Pour le menu de sa dernière journée, le Tournoi des Six nations 2019 rêvait probablement d’une mise en bouche plus savoureuse. Samedi, les Italiens et les Français seront les premiers à mettre le couvert, à l’heure du déjeuner (13h30) en disputant à Rome une rencontre dénuée de véritable intérêt sportif. Les Italiens s’efforceront d’éviter une cinquième défaite qui leur offrirait une infamante cuillère de bois et les Bleus tenteront de redresser la tête après avoir sombré à Dublin. Ces deux équipes regarderont ensuite les Anglais et les Celtes se disputer le gain de l’édition 2019, avec, en guise de plat de résistance un Galles-Irlande (15h45), qui pourrait offrir le Grand Chelem aux Gallois et, comme dessert, Angleterre-Ecosse.
Une défaite à Rome constituerait bien sûr une sérieuse faute de goût des Français. Mais quel que soit le résultat de ce duel latin, ils savent déjà à quelle sauce ils vont se faire manger. Les critiques pleuvent depuis le début du tournoi au cours duquel ils n’ont réussi à battre que l’Ecosse. Et leurs très médiocres prestations n’ont fait que renforcer les doutes et les craintes que nourrissent de nombreux observateurs à l’approche de la Coupe du monde, en septembre au Japon.
Face à cette situation calamiteuse, Mathieu Blin privilégie une «analyse systémique». Ancien talonneur du Stade français, il a multiplié les casquettes depuis sa retraite sportive : il a présidé le syndicat des joueurs, occupé les postes d'entraîneur, de manager puis de directeur exécutif au SU Agen et a travaillé comme consultant. Il vient également de se lancer dans une nouvelle aventure, un webdocumentaire intitulé A quoi on joue ? (1), dans l'idée de réfléchir au rugby de demain en donnant la parole à de nombreux acteurs de ce sport. Un parcours riche qui lui permet d'avancer des pistes pour tenter d'aider les Bleus à sortir de leur marasme.
Simplifier le jeu
«On ne débarque personne car on ne changera rien en si peu de temps»,
lance Mathieu Blin
(photo AFP).
Pas question pour lui, à seulement six mois de la prochaine Coupe du monde, de se lancer dans une grande lessive de l’encadrement.
«Il faut aller sur tout ce qui est positif et s’appuyer sur des choses que l’on maîtrise. Cela passe par exemple par la simplification les lancements de jeu, pour être dans la meilleure exécution possible. L’urgence, c’est la Coupe du monde.»
Pour lui, le monde du rugby français doit également cesser d’accabler les joueurs. Il a bien sûr constaté les carences ou erreurs de nombre d’entre eux durant le tournoi. Mais il insiste sur le fait que leur rendement dépend énormément du système dans lequel ils évoluent.
«Certains joueurs sont à court physiquement, ils jouent beaucoup trop et ne parviennent pas à garder le même niveau de performance»,
estime-t-il. A la différence de pays comme l’Angleterre ou l’Irlande, les joueurs français ne sont pas sous contrat avec la Fédération et leurs principaux employeurs restent les clubs. Les négociations de ces dernières années ont certes permis de les ménager un peu en réduisant leur temps de jeu. Mais il reste difficile pour eux de réussir à concilier le championnat de France, la Coupe d’Europe et les matchs internationaux.
Travailler le mental
«On ne peut pas dire qu'on travaille la passe, la précision ou l'agilité et pas le mental. Pourquoi on développe tout sauf cela ? Quand on sait que l'on est dans un sort de combat et que l'on met son intégrité physique en danger, pourquoi n'accompagne-t-on pas mentalement les joueurs ?» se demande Mathieu Blin. Il ne fait pas de doute pour lui que les Bleus ont besoin de retrouver une certaine sérénité pour gagner et que l'intervention d'un préparateur mental s'impose. L'expérience a déjà été tentée en 2015, lorsque Philippe Saint-André était à la tête de l'équipe de France. Christian Ramos était alors intervenu auprès des Bleus pendant le Tournoi des Six nations puis pendant la Coupe du monde 2015. Une collaboration qui n'a pas repris avec l'équipe d'encadrement suivante dirigée par Guy Novès. Et l'actuel sélectionneur des Bleus, Jacques Brunel, semble peu enclin à tenter l'expérience. «J'y crois surtout à titre individuel et sur un temps long, mais pas collectivement», avait-il déclaré en novembre juste après la défaite concédée par les Bleus face à l'Afrique du Sud, à la dernière minute du match. Il avait ajouté que cet aspect de la préparation ne cadrait pas vraiment avec la «tradition française».
Privilégier la jeunesse
Face à l'Italie, Demba Bamba enchaînera samedi sa quatrième titularisation au poste de pilier droit et fêtera dimanche son 21e anniversaire. Ce joueur très précoce est l'une des principales satisfactions des Bleus à l'issue de ce Tournoi des six nations. Et en charnière, Jacques Brunel a également choisi de reconduire deux jeunes joueurs, Antoine Dupont (22 ans) et Romain Ntamack (19 ans), déjà alignés face à l'Ecosse et l'Irlande. «En Top 14, dans toutes les équipes, de plus en plus de jeunes figurent sur les feuilles de match», note Mathieu Blin. Et il se réjouit de l'éclosion de nouveaux talents à l'ouverture comme Anthony Belleau, Louis Carbonel ou Matthieu Jalibert. «On n'a jamais eu autant d'ouvreurs», lâche-t-il en soulignant le rôle décisif du numéro 10 au sein d'une équipe. Avec un bémol tout de même, le fait que Ntamack n'occupe pas toujours ce poste au Stade toulousain. «Dans le très haut niveau, on sait que c'est la répétition qui permet d'être le meilleur», rappelle-t-il.
Appliquer un système unique
«Quand on regarde en Nouvelle-Zélande, au pays de Galles ou en Irlande, on voit que tous les joueurs qui passent par les sélections nationales reçoivent une formation rugbystique identique. Le projet de jeu de l'équipe nationale est dupliqué dans toutes les catégories de jeunes. Chez nous, c'est assez récent, et il faut continuer dans cette direction», estime Mathieu Blin. Un programme national d'autant plus nécessaire que les joueurs vivent des réalités très différentes au sein de leurs clubs respectifs. «Avec la professionnalisation du rugby, les clubs ont énormément développé leurs structures et leurs techniques d'entraînement. Mais ils l'ont fait en vase clos et on n'a jamais eu autant de mecs en équipe de France qui vivent des systèmes de jeu différents.»
(1) Qui fait appel à un financement participatif.