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Libération
Décryptage

Le rugby français dans le dur

Au-delà des décevants résultats des Bleus cette année, la Fédération doit faire face à des difficultés financières et une préoccupante baisse de licenciés.
Le centre français Geoffrey Doumayrou, samedi au Stade de France, à Saint-Denis. (Photo Franck Fife. AFP)
publié le 25 novembre 2018 à 11h13

Ci-(Fid)gît le XV de France, dans un stade à moitié plein où il vient de s'incliner face aux Fidji (14-21), une équipe contre laquelle il n'avait encore jamais perdu. Au coup de sifflet final, alors que les Fidjiens priaient un genou à terre sur la pelouse du Stade de France après cette victoire historique, les Bleus se réunissaient sous les poteaux pour écouter Mathieu Bastareaud, capitaine en fin de match. «Maintenant on va redescendre sur terre et on va manger de la merde. Parce que là on fait pitié, honte, faut qu'on ait conscience de ça…» lâchait le trois-quart centre. Des propos très durs, diffusés en direct, qui traduisent bien le sentiment d'humiliation ressenti après ce résultat qui vient conclure une année très difficile pour les Bleus et le rugby français de manière plus générale.

3 victoires et 8 défaites en 2018

Depuis la dernière Coupe du monde, les années se ressemblent tristement pour le XV de France. En 2016, les Bleus avaient disputé 10 matchs internationaux et n’en avaient gagné que 4. L’année 2017 s’était terminée sur un bilan encore plus décevant avec 3 victoires pour 7 défaites et un décevant match nul face au Japon. En 2018, les Bleus de Jacques Brunel ont fait encore pire : ils n’ont battu que trois équipes (Angleterre, Italie, Argentine) et se sont inclinés 8 fois.

Après une défaite contre les Springboks (26-29) et une victoire sur les Pumas (28-13) dans cette série de matchs d’automne, il était essentiel de finir l’année sur une bonne note contre les Fidjiens, qui s’étaient très lourdement inclinés en Ecosse (54-17) voilà deux semaines. Mais les Bleus n’ont pas été capables de rivaliser sur leur pelouse avec ces joueurs îliens qui jouent, pour la plupart, dans des championnats européens. Pratiquement menés de bout en bout, les Français n’ont jamais su relever la tête, en n’inscrivant pas le moindre point en deuxième mi-temps. A l’issue d’une prestation aussi décevante, difficile d’imaginer qu’ils seront capables de briller d’ici quelques semaines dans un Tournoi des six nations qui s’annonce très relevé, les Français se déplaçant notamment en Angleterre et en Irlande.

Les mauvais comptes de la Fédération

Des voyants rouges ne cessent de s'allumer sur le tableau de bord de la FFR. Les Bleus font moins recette dans les stades, ne réunissant que 50 000 spectateurs lors du test face à l'Afrique du Sud le 10 novembre au Stade de France, et ils ne réalisent plus les mêmes audiences télé. La vitrine du rugby français va donc moins rapporter à la FFR qui se débat déjà dans une délicate situation financière. Elle a annoncé, début novembre, un déficit de 7,35 millions d'euros pour l'exercice 2017-2018, en justifiant ces chiffres par différents événements qualifiés «d'exceptionnels» : le coût de l'arrêt du projet de construction d'un grand stade dans l'Essonne pour lequel 2,5 millions d'euros ont été provisionnés, le versement de garanties financières pour obtenir l'organisation de la Coupe du monde 2023, l'indemnisation du staff technique dirigé par Guy Novès, limogé fin 2017 et, enfin, l'organisation en juin de la Coupe du monde des moins de 20 ans, gagnée par les Bleuets.

Ce trou ne semble pas préoccuper la FFR. Elle a en point de mire une providentielle Coupe du monde 2023 qui devrait, selon elle, lui rapporter beaucoup. Un optimisme budgétaire que ne partage pas le président de la Ligue Ile-de-France, Florian Grill, un des rares opposants au président Bernard Laporte au sein du comité directeur de la FFR. Il dénonce des «fautes de gestion» qui coûtent cher au rugby français et pointe le manque de professionnalisme sur certains dossiers. «Le mode de fonctionnement de l'équipe dirigeante actuelle est clanique. Pour moi, cela ne respecte pas les principes de base de la gouvernance et il y a un manque terrible de transparence», assène Florian Grill, en regrettant que les décisions importantes ne soient pas systématiquement présentées au comité directeur.

L’éclaircie féminine

A la tête de la FFR depuis deux ans, Bernard Laporte doit également faire face à une préoccupante baisse du nombre de licenciés. A peine élu, il a lui même tiré la sonnette d'alarme en expliquant que les chiffres donnés par la dirigeance précédente avaient été gonflés. Un comptage a été lancé pour établir cette saison un état des lieux précis. Selon les premiers éléments diffusés, le chiffre serait de 281 000 licenciés, contre environ 320 000 la saison précédente. Sur RMC Sport, Bernard Laporte a annoncé qu'il donnerait les chiffres réels d'ici quelques semaines. Il réalise d'ailleurs sa propre estimation au fil de ses déplacements dans les clubs et se réjouit d'entendre qu'il y a plus de licenciés un peu partout. Une méthode assez empirique qui lui permet cependant d'écarter le mot «crise».

La baisse d'attractivité du rugby, Pierre Chaix, spécialiste en économie du sport, la constate depuis plusieurs années. Il donne une série de facteurs explicatifs comme les mauvais résultats des Bleus, la peur que suscitent les commotions cérébrales chez de nombreux parents de jeunes adeptes du ballon ovale ou bien les démêlés judiciaires de Bernard Laporte, visé par une enquête sur des pressions qu'il aurait exercées en faveur du club de Montpellier. «Tout cela contribue à nuire à l'image de marque du rugby et dans le même temps, d'autres sports comme le handball ou le basket sont devenus beaucoup plus concurrentiels», explique Pierre Chaix.

Bernard Laporte le sait bien et il s'est d'ailleurs fixé comme objectif de redonner sa notoriété au rugby d'ici cinq ans. Il peut déjà s'appuyer dans cette quête sur les féminines qui apportent une précieuse bouffée d'air frais au rugby en cette fin d'année. Le chiffre de licenciées a plus que doublé depuis 2010 et approche désormais des 22 000. Et sur le terrain, les Bleues brillent comme jamais : samedi dernier, elles ont battu les Néo-Zélandaises, championnes du monde en titre, devant 17 102 spectateurs au stade des Alpes à Grenoble et plus de 1,3 million de téléspectateurs.