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Rugby

XV de France : Willemse, symbole des naturalisations

Emblématique d’un rugby de contact, le Sud-Africain devenu français alimente un débat sur le supposé délaissement des joueurs formés dans l’Hexagone.
Le néo-Bleu Paul Willemse, à Marcoussis, le 24 janvier. (Photo Bertrand Guay. AFP)
publié le 31 janvier 2019 à 19h16

L’alphabet est cruel. Le 9 janvier, le sélectionneur français, Jacques Brunel, a commencé par la lettre A, comme «Aldegheri», pour égrener les avants retenus pour débuter le Tournoi des six nations. Et devant son écran, Paul Willemse a dû attendre le dix-septième et dernier nom pour apprendre la confirmation de sa première convocation chez les Bleus. Ce volumineux deuxième ligne (2,01 mètres pour environ 135 kilos) né à Pretoria en 1992 y était attendu après avoir reçu son passeport fin novembre. Car il respectait ainsi la volonté de Bernard Laporte, président de la FFR, de voir les joueurs étrangers désireux de porter le maillot du coq devenir français préalablement, une condition non imposée par la fédération mondiale (World Rugby).

Le géant sud-africain s'est exécuté. Et après seulement dix jours passés au Centre national du rugby à Marcoussis avec les Bleus, il a obtenu une place de titulaire pour affronter le pays de Galles au Stade de France. L'occasion pour lui, selon Jacques Brunel, «de répondre sur le terrain» à tous ceux qui critiquent la sélection de ce colosse très difficile à arrêter ballon en main. Ses détracteurs rappellent que ce joueur de Montpellier incarne un rugby d'affrontement stérile et qu'il n'a pas été retenu par les Springboks.

Moribonde

Au-delà de ses qualités physiques ou techniques, sa nationalité d'origine a contribué à nourrir un intense débat. Willemse sera vendredi le vingt et unième joueur «étranger», le douzième Sud-Africain à porter le maillot bleu. Or le rugby français sait à quel point il est contre-productif de délaisser de jeunes joueurs formés dans l'Hexagone ou en outre-mer. Et il s'efforce depuis quelques années de renforcer le temps de jeu dans les clubs des pépites de la formation française pour qu'ils puissent ensuite nourrir les différentes sélections nationales. Beaucoup brillent d'ailleurs dans le Top 14, à commencer par le deuxième ligne lyonnais Félix Lambey, qui prendra place sur le banc face aux Gallois. «On ne trouve pas énormément de profils comme Willemse, explique l'ancien sélectionneur français Philippe Saint-André, désormais consultant pour RMC. Il faut se demander pourquoi on n'a pas ce genre de gabarits. On voit bien que les mauvais résultats de l'équipe de France et les difficultés que connaît le rugby ont amené des jeunes à aller vers d'autres sports, comme le handball ou le basket. On les avait avant. Merle ou Roumat étaient des monstres.»

Pour lui, l'équipe de France est en phase de transition et elle bénéficiera bientôt de l'apport de jeunes joueurs talentueux, à commencer par ceux qui ont remporté en juin le titre de champions du monde des moins de 20 ans. Deux d'entre eux seront d'ailleurs présents dans le groupe qui affrontera les Gallois : le trois-quarts centre Romain Ntamack débutera le match et le pilier droit Demba Bamba sera remplaçant. «On les voit arriver», se réjouit Jean-Pierre Elissalde, qui a entraîné plusieurs clubs pros et la sélection du Japon. Revenu dans le rugby amateur, il continue à suivre de près le rugby français et des Bleus, dont les trois-quarts sont entraînés par son fils Jean-Baptiste. «Il faut croire en ces étoiles montantes, en espérant que ce ne seront pas des étoiles filantes», lâche-t-il.

Le fait d'avoir recours à Willemse correspond, selon Jean-Pierre Elissalde, «à la logique du moment» et ne remet pas en question les efforts faits pour tenter de relancer la sélection nationale moribonde. Il ajoute que les autres équipes ne se gênent pas pour aller chercher des joueurs nés ailleurs. Des statistiques publiées fin novembre permettent de s'en rendre compte. L'ancien demi de mêlée argentin Agustín Pichot, devenu vice-président du World Rugby, s'est chargé de les diffuser dans un tweet. Sous la phrase «Joueurs qui ne sont pas nés dans leurs pays», écrite en espagnol et en anglais, se trouvait une liste de onze nations. L'Ecosse était tout en haut, avec le chiffre de 46,3 % de joueurs de sa sélection nés à l'étranger, suivie du Japon (37,1 %), de l'Italie (29,7 %)… La France y pointait à la huitième place avec 12,9 %, tandis que l'Afrique du Sud et l'Argentine complétaient cette liste avec un 0.

Croisade

L'initiative du joueur emblématique, qui a notamment porté les couleurs du Stade français, n'avait rien d'un mauvais choix tactique. Il entendait ainsi soulever la question de la nationalité des joueurs et de leur droit à représenter une autre nation. Pichot se bat pour que les critères requis dans l'article 8 du règlement mondial deviennent plus contraignants. Et il a notamment défendu l'allongement de période de résidence requise dans un pays, qui passera en 2021 à cinq ans au lieu de trois actuellement. «Les Ecossais, les Irlandais et les Anglais m'ont accusé de faire cela contre eux. Cela les gênait dans leur course aux project players [les jeunes joueurs étrangers qui n'ont pas encore de sélection, ndlr], ils n'étaient pas contents. Chacun défend son petit intérêt»,a déclaré Agustín Pichot à l'Equipe.

La croisade de cet ancien joueur, désigné comme «la personnalité la plus influente du rugby mondial» de 2018 par la revue Rugby World, a trouvé un écho très favorable auprès des pays craignant de perdre leurs joueurs les plus prometteurs, attirés par les conditions avantageuses offertes par les grandes nations du rugby. Les joueurs originaires des Fidji, des Tonga ou des Samoa sont les premiers concernés, leurs qualités physiques et techniques suscitant beaucoup d'intérêt. Deux Fidjiens ont ainsi rejoint les Bleus ces dernières années, Noa Nakaitaci et Virimi Vakatawa, et un troisième, Alivereti Raka, pourrait être le prochain. Eblouissant avec Clermont depuis plusieurs saisons, ce puissant trois-quarts est actuellement blessé. Mais il détient le précieux sésame pour pouvoir être appelé, puisqu'il a reçu un passeport français le 15 janvier.