Cette saison, notre correspondante à Marseille raconte les petites et grandes histoires du club phocéen et de la ville construite autour. Episode 6, la créativité post-but de Mario Balotelli.
Sur les bancs des tribunes de presse, c'est l'excitation. Dimanche soir, devant un Vélodrome plein comme un grand soir, l'Olympique marseillais fait manger la pelouse à l'AS Saint-Etienne depuis déjà douze minutes quand Super Mario Balotelli, la super recrue de l'hiver, signe un super but en mode pied en l'air. Mais c'est l'instant qui suit qui a mis en ébullition la confrérie des journalistes : juste après son but, Mario s'est précipité au bord du terrain pour attraper son téléphone portable et immortaliser l'instant, entouré de ses collègues de travail, dans une vidéo immédiatement publiée sur son compte Instagram. Branle-bas de clavier – les journalistes aussi sont modernes –, le coup d'éclat fait le tour de l'Internet. Emmanuel Barranguet de l'AFP, Jean Saint-Marc de 20 Minutes, Mathieu Grégoire de l'Equipe… Tout le monde relaie l'info. C'est que la célébration de but par portable est inédite en Ligue 1 française. «Une jurisprudence, c'est historique ! s'emballe Jean-François Pérès, le chef du service sports d'Europe 1 et historien de l'OM hors micro. On est entrés dans le 2.0 de la célébration, on se souviendra toujours que le 3 mars 2019 à Marseille, Balotelli a fait une vidéo après un but.»
Ce n'est pas un hasard que l'Italien soit pionnier en la matière. Déjà, «Balo», qui évolue dans la catégorie des footballeurs-paillettes, est un «serial célébreur», jusqu'alors plutôt version maillot soulevé, rappelle Jean-François Pérès. En 2011, alors qu'il officie à Manchester City et que sa cote n'est pas au beau fixe, il avait ainsi fêté un but historique en dévoilant un t-shirt «Why always me ?». Et puis Mario est Italien, le pays où le selfie post-but a déjà une histoire, portée notamment par Francesco Totti, le capitaine de la Lazio. «Le 8e roi de Rome avait fait un selfie avec en décor de fond les supporteurs de la curva sud [«le virage romain»], raconte Manu de l'AFP. J'ai jamais creusé, mais on a soupçonné la grosse opération de com. Le téléphone, c'était un Apple…» C'est que la joie du but, outre son potentiel «buzzien», peut aussi se monétiser. Le tee-shirt «Why always me ?» est toujours en vente sur les Internets pour 16,25 euros. La vidéo de Balo, «faut voir la suite, mais ce ne serait pas étonnant que ça devienne une pub ou je sais pas quoi», cogite déjà Manu Barranguet. Balo, lui, a déjà gagné. «A chaque fois que je fais quelque chose, ça fait le tour du monde», commentait-il après le match, ravi de son coup. Un coup totalement monté en amont, nous apprend Jean Saint-Marc de 20 Minutes, puisque l'attaquant de l'OM avait confié son portable à un journaliste de l'OM, au cas où…
Il n'y a pas que les communicants qui vont étudier le cas «célébration-portable». L'International Football Association Board (Ifab), qui fixe les règles du foot depuis le XIXe siècle, pourrait aussi se pencher sur la pratique, et pourquoi pas la réglementer, comme elle l'a fait pour les enlèvements de maillots post-but. Ses lois du jeu, régulièrement mises à jour en accord avec la Fifa, listent en effet ce qu'un joueur a le droit de faire ou pas quand le ballon atterrit dans les filets. L'article 12, baptisé «Fautes et incorrections», inclut un chapitre «célébration d'un but» qui cadre le débat. «Les joueurs sont autorisés à exprimer leur joie lorsqu'un but est marqué, mais sans excès. Les célébrations orchestrées ne doivent pas être encouragées et ne doivent pas entraîner une perte de temps excessive», débute le texte. Le buteur peut être sanctionné d'un carton jaune s'il grimpe sur les grilles entourant le terrain ou s'approche trop des spectateurs, s'il fait des «gestes provocateurs, moqueurs ou offensants», s'il recouvre sa tête ou s'il enlève son maillot. Rien, pour l'instant, ne prohibe l'usage du portable pour exprimer sa joie. Un sursis qui laisse aux buteurs en général, et à Balotelli en particulier, le temps de s'amuser encore un peu.