Menu
Libération
Récit

Jean-Luc Van Den Heede, vainqueur d'un tour du monde à l'ancienne

A 73 ans, le marin français a remporté ce mardi la Golden Globe Race, circumnavigation sur des bateaux «vintages», sans aucun équipement électronique.
Jean-Luc Van Den Heede à son arrivée aux Sables-d'Olonne, le 29 janvier. (Photo Sébastien Salom Gomis. AFP)
publié le 29 janvier 2019 à 17h01

Comme prévu, la pluie tombe dru. Des vents cycloniques sont attendus aux Sables-d’Olonne (Vendée) dès la fin de ce mardi. Mais bonne mère, la météo a laissé passer le marin avant que la tempête Gabriel ne se déchaîne. Le colosse, gabarit de Viking, barbe fournie et yeux tirés, est aux anges. On le comprend. Sous spinnaker – cette grande voile creuse –dans un léger zéphyr, Jean-Luc Van Den Heede, dit «VDH» est escorté par une myriade de bateaux accompagnateurs. Une vraie arrivée de Vendée Globe ! D’ailleurs Alain Gautier, vainqueur du Globe (tour du monde en solitaire sans escale) en 1993… devant «VDH», est là pour l’accueillir, impressionné par la performance et son temps de course. Le chenal est bondé. Il est vrai que ce marin qui a pignon sur rue, rentre chez lui, en héros. Après 211 jours, 23 heures et 12 minutes, soit 7 mois de mer, VDH, 73 ans, a remporté ce mardi la Golden Globe Race, le tour du monde en solitaire sur des bateaux «vintage» et à l’ancienne, sans aucun équipement électronique.

«Une bière, un steak, un bain»

Le ponton des Sables-d'Olonne, plein à craquer, manque de couler. La sécurité est tendue. La pluie redouble. Lui est euphorique, entonne Santiano a cappella avec son vieux pote Hugues Auffray. Quand on lui demande ce qui lui a le plus manqué, il lance du tac au tac : «Si je veux être politiquement correct, ma femme et mes enfants !» Il dit n'avoir pas eu le temps de s'ennuyer, n'a pas lu les quinze bouquins qu'il a embarqués, n'a pratiquement pas écouté de musique et à peine suivi l'actualité. Enfin, quand Robin Knox-Johnston, le premier vainqueur du Golden Globe, en 1968-1969, lui lance : «De quoi as-tu envie tout de suite ? Une bière, un steak, un bain ?» VDH, de son rire appuyé, approuve, ajoutant : «Les trois mais dans l'ordre inverse !»

VDH a été accueilli par Robin Knox-Johnston, vainqueur du Golden Globe, première course autour du monde en solitaire, en 1968-1969. Photo Sébastien Solom Gomis. AFP

Lors des vacations chaque semaine avec le PC course et Don McIntyre – patron de l'épreuve, ancien adversaire et ami du navigateur –, VDH débute systématiquement par un «Bonjour, bonjour !» enjoué. La veille de l'arrivée, alors qu'il sort de la tempête, sa voix de stentor est à peine marquée. «J'ai eu une nuit digne du golfe de Gascogne en janvier avec 50 nœuds de vent [force 10, ndlr], une mer très forte et des creux de huit mètres. Pire que les quarantièmes. Ce n'était pas facile ! J'ai même affalé la grand-voile pour rester sous trinquette seule [petit foc de brise]. Mais la vie suit son cours et j'ai à boire et à manger ! J'avais prévu pour 240 jours», raconte-t-il dans son rire inimitable. Avant d'ajouter : «J'étais assis à la table à cartes quand le bateau s'est couché. J'ai fait un vol plané en passant au-dessus de la descente, et détruit la cuisinière… Je ne me suis pas fait mal, ce qui est incroyable. La barre en ferraille qui protège la cuisinière est tordue à 20 degrés, les fixations qui tenaient chacune par quatre vis sont arrachées. Le réchaud est HS.» Il en faut plus pour perturber l'homme aux dizaines milliers de milles autour du monde depuis plus de trente ans. Il y a trois jours, il a profité du calme avant le temps mauvais, pour vérifier une énième fois la réparation de fortune de son mât, qui ne tient que grâce à un astucieux brêlage de cordages et d'adhésif.

Ferrari et Renault 5

Quand, le 1er juillet, il prend le départ de la Golden Globe Race, ce tour du monde à bord de bateaux de 10 mètres de série d'un autre âge, VHD ne s'en cache pas. Pour son sixième tour du monde en course (il a notamment disputé les deux premiers Vendée Globe, terminant respectivement troisième puis deuxième), il ne vise rien d'autre que la victoire. Matmut, son Rustler 36, robuste voilier de croisière de 7,5 tonnes racheté à un couple d'Anglais, a été dessiné en 1980. Il est équipé d'une quille longue, option architecturale abandonnée depuis des lustres par tous les constructeurs, ne dépasse jamais la vitesse de 7 nœuds (13 km/h), mais garde une bonne cote sur le marché des occasions où il se négocie à 100 000 euros. Le bateau doit être dans son «jus d'origine» avec ses lourdes boiseries en teck massif et ses emménagements cossus. Si le dernier vainqueur du Vendée Globe, Armel Le Cléac'h menait une Ferrari dernier cri, Van Den Heede est lui à la barre d'une Renault 5 première génération. Le règlement est drastique, issu de la première édition en 1968-1969, qui a vu un seul concurrent, Robin Knox-Johnston boucler l'épreuve en 313 jours sur Suhaili, un esquif en bois de 9 mètres construit aux Indes.

A lire aussi

A l’époque du tout électronique, des réseaux sociaux, les dix-sept concurrents qui prennent le départ de ce tour du monde par les trois grands caps (Bonne-Espérance, Leeuwin et Horn) sans escale ni assistance, n’ont droit ni au GPS, ni au pilote automatique. Si les navigateurs possèdent balises de détresse et une impressionnante armada de matériel de sécurité, ils doivent se positionner uniquement à l’aide d’un sextant, mesurer leur vitesse avec un loch à la traîne (une hélice remorquée) et ne peuvent utiliser le téléphone par satellite que pour joindre la direction de course. Après son chavirage dans l’océan Pacifique, le mât de VDH reste miraculeusement en place. La pièce reliant le hauban bâbord (câble tenant le gréement) au mât l’a déchiré comme un couvercle de boîte de conserve. VDH songe même à abandonner au Chili, se ravise, va monter sept fois dans le mât pour réparer. Mais il a utilisé son téléphone, et enfreint la règle en appelant ses proches pour les rassurer. Il est alors pénalisé et doit durant dix-huit heures stopper sa navigation et faire ainsi des ronds dans l’eau, ce qui permet à son seul véritable adversaire, le Néerlandais Mark Slats de revenir dans son sillage après avoir eu près de 2 000 milles (3 700 km) de retard. Certains puristes crient au loup, d’autant que le règlement autorise paradoxalement l’utilisation du moteur sur ces «tortues», notamment afin de traverser les anticyclones où le vent est absent.

Cette course est sans pitié. Douze ont abandonné dont cinq sur démâtage, et l’unique femme engagée, la jeune Britannique Susie Goodall a dû saborder son voilier après avoir fait naufrage avant d’être récupérée par un cargo. Sur les quatre bateaux encore en course, Tapio Lehtinen le dernier n’a pas encore franchi le cap Horn, et n’est pas attendu aux Sables-d’Olonne avant plusieurs semaines.