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Comment l'Argentine s'est imposée dans le rugby mondial

Le fait que les internationaux argentins évoluent ensemble tout au long de l’année, loin des clubs européens, a renforcé la cohésion des Pumas et renforcé leur identité.
Lors de la rencontre entre l'Argentine et l'Irlande à Dublin, le 10 novembre. (Photo Paul Faith. AFP)
publié le 17 novembre 2018 à 14h12

Nicolas Sanchez sait orienter le jeu des Pumas sur le terrain et les débats en dehors. A l'approche du match contre les Bleus organisé ce samedi soir à Lille, l'ouvreur argentin s'est projeté sur la prochaine Coupe du monde au Japon qui verra les Pumas affronter les Bleus en phase de qualification. Et pour lui, pas de doute : «L'équipe qui gagnera samedi gagnera au Japon.» Sanchez saura le 21 septembre 2019 s'il a visé aussi juste qu'il le fait habituellement face aux poteaux. Le meilleur réalisateur de l'histoire des Pumas (692 points en 72 sélections) va également devoir patienter pour savoir s'il défendra le maillot de l'Argentine au pays du Soleil-Levant. Car ce joueur exceptionnel a choisi de signer au Stade français Paris où il est attendu au début de l'année prochaine. Or, une règle s'applique chez les Pumas : les joueurs qui évoluent à l'étranger ne peuvent pas être sélectionnés. Elle est strictement respectée depuis trois ans, l'encadrement des Pumas n'y dérogeant que lorsqu'il a dû faire face à une pénurie de joueurs à certains postes. Et elle pourrait donc priver l'équipe argentine de son maître à jouer lors de la prochaine Coupe du monde si les dirigeants de la fédération argentine (UAR) ne la modifient pas.

Rapatrier les internationaux

Le débat est intense depuis déjà plusieurs mois de l’autre côté de l’Atlantique. L’absence dans la sélection argentine de joueurs précieux, comme le pilier Juan Figallo (Saracens) ou l’ailier Juan Imhoff (Racing 92), suscite logiquement des regrets. En arrivant à la tête de la Fédération au mois de mars, Marcelo Rodríguez a annoncé que la règle allait changer pour permettre aux Pumas de compter sur ses meilleurs joueurs. Mais le nouveau président sait bien que cette décision risque de fragiliser cette même équipe et de nuire au travail entrepris depuis plusieurs années. Après la Coupe du monde 2015 qu’elle a terminé à la quatrième position, l’Argentine a réussi à rapatrier la plupart de ses internationaux. Ils sont désormais sous contrat avec la fédération pour jouer avec les Pumas ainsi qu’avec les Jaguares, une franchise engagée dans le championnat de Super Rugby qui réunit les meilleures équipes de l’hémisphère sud (avec des équipes australiennes, néozélandaises, sud-africaines et japonaises).

Une quarantaine de joueurs ont alimenté cette année ces deux formations dont les calendriers s'enchaînent. Un mois après leur élimination en quarts de finale du Super Rugby face à la franchise sud-africaine des Lions, les joueurs des Jaguares ont changé de maillot et enfilé celui des Pumas pour jouer The Rugby Championship. Ce tournoi disputé par l'Afrique du Sud, l'Australie et la Nouvelle-Zélande a accueilli l'Argentine en 2012. La dernière édition a été un très bon cru pour l'Argentine qui a décroché 2 victoires en 6 matchs : elle a battu à Mendoza l'Afrique du Sud (32-19) et a réussi l'exploit de s'imposer chez les Australiens (23-19). «Les joueurs argentins ont vraiment été bons. J'ai l'impression que les pays du Nord ne réalisent pas bien ce qu'ont fait les Jaguares dans le Super Rugby. On sent que l'équipe d'Argentine a changé et qu'elle s'améliore», estime l'Australien Matt Williams, qui a notamment entraîné la province du Leinster et l'Ecosse. Désormais consultant pour différents médias irlandais, il suit de près l'évolution des Sud-Américains et pense que leur style de jeu séduisant et efficace peut leur permettre de battre n'importe quel adversaire.

«Une identité spéciale»

Le renouveau des Pumas intervient après une redoutable série de défaites (21 en 24 matchs) qui a provoqué, en juin, le départ de l'entraîneur Daniel Hourcade. Son successeur est Mario Ledesma, un ancien Puma bien connu dans l'Hexagone puisqu'il a joué et entraîné dans cinq clubs français. Cet ancien talonneur était déjà dans le giron de la fédération et avait la responsabilité de la franchise des Jaguares. Il a été remplacé à ce poste par Gonzalo Quesada, qui est, lui, passé par sept clubs français en tant que joueur et entraîneur. «L'équipe argentine a une identité spéciale car c'est la seule équipe parmi les douze premières du classement mondial dont tous les joueurs et techniciens sont nés dans le même pays. Tous les entraîneurs ont eux-même été des Pumas. Il existe un sentiment très fort envers le maillot national», estime le journaliste Jorge Búsico, qui suit le rugby depuis plusieurs décennies pour le quotidien argentin la Nación. Une cohésion renforcée par le fait que les internationaux argentins évoluent désormais ensemble tout au long de l'année, loin des clubs européens.

Ledesma et Quesada, tout comme leurs adjoints, ont bien connu les années pendant lesquelles l’Argentine peinait à réunir ses meilleurs représentants lors des matchs internationaux. Sous la férule de leur demi de mêlée iconique Agustín Pichot, les Pumas ont réalisé leur plus belle Coupe du monde en 2007, battant deux fois la France et terminant à la troisième place. Pour continuer leur progression, ils avaient besoin d’intégrer une compétition internationale relevée et ils ont notamment frappé à la porte du Tournoi des six nations. En vain.

«Agustín Pichot a joué un rôle déterminant», estime Jorge Búsico. Celui que l'on surnommait «le petit Napoléon» s'est chargé de plaider la cause des Pumas auprès des différentes instances. Et il continue à le faire dans le cadre de ses fonctions au sein de la Fédération internationale (World Rugby) dont il est devenu vice-président en 2016. Les efforts consentis sur le terrain et en coulisses ont payé et c'est dans leur hémisphère que les Argentins ont finalement réussi à mettre sur pied un modèle sur mesure, alimenté par un rugby local toujours amateur. Un système dont la viabilité dépendra des ressources financières de l'UAR et de sa capacité à fournir suffisamment de joueurs de haut niveau. Pour élargir le vivier actuel, une équipe argentine devrait d'ailleurs disputer l'an prochain le championnat sud-africain de la Currie Cup.