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Le cas Adil Rami : pourquoi les champions sont fatigués

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Le défenseur de l'OM Adil Rami contre Reims, au Vélodrome, le 2 décembre 2018 (Photo GERARD JULIEN. AFP)
publié le 23 février 2019 à 17h35

Seghir Lazri travaille sur le thème de la vulnérabilité sociale des athlètes. Dans cette chronique, il passe quelques clichés du sport au crible des sciences sociales, ou comment le social explique le sport, et inversement.

C’était dimanche dernier, lors d’une interview au Canal Football Club (Canal+) : le récent champion du monde Adil Rami avoue avoir fait un burn-out, peu après le Mondial. Alors qu’on aurait pu le croire intouchable moralement depuis le sacre de juillet, le joueur de l’OM a fait part de son profond mal-être. En quoi son récit nous invite-t-il à repenser la fatigue du champion ?

Plutôt mourir que vieillir

«Je suis parti, j'ai tapé la Lune, tellement fort, que je suis retombé KO.» Tels sont les mots d'Adil Rami lorsqu'il évoque cet après-Coupe du monde. Un discours renvoyant implicitement à cette dimension intensive du vécu sportif. Le rythme de vie du champion, et plus généralement du sportif, s'inscrit dans un régime d'intensité, c'est-à-dire que son engagement total répond à des impératifs à court terme. Connaître la plus grande sensation, remporter la plus grande compétition l'emporte sur l'idée de perdurer dans le milieu ou encore de se reconvertir après la carrière. Ainsi, la temporalité du champion repose sur l'instant, sur le moment de l'engagement, en ce sens où pour un athlète, il est préférable de mourir que de vieillir.

A ce propos, la psychologie et plus particulièrement la psychanalyse, à travers notamment les travaux de Patrick Bauche, se sont longuement intéressées à la détresse des champions. Pour le chercheur français, la consécration sportive, en tant que jouissance éprouvée par le champion, entraîne une régression infantile, se caractérisant à la fois par une forme d'inquiétude face à l'avenir, mais aussi par l'augmentation du stress. Paradoxalement, la consécration produit un vide dans la tête du champion, qui perd tous ses repères. L'instant du sacre ne se reproduira peut-être jamais, et il apparaît important, selon Patrick Bauche, que l'athlète fasse très rapidement le deuil de ce moment d'extase, afin de ne pas se laisser abattre et de retrouver cette posture de conquête. C'est ce dont nous fait part Adil Rami, lorsqu'il avoue ne pas avoir «fait le deuil de tout ça» et en payer les conséquences physiquement et mentalement.

Burn-out ou pas ?

«Wallah, je l'ai eu, le burn-out.» Ce propos résonne comme un aveu douloureux de la part d'Adil Rami. Ce terme de burn-out correspondant un épuisement professionnel et renvoyant plus généralement au monde du travail, peut aussi être défini sportivement. Ainsi, selon le psychologue américain Ronald Smith, le «burn-out athlétique» mesure les capacités sportives (aptitudes cognitives aussi bien que physiologiques) de l'athlète, au regard de sa motivation et de son état d'esprit. Il prend en compte autant la diminution de la performance physique que la détresse psychologique. De ce fait, le manque d'envie de Rami et surtout ses pépins physiques semblent des signaux révélateurs. Pour autant, d'autres travaux, et plus précisément ceux de la psychologue Sabine Afflelou, viennent s'opposer à ce diagnostic. Pour la chercheuse, le burn-out conduit inévitablement à l'arrêt de la carrière, or dans le cas du champion du monde, la perspective de la reprise est extrêmement présente, particulièrement avec la mise en place d'un dispositif conséquent (soigneur, coach mental, etc.). Dès lors, on parle pour le cas d'Adil Rami, du syndrome de surentraînement, soit d'une pathologie liée à un surinvestissement psychologique et social, mais qui ne peut empêcher une réintégration au monde de l'élite sportive.

Le champion, cet animal social

Néanmoins, il ne faut pas obligatoirement analyser cette trajectoire de vie seulement sous l'angle psychologique, et donc médical. La prédominance du registre clinique dans le sport de haut niveau et surtout concernant la santé mentale de l'athlète tend souvent à minimiser les raisons sociales au profit de raisons plus individuelles. Or comme le rappelle le joueur de l'OM, dès le début de l'interview, sa vie a changé «en notoriété», les gens sont devenus «plus exigeants» entraînant alors, un bouleversement dans ses rapports sociaux. Devenir un champion confère une nouvelle identité et, sociologiquement parlant, cela s'accompagne d'une modification plus ou moins forte des liens sociaux induisant une transformation de la reconnaissance et de la protection dont l'athlète peut bénéficier. Dans le cas d'Adil Rami, le succès a bouleversé le rapport avec son public, les attentes concernant ses performances ne sont plus les mêmes, avec pour effet un chamboulement quant à sa reconnaissance et l'estime sociale de son talent.

La reconstruction psychologique du champion du monde est, selon ses dires, passée par «un temps de repos» qui, vu sous le prisme médical, correspond à un temps de reconstruction mentale. Mais ce temps de repos est un avant tout un temps social, où l'athlète se resocialise, redéfinit son rapport avec les autres, ainsi que sa place dans le monde. Cette appréciation plus sociologique du cas d'Adil Rami nous invite aussi à considérer le rôle important des institutions sociales et sportives quant à la protection des athlètes, car si le défenseur des Bleus a su trouver les moyens, combien d'autres, dépourvus de ressources, sont devenus les laissés-pour-compte du spectacle sportif ?