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Billet

Sanctions contre l’OM : les fans de foot sont-ils des citoyens comme les autres ?

Après le pétard lancé sur la pelouse du Vélodrome vendredi lors de la réception de Lille, la LFP a sanctionné le club d'un huis clos à titre conservatoire. L'acte d'un seul en punit donc 60 000 autres.
Les Marseillais Jordan Amavi (à gauche) et Kevin Strootman (sonné, au centre), après que le pétard a explosé à leurs pieds, vendredi au Stade-Vélodrome contre Lille. (Photo Boris Horvat. AFP)
publié le 28 janvier 2019 à 19h56

Imaginons un instant une manifestation sociale. Un militant syndical dégoupille, brise une vitrine. Il est arrêté, placé en garde à vue. En attente de son jugement, la police décide d’interdire purement et simplement toute manifestation avant même d’avoir jugé le fautif. L’affaire paraît surréaliste : la France est un Etat de droit, et le droit d’aller et venir, qui engendre un «droit de manifester» est, juridiquement, une liberté fondamentale. Surtout, sanctionner des dizaines de milliers de femmes et d’hommes pour le méfait d’un seul, est-ce moral ?

C'est pourtant cette même logique qui vient de frapper l'Olympique de Marseille et ses supporteurs, ultras ou non, fans agités ou enfants heureux de voir leurs idoles s'ébrouer devant eux. Vendredi soir, lors du match OM-Lille, au Stade-Vélodrome, un pétard explose aux pieds de l'arbitre de touche et de deux joueurs de l'OM, Jordan Amavi et Kevin Strootman. Grand bruit mais aucun blessé. Sauf que, si un joueur avait ramassé l'objet, sa main partait en lambeaux. Le geste est donc grave. Qui l'a lancé ? On ne sait toujours pas. Ce qui est sûr, c'est que le pétard venait d'une tribune latérale, loin des espaces dévolus aux ultras brocardés, souvent à tort, parfois à raison. Le match est arrêté une quarantaine de minutes, les joueurs sont entre-temps rentrés dans les vestiaires, l'agitation a régné dans le local des arbitres. Le match reprend, Marseille perd 2-1, chacun rentre chez soi. Lundi, la première sanction est tombée : «En raison de la nature et de la gravité des faits, la commission [de discipline] décide de mettre le dossier en instruction et pendant la durée de celle-ci, à titre conservatoire, de prononcer un huis-clos total du Vélodrome», a déclaré la Ligue de foot professionnelle. On est interloqué. Non seulement l'œuvre d'une personne sanctionne le club et par ricochet l'ensemble des fans de l'OM qui sont abonnés ou qui voulaient se rendre au Stade-Vélodrome, mais en plus, avant même de connaître le fautif, on juge a priori et décide de la culpabilité collective de personnes qui, pour beaucoup, n'étaient pas au stade, ou assises à 100 mètres du pétard incriminé. Si un fan du PSG passe dans les Bouches-du-Rhône ces prochains mois et qu'il veut nuire à son club rival, il sait ce qui lui reste à faire : acheter une place, balancer un pétard, et la Ligue s'empressera de châtier l'OM.

Entendons-nous bien : ce pétard n’a rien à faire sur une pelouse, cela aurait pu blesser gravement joueurs ou stadiers, et on est loin des revendications et actions légitimes des groupes de supporteurs voulant faire passer leurs desiderata (banderoles, chants, grèves…) à la direction pour les mauvais résultats et le manque de respect du maillot.

Du coup, quelle est la sanction appropriée ? On va être audacieux et exiger ceci : que la personne soit retrouvée, jugée par des tribunaux en fonction des lois françaises, et condamnée le cas échéant. Bref, considérer qu'un supporteur est un homme ou une femme comme les autres dans ce pays. Et que le groupe social auquel il appartient - «les fans marseillais» - ne paie pas pour l'acte d'un seul. A trop accepter l'inacceptable qui frappe les aficionados de foot chaque week-end, les pouvoirs publics seraient tentés de transposer ces idées répressives au reste de la population. Avec sa loi anticasseurs annoncée début janvier, en partie inspirée de celle contre les supporteurs, on y est déjà.