Parmi la somme de témoignages recueillis dans le documentaire Nasri, la mauvaise réputation, diffusé ce lundi soir (20h50) sur la chaîne l'Equipe, il en est un qui semble venir du fond des âges : celui de l'ex-sélectionneur des Bleus (2010-2012) Laurent Blanc, l'homme qui a écopé le bateau après la grève du bus de Knysna, celui aussi que le milieu de terrain international Samir Nasri aura torpillé en qualifiant un journaliste de «fils de pute» à l'issue d'un championnat d'Europe après lequel Blanc, jugé par la Fédération incapable de tenir ses hommes, fut remplacé par Didier Deschamps. En toute rigueur, l'entraîneur, champion du monde 98 du temps de sa vie de joueur, aurait dû découper Nasri, brocarder son indiscipline puis son ingratitude (Blanc ayant préféré Nasri à Mathieu Valbuena pendant l'Euro ukrainien) ou à tout le moins laissé planer une sorte d'amertume rétrospective.
Mais Blanc ne touche même pas un cheveu de sa tête. De la compréhension, de l'empathie même, une absence totale de sous-entendu («on s'est expliqué entre quatre yeux avec Samir») et une sorte de plaidoyer qui, à bien y regarder, n'est pas tant à l'intention du joueur qu'à celle de tous les joueurs du monde. Quand il est mis sur le banc, Nasri est toxique comme tout le monde. En revanche, il est plus franc que la moyenne. Le reste, ce sont les fils invisibles (la gloire précoce, l'argent qui coule à flots et qui rend dingue l'environnement des joueurs, la prédation médiatique et la capacité à en jouer) qui tiennent les footballeurs entre eux et que le commun des mortels n'a aucune chance de comprendre.
Avec la grève du bus de Knysna, le cas Nasri est l'une des taches les plus sombres de l'histoire récente des Bleus : embuscade présumée à la sortie d'un hôtel pour intimider un coéquipier (William Gallas), accusation de racisme en 2014 envers un Deschamps qui portera plainte, proposition du même Nasri selon le Monde pour jouer les bons offices dans l'affaire du chantage à la sextape visant Valbuena, suspension pour dopage… Nasri, c'est un peu la face sombre du grand récit tricolore, ce qui fut du reste diagnostiqué comme tel par l'actuel sélectionneur quand il fit rouler sa tête dans le fossé en 2014.
Conclusions
Pour autant, dans ce documentaire particulièrement riche où Nasri n'a pas toujours la part belle, Blanc serre les rangs. Les joueurs sont seuls, quoi qu'ils fassent. Et Nasri a toujours détruit les rares points de contact avec ses contemporains (il avait par exemple jugé incompréhensible que les Tricolores ne chantent pas la Marseillaise avant les matchs, une posture jugée démagogique par ses pairs) avec un acharnement somme toute mystérieux, ce qui ne doit pas, selon Blanc, permettre de tirer des conclusions sur sa véritable personnalité et (encore moins) sur le joueur qu'il fut.
Au fil des témoignages qui s'accumulent (ses anciens coéquipiers Jean-Alain Boumsong et Alou Diarra, le président de la Fédération, Noël Le Graët, le père et les frères du joueur, ses anciens éducateurs, Raymond Domenech, le journaliste du Monde Gérard Davet…) se dessine un portrait cubique : impossible de recoller les morceaux ou d'additionner un plus un, le summum du trouble étant atteint lors d'une ancienne interview du joueur lui-même, charmeur et subtil au possible. Blanc a choisi son propre Nasri. D'autres aussi, qui voient qui un manipulateur, qui un bon fils. Aucun ne nuance sa propre position. Albert Camus a écrit un joueur que le football révélait les hommes. On n'en est plus là.