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Les arts martiaux, outils de compréhension de nos sociétés

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La popularité du MMA peut s’appréhender comme le résultat de la mondialisation, mais aussi du libéralisme économique qui lui est associé. (Isaac Brekken/Photo Isaak Brekken. AFP)
publié le 23 mars 2019 à 17h08

Seghir Lazri travaille sur le thème de la vulnérabilité sociale des athlètes. Dans cette chronique, il passe quelques clichés du sport au crible des sciences sociales, ou comment le social explique le sport, et inversement.

Ce samedi 23 mars se déroule à l'accord Hôtel Arena à Paris, la 34e édition du festival des arts martiaux, organisé par le plus grand magazine français en la matière, Karaté Bushido. Depuis 1985, cet événement se propose comme la vitrine des arts martiaux en France, de par les démonstrations et les grands noms qui s'y produisent. Mais parmi toutes les pratiques existantes, la sélection des disciplines présentées varie essentiellement en fonction de leur popularité. Dès lors, en quoi l'évolution de la pratique des arts martiaux rend-elle compte des bouleversements sociétaux ?

L’Orient comme point de départ

Bien que plusieurs formes d'arts de combat apparaissent un peu partout sur le globe, il est communément admis que parler des arts martiaux, c'est évoquer les arts corporels nés en Asie, il y a plus de trois mille ans. Ces arts martiaux ont la particularité, comme le rappelle le théologien canadien Jean-Noël Blanchette, de s'inscrire dans un registre pleinement spirituel. Ainsi pratiquer un art martial, c'était avant tout développer une spiritualité, donnant lieu à une éthique pratique. D'ailleurs c'est la diffusion du bouddhisme au VIe siècle, dans toute l'Asie et notamment en Chine, qui va entraîner l'apparition des premières disciplines martiales, notamment celle du temple de Shaolin, le kung-fu wushu. D'autre part les suffixes «do» ou encore «dao», que l'on retrouve dans de nombreux noms de disciplines (judo, aïkido, viet vo dao, etc.) signifient «voie» ou «chemin», soulignant de fait, leur dimension initiatique et surtout leur haute valeur spirituelle, d'après Jean-Noël Blanchette.

Par la suite, les divers évènements historiques en Asie, et notamment les guerres relatives à l’apparition des États nation, vont participer à la redéfinition de ces arts spirituels en arts entièrement guerriers. L’époque Edo, au Japon, se caractérisant par l’unification de la nation et une refonte du système étatique, voit les arts de combat ne plus être associés à une dimension religieuse, mais beaucoup plus à une dimension politique et culturelle. Le ju-jitsu par exemple, apparaît suite à un détachement des techniques guerrières de la caste des samouraïs, pour devenir une pratique d’éducation corporelle faisant de tout Japonais, un guerrier potentiel. D’où l’apparition de nouvelles techniques de maniement d’armes issues du monde agricole, tel que l’usage du nunchaku, initialement destiné à battre le grain. Selon l’anthropologue Jean-Marc de Grave, les arts martiaux vont servir d’objets culturels importants pour consolider la cohésion sociale et nationale. C’est le cas du penchak silat, qui à partir des années 50, va prendre une orientation plus politique et culturelle, dans le but promouvoir l’unicité des ethnies dans la toute jeune nation indonésienne.

L’Occident et ses bouleversements

Ce sont aussi des évènements d’ordre belliqueux qui ont fait connaître ces disciplines en Occident. La guerre de l’opium, la Seconde Guerre mondiale ou la guerre de Corée ont participé de près ou de loin à la diffusion dans le monde occidental de ces disciplines (de nombreux militaires ont importé des disciplines, notamment le judo et le karaté). Mais l’évolution de ces pratiques va aussi être influencée par les structures sociales de ces nouvelles terres d’accueil. La pleine gestion étatique du sport en France, a conduit justement à atténuer la dimension culturelle de ces disciplines, en les «sportivisant» notamment par l’organisation de compétitions. La mondialisation portée par l’Occident a, à la fois modifié les disciplines dans les pays d’origine, mais aussi permis l’essor de pratiques mineures. C’est ainsi que le cinéma asiatique a popularisé certaines disciplines, qui ont pu alors bénéficier par le rattachement à des fédérations existantes, d’une reconnaissance politique et sociétale comme le cas du kung-fu (rattaché à la fédération de karaté).

Luttes russes, krav maga, ju-jitsu moderne, etc. Cette année, le programme du festival des Arts Martiaux, révèle une prédominance des disciplines relatives aux MMA (Martial Mixed Art), qui se veut être la combinaison de diverses pratiques. La popularité de cette discipline peut s'appréhender comme le résultat de la mondialisation, mais aussi du libéralisme économique qui y est associé. En effet, les travaux du sociologue du sport Matthieu Quidu, démontrent que le succès du MMA repose essentiellement sur sa correspondance pratique avec la dimension libérale du monde social. Ainsi les pratiquants retrouveraient dans ce nouvel usage du corps, toutes les valeurs propres au monde néolibéral comme «la quête d'efficience, de rentabilité, et de dépassement». Pour Matthieu Quidu, d'ailleurs, la frontière entre loisir et travail semble chamboulée, tant la pratique du MMA apparaît comme la continuité l'activité salariale. En somme, les arts martiaux sont le fruit des mutations idéologiques et politiques des sociétés. Et faire une généalogie du savoir sur les arts martiaux apparaît au fond, comme une nouvelle façon d'appréhender les réalités sociales.