport comme exutoire, et il s'affirme comme un acquis que la majorité d'entre eux reconnaîtront bénéfique.

Le rugby sort des tranchées

Quelques mois avant le dénouement du conflit, la Vie au grand air s'enthousiasme dans son premier numéro trimestriel de juin 1918 : «Le rugby est ressuscité !» Avant d'ajouter que «l'idée de reprendre ce jeu a germé le lendemain même du premier match Nouvelle-Zélande contre Poilus français, joué à Vincennes au début de 1917», alors qu'on pensait les ballons ovales crevés et détruits par les «Boches». Sans ce fameux match, le rugby aurait-il pu renaître de ses cendres ? Pendant deux ans, la pratique de ce sport fut laissée en stand-by, or son système ne s'est jamais révélé obsolète, et les spectateurs présents en nombre dans le Val-de-Marne en 1917 l'ont confirmé. L'ancien athlète Géo André signe cette tribune de la résurrection du rugby tombé dans l'oubli, dont les rouages apparaissaient usés. Il rappelle les valeurs de ce sport, qui a su réveiller «l'esprit de lutte», notamment chez les plus jeunes. L'esprit de lutte au front, qui rend possible celui sur un terrain.

Suite et fin de l'histoire : au sein de l'hécatombe nationale, la Grande Guerre fut aussi une hécatombe pour le sport français. Ils sont 424, équivalents de nos sportifs de haut niveau aujourd'hui, à avoir payé de leur vie ce conflit ; c'est plus que l'ensemble de la délégation française des Jeux olympiques de Londres en 2012. Si l'activité sportive a été un moyen pour bon nombre de combattants d'échapper aux horreurs quotidiennes, les catégories sociales les plus modestes ont pu à cette occasion découvrir la pratique du sport.

Les médias de l’époque insistent sur deux disciplines : le football et le rugby. La première comptait en 2016 2,2 millions de licenciés, rien que sur le sol français. Pour le centième anniversaire de l’armistice, les joueurs de Ligue 1 et de Ligue 2 porteront le Bleuet de France ce week-end, en hommage aux victimes de la Grande Guerre. Comparativement, la seconde est sur le déclin ces dernières années.

Néanmoins, ces pratiques ont pu être diffusées plus largement et elles ont participé à la démocratisation du sport dans sa globalité, toutes catégories socio professionnelles confondues. Peu importe la discipline aujourd’hui, l’on peut affirmer qu’une culture du sport est née lors de la période 14-18.