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Cyclisme

Tour des Flandres : Alberto Bettiol vainqueur, Van der Poel étincelant, la nouvelle génération s'amuse

La grande classique belge a révélé trois coureurs inattendus ou débutants aux quatre premières places. Si jeunes mais déjà dans l'état d'esprit rugueux et paysan des vainqueurs d'autrefois.
L'Italien Alberto Bettiol vainqueur du Tour des Flandres, le 7 avril 2019 à Audenarde (Belgique). (Photo KRISTOF VAN ACCOM. AFP)
publié le 7 avril 2019 à 19h00

Joie du suspense et du hasard sur le terrain des classiques pavées, changées ces années dernières en goulet d'étranglement, avec des vainqueurs trop prévisibles et des favoris trop dominateurs : l'outsider Alberto Bettiol, qui n'avait jamais accroché de victoire en cinq saisons chez les pros, a remporté dimanche l'une des plus grandes classiques du calendrier cycliste, le Tour des Flandres. L'Italien de l'équipe américaine Education First-Drapac, 25 ans, a tranché dans le vif d'une édition indécise, en portant une attaque à 18 kilomètres de l'arrivée. Il s'impose avec quatorze secondes d'avance sur une autre révélation, le Danois Kasper Asgreen (Deceuninck-Quick Step). Le podium est complété par une valeur sûre, le Norvégien Alexander Kristoff (Emirates), vainqueur de l'épreuve en 2015, qui règle le sprint du peloton devant le jeune Néerlandais Mathieu Van der Poel (Corendon-Circus), celui-ci confirmant l'ampleur de son potentiel.

Errements tactiques et méforme des favoris

Trois révélations aux quatre premières places ? «Nous sommes une trentaine à pouvoir gagner», prédisait le Belge Oliver Naesen (AG2R la Mondiale), au vu des épreuves de préparation qui n'avaient pas dégagé de claire hiérarchie. Est-ce le signe d'un changement de génération ou le déclin inexorable des coureurs habitués à régner sur les terres nordistes, notamment le Slovaque Peter Sagan (Bora), inapte à peser sur le déroulement ? Est-ce la méforme de plusieurs chefs de file, voire leur abandon sur chute, comme pour le lauréat sortant Niki Terpstra (Direct Energie) ? Les errements tactiques de Deceuninck-Quick Step, l'équipe qui cadenasse traditionnellement le Tour des Flandres comme la consigne de la gare et qui, malgré trois hommes dans le groupe des poursuivants dans les cinq derniers kilomètres, n'est jamais parvenue à combler son retard de vingt secondes sur Bettiol ?

Les classiques effacent leur vérité sitôt achevées, à la manière d’une ardoise magique, si bien qu’il est possible de retrouver des situations totalement inverses dans une semaine sur Paris-Roubaix, pour la revanche. Un Sagan flamboyant, une écurie Deceuninck-Quick Step rugissante… Le classement inattendu du Tour des Flandres pourrait être ainsi une affaire d'opportunités et d'opportunistes. A moins qu'il ne fasse émerger des coureurs de grande valeur.

Bettiol, origines populaires et laborieuses

Alberto Bettiol est ainsi l'homme «qui monte» dans le registre des courses d'un jour. Classé deuxième de la Bretagne Classic (ex-Grand prix de Plouay) et quatrième du Grand prix de Québec en 2016, le Toscan s'est révélé saignant en ce début de saison. A Milan-San Remo, il était ainsi le premier à porter l'offensive dans l'ascension du Poggio, le juge de paix, déclarant mi-fier, mi-désolé qu'il avait «débranché le cerveau». La semaine passée, ce féru d'aéronautique, qui se voyait devenir pilote d'avion, prenait la quatrième place du «mini-Tour des Flandres», le Grand prix E3. La consécration a eu lieu dimanche sur l'événement de ses rêves : «Autant je me fiche de courir Paris-Roubaix, qui m'a l'air trop dangereux, autant j'adore le Tour des Flandres, l'université du cyclisme, une course unique au monde pour le parcours et l'atmosphère de grande fête populaire», déclarait-il au site Tuttobiciweb fin 2017.

Athlète scrupuleux, garçon farceur, il racontait voilà trois ans le récit de sa famille, modeste, laborieuse, dans la lignée des grands coureurs rugueux qui ont fait l'histoire du Tour des Flandres : «Mon père rentre de l'usine tard le soir. Ma mère est au chômage. Je me considère chanceux de faire un bon travail bien payé. Quand je me plains parce que je dois faire une heure d'entraînement en plus, mon père me ramène sur Terre, me rappelant que chaque jour, il transpire au moins huit heures, sans compter les heures supplémentaires, entre la poussière et la saleté, pendant que je suis à la maison à faire ce que j'aime le plus au monde.»

La prestation de Kasper Asgreen, dauphin de Bettiol, était toute aussi saisissante et contraire aux pronostics, considérant que le Danois participait pour la première fois à une épreuve qui requiert normalement beaucoup d’expérience. Ajouté à la dernière minute à l’effectif de son équipe, ce rouleur combatif a trouvé les ressources pour contre-attaquer dans l’ultime kilomètre, alors qu’il s’était déjà livré à une échappée dans la dernière heure de course.

Van der Poel, dans la lignée des durs au mal

Autre sensation de la journée, Mathieu Van der Poel, le petit-fils de Raymond Poulidor et le fils d'Adrie Van der Poel, vainqueur du Tour des Flandres 1986, en était lui aussi à sa découverte de ce «monument» du calendrier mais parvient à se classer quatrième. Retardé par une chute à 60 kilomètres de l'arrivée, le Néerlandais a rejoint le peloton et, dans un style très décontracté, s'est permis de lancer une brève attaque au sommet de la dernière côte. Il rassurait de la meilleure façon son père, légèrement inquiet avant le départ : «Les choses vont plus vite que prévu, nous n'attendions pas Mathieu si fort, si vite. C'est pour lui permettre de disputer une aussi grande course que son équipe est montée de la troisième à la deuxième division cet hiver.»

Le numéro de Van der Poel ne surprend pas outre mesure Claude Louis, ancien conseiller technique régional du Limousin : «Ces gens sont des terriens, dans tous les sens du terme, des durs au mal, qui ne s'oxydent jamais, explique cet ami de la famille à Libération. Raymond [Poulidor] faisait merveille par ses qualités de récupération : plus la course était longue et plus il pouvait s'exprimer. Adrie était un solide. Mathieu est un peu plus percutant, mais il semble sortir du même moule.» Prochaine exhibition du prodige tourbillonnant dans deux semaines sur l'Amstel Gold Race, au sud des Pays-Bas, après un week-end de repos pendant Paris-Roubaix.