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2018: qu’est-ce que le sport nous a socialement enseigné?

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Antoine Griezmann sacré champion du monde avec la France devant la Croatie, le 15 juillet 2018 à Moscou (Photo Odd ANDERSEN. AFP)
publié le 31 décembre 2018 à 10h17
Seghir Lazri travaille sur le thème de la vulnérabilité sociale des athlètes. Dans cette chronique, il passe quelques clichés du sport au crible des sciences sociales. Ou comment le social explique le sport, et inversement.

Sur le plan sportif, cette année 2018 fut très riche. Mais au-delà des victoires et des échecs, des bilans comptables, ou encore du sacre des héros, qu’est-ce que le sport nous a dit sur nous-mêmes et sur notre société ?

Opium. De manière assez évidente, le fait sportif – et donc social – le plus marquant de 2018 restera la victoire de l'équipe de France de football à la Coupe du monde en Russie. Après cinq années éprouvantes, entre montée de l'extrême droite et attentats terroristes, la cohésion nationale s'était fragilisée. Dès lors, le football, premier sport national, concentrait toutes les attentes notamment à travers sa sélection, représentative de la diversité française. En s'appuyant sur la réussite de France 98, les autorités gouvernementales avaient surinvesti le champ des Bleus au point de priver la population de leurs héros – l'épisode du bus qui sécha le bain de foule à Paris.

Ce raté, comme l’a souligné le chercheur en communication Arnaud Benedetti, montre les limites d’une utilisation de la victoire sportive à des fins politiques. Ainsi, le football ne peut être conçu comme «l’opium du peuple» ou comme une chose dont l’effervescence émotionnelle éloignerait le citoyen des réalités sociales, mais avant tout comme un jeu et un plaisir, qui ne sauraient absolument pas répondre aux maux de la société. Dit autrement : le football peut contribuer au bonheur et à la cohésion de la nation. Mais il doit être appuyé par des «forces sociales» – à ce titre, la suppression des emplois aidés, dont bénéficie énormément le sport amateur, envoie le signal inverse.

Sexisme. L'autre fait marquant de cette année 2018 renvoie au traitement des sportives, à la fois par certaines instances que certains médias. Des critiques ont plu concernant la tenue de Serena Williams, jugée pas assez féminine, ou encore la place réduite réservée aux rugbywomen françaises à la une du journal l'Équipe suite à leur victoire historique contre la Nouvelle-Zélande. Ainsi, l'espace réservé au XV de France hommes sur cette même une était trois fois plus important, alors qu'il s'agissait d'un match moins prestigieux. Ceci souligne à la fois un sexisme toujours présent dans les instances dirigeantes et une inégalité de traitement qui perdure. Les athlètes féminines restent toujours sous-représentées dans les institutions sportives et leur médiatisation reste bien moins importante que celles de leurs homologues masculins, qui sont dans les discours, moins renvoyés à leur corps – n'a-t-on pas demandé au premier ballon d'or féminin de l'histoire, Ada Hegerberg, si elle savait twerker, tout juste deux minutes après son sacre le 3 décembre dernier ?

Racisme. Les cas du footballeur Jimmy Durmaz en sélection suédoise (insultes racistes sur les réseaux sociaux en juillet) ou encore celui de Kalidou Koulibaly dans le championnat italien (cris de singe il y a quelques jours), montrent qu'une fois encore, les actes à caractères racistes restent toujours présents dans le monde du supportérisme, et cela bien en dehors des stades, notamment sur les réseaux sociaux comme cela a été le cas pour le joueur scandinave d'origines turque et syrienne. Si le monde du sport se présente comme le lieu d'excellence et de fraternité entre les individus, il n'en demeure pas moins la cible de la fachosphère, comme tant d'autres domaines sociaux.

Limites. Il ne faut pas non plus oublier que le sport reste une pratique où le corps est central. Et quelques événements sportifs nous ont peut-être permis de mieux comprendre notre rapport avec ce dernier, particulièrement dans son usage. Tout d'abord, la disparition en France de deux rugbymen suite à des plaquages. Ceci appelle à une plus grande vigilance dans l'apprentissage de l'exercice, mais questionne aussi l'évolution d'un sport qui, se professionnalisant depuis plus de vingt ans, accroît plus rapidement le niveau de performance et de spectacle de son championnat que le degré de protection de ses athlètes. Dans un registre moins dramatique, la reconquête de la place de numéro un mondial de Roger Federer ou encore le record établi par Francis Joyon sur la Route du Rhum, nous invitent à reconsidérer les limites du corps et la longévité de la performance sportive. Et pour cause, ces exemples illustrent en partie les écrits du philosophe français Bernard Andrieu, qui voit dans la performance non pas la simple réalisation de capacités physiologiques, mais avant tout, l'acquisition et l'amélioration d'une technique, fruit d'une plus grande inventivité de l'esprit.

Yoga. Des multiples championnats du monde (natation, athlétisme, basket masculin, etc.) à la coupe du monde de rugby, en passant par le Mondial de football féminin – qui a lieu en France – le programme de 2019 sera bien entendu chargé. Dès lors les questions liées à la représentation des femmes et à la diffusion de leurs exploits seront une question majeure.

Aussi, avec une Coupe d’Asie des Nations élargie et l’organisation de la Coupe du monde de rugby au Japon, le continent asiatique fera l’objet d’un grand intérêt. En effet, ce territoire aux populations diverses, en pleine mutation sociologique et économique, offrira-t-il de nouvelles façons de penser le sport ? Enfin, les enjeux climatiques beaucoup plus marquants dans nos vies quotidiennes nous invitent à nous pencher sur le renouveau de pratiques sportives se voulant plus écologiques et spirituelles. Comme le boom du yoga.