«Je suis très heureux.» Ses premiers mots sur le court au micro de John McEnroe peuvent sembler banals. Mais ils disent simplement l'évidence. Celle d'un joueur qui a repris goût au tennis. Qui s'est retrouvé tout simplement. «C'est le Lucas d'avant», souffle Léna, la maman, émue. Dans les couloirs souterrains de la Rod Laver Arena, entre les vestiaires et le salon des joueurs, le clan Pouille est euphorique. Le Nordiste vient de s'offrir un ticket pour le dernier carré de l'Open d'Australie. La performance est d'autant plus notable qu'il n'avait jusque-là jamais réussi à passer un tour à Melbourne. Et cette qualification pour la demi-finale, Lucas Pouille l'obtient au terme d'un match extrêmement solide face à Milos Raonic, 17e joueur mondial, remporté en quatre manches (7-6 6-3 6-7 6-4). Cette victoire, tout comme celle contre Borna Coric au tour précédent sont les signes d'une renaissance pour Lucas Pouille après une année 2018 désastreuse où il a sombré au classement et moralement.
«Burn-out»
«C'était très dur, dit Clémence, sa petite amie, qui peine à sécher ses larmes. On se demandait quand ça allait revenir. On savait qu'il est capable de plein de belles choses mais nous, on ne pouvait rien faire. On avait beau lui dire "t'es fort, ça va aller", tant qu'il n'avait pas le déclic.» Le déclic est venu quand il a pris la décision de se séparer d'Emmanuel Planque, son entraîneur de longue date. «La décision la plus difficile à prendre de toute sa vie, poursuit son amie. Ensemble, ils ont vécu quelque chose d'incroyable qui durera toujours, mais c'était le moment d'en finir. On retrouve enfin le Lucas d'avant, cette combativité, ce mental, qui font sa force. Et ça fait du bien.»
Pour évoquer, la traversée du désert par lequel il est passé l'an dernier, Clémence n'hésite pas à parler de «burn-out» : «Les joueurs ne sont pas machines, ce ne sont pas des robots. Le circuit est très dur. Ce sont énormément de sacrifices et de fatigue.» L'intéressé ne révoque pas le mot. Bien au contraire. «Burn-out, oui, c'est le terme. Je n'avais plus envie. J'avais perdu la joie d'être sur un court, de m'entraîner dur. Et après, c'est l'engrenage. Tu perds un match, puis deux, puis trois, et tu perds la confiance. C'est dur de revenir quand tu n'as plus de plaisir. J'ai pris le temps de me regarder dans le miroir, de me dire les 4 vérités et me demander ce que je voulais vraiment pour les dix prochaines années. Et quand, j'ai compris que ce que je voulais c'était retrouver le plaisir de jouer sur les plus grands courts du monde, devant des foules incroyables et réaliser de belles choses, décrocher des titres, je me suis dit qu'il fallait que je me bouge. Et ça passait par la prise de certaines décisions.» Comme celle de couper le cordon avec un entraîneur avec lequel la relation, longtemps constructive, devenait incompatible avec son besoin de se construire en tant qu'adulte.
«Froce mentale»
Lucas Pouille s'est pris en main pour mettre en place une nouvelle structure qui semble plutôt bien lui convenir. Il y a Amélie Mauresmo, bien sûr, mais aussi Loïc Courteau. Et une préparatrice mentale. Une équipe complète qui œuvre dans le même but. «Tout le monde communique avec tout le monde, insiste Amélie Mauresmo. Il n'y a pas une personne qui fait son truc d'un côté. Ce n'est pas cloisonné. Pour moi, c'est important de savoir ce qui se fait dans tous les domaines.» De toute évidence, l'ancienne numéro 1 mondiale a su trouver les mots pour panser les maux. «Elle m'apporte énormément de confiance. Au niveau de mon jeu, de ma personnalité et de mon état d'esprit, admet Pouille. C'est une grande championne. Elle sait ce que je peux ressentir.» Le Français apprécie ce regard nouveau porté sur lui et sur son jeu. C'est pour ça qu'il récolte déjà les fruits de cette toute récente collaboration. «Il me surprend dans sa capacité à intégrer les choses aussi rapidement, précise encore Mauresmo. Chaque jour, il ajoute des choses dans plein de domaines. C'est assez bluffant. Et, puis, on voit qu'il s'éclate, il est hyperconcentré. C'est très construit et posé.»
Au cours de son match contre Raonic, Pouille a notamment impressionné en retour de service. Un aspect de son jeu qu'ils ont pas mal travaillé pendant l'entre-saison à Dubaï. Et ça paie. «Au-delà de son jeu qui se met en place, on sent une force mentale qui le rend imperturbable, souligne Thierry Champion, directeur du haut niveau à la FFT. Contre Raonic, il fait un mauvais début de match [il a été mené 3-0 puis 5-2, ndlr] mais ne s'affole pas. Il prend son temps. Dans les moments importants, il sait retrouver sa respiration, son calme, sa frappe. Et son envie retrouvée, il la met dans les matches, mais aussi à l'entraînement. C'est un très bon joueur. Il fallait juste qu'il recolle les morceaux.» Et retrouve le goût du jeu et de la victoire. Comme mercredi soir à Melbourne. Dans une Rod Laver Arena, séduite par ce jeune homme, à la fois timide et sûr de lui. Le cocktail parfait du champion charismatique.